Dans sa chronique « Emergences », la journaliste Marie de Vergès décrypte la polémique qui, entre raison et affect, s’est enflammée au sujet de cette monnaie.
Chronique. Un tabou ? Certainement pas ! Plutôt « un non-sujet pour la France ». Ainsi Emmanuel Macron répondait-il, le 28 novembre, à un étudiant burkinabé l’interpellant sur le franc CFA lors de sa première tournée africaine. Quoi qu’en dise le président, Paris ne goûte guère la polémique qui s’est enflammée ces derniers mois autour de cette monnaie. Partagée par quinze Etats africains et garantie par le Trésor français, celle-ci est vilipendée par ses contempteurs comme un « symbole de la servitude », un ultime avatar de la Françafrique, plus de cinquante ans après les indépendances. « N’ayez pas, sur ce sujet, une approche bêtement postcoloniale ou anti-impérialiste, a réclamé M. Macron. Ça n’a aucun sens. »
Peut-être. Mais le propre de cette controverse acide est justement que tout s’y mélange. Raison et affect. Calculs économiques et démonstrations politiques. Vraies interrogations et fausses évidences. Beaucoup de fantasmes, surtout, qui polluent le débat sur les relations monétaires entre la France et ses anciennes colonies.
Résumons-les. La vocation du franc CFA serait, selon ses détracteurs, d’organiser la domination économique de la France et de ses multinationales sur la zone. Le système confisquerait la souveraineté monétaire des Etats africains, avec une politique dictée par Paris et des billets imprimés, non pas en Afrique, mais dans l’Hexagone.
Pis, les pays de la zone seraient spoliés de précieuses ressources à cause des réserves de change qu’ils doivent déposer sur un « compte d’opérations » logé au Trésor français : de 10 à 12 milliards d’euros qui pourraient être investis dans le financement du développement au lieu d’enrichir scandaleusement la France.
La plupart de ces attaques ne résistent pas à l’analyse factuelle. L’ancrage du CFA à l’euro ne profite pas aux seuls groupes tricolores… mais à l’ensemble des entreprises européennes. D’ailleurs, la monnaie n’a pas empêché le déclin relatif de la France dans les échanges : celle-ci a perdu, dès 2008, sa place de premier fournisseur de la zone franc, au profit de la Chine. On peut d’ailleurs le regretter, l’Afrique ne jouant plus qu’un rôle mineur dans les stratégies de la plupart des multinationales françaises.
Quant à la politique monétaire, elle est bien décidée par les deux Banques centrales régionales : celle d’Afrique centrale, basée à Yaoundé (Cameroun), et celle d’Afrique de l’Ouest, à Dakar (Sénégal). Ces institutions sont d’ailleurs les plus promptes à s’agacer quand les anti-CFA s’horrifient du supposé « droit de veto » de l’ancienne puissance coloniale. La France y est représentée dans les conseils d’administration et les comités de politique monétaire, aux côtés des Etats membres.
Un droit accordé au titre de la stabilité monétaire qu’elle garantit. Mais sa voix est très minoritaire, et le plus souvent diluée. L’impression des coupures dans l’Hexagone ? Le sujet peut irriter. Mais encore faut-il rappeler que seuls six pays d’Afrique subsaharienne frappent monnaie. Le shilling ougandais est fabriqué en Angleterre, le kwacha zambien en Allemagne, le dollar libérien aux Etats-Unis…
Thèses complotistes
Venons-en au compte d’opérations, à propos duquel circulent toutes les fantaisies. Oui, les Etats de la zone franc sont tenus d’y verser 50 % de leurs réserves de change. Il s’agit d’une contrepartie, la France assurant la convertibilité totale de la devise avec l’euro. En cas de choc financier, les Banques centrales peuvent aller s’y servir. Les dépôts – rémunérés par Paris – sont donc déblocables à tout instant. Et que se passerait-il en cas de « CFAxit » ? Pour défendre leur nouvelle monnaie et contrer le risque de dévaluations en série, les Etats devraient immobiliser des réserves autrement plus importantes.
Une fois évacuées les thèses complotistes, posons les vraies questions. Par exemple celles qui touchent aux performances économiques de la zone franc. Où, sans surprise, les réponses sont plutôt nuancées. Au chapitre des succès ? Une maîtrise incontestable de l’inflation et une stabilité du taux de change qui envoie un signal positif aux investisseurs. Au rang des déceptions ? Des échanges commerciaux quasi nuls au sein de la zone, malgré une monnaie partagée.
Certains déplorent l’arrimage du CFA au successeur du deutschemark. Une parité avec une devise trop forte qui affecterait la compétitivité et découragerait la production locale. D’autres objectent que les trajectoires des Etats membres ne sont pas moins bonnes que celles de leurs voisins. Et que l’inertie politique, le niveau de corruption ou le climat des affaires expliquent autant, sinon plus, les faiblesses de l’Afrique francophone.
Le franc CFA n’est ni un boulet ni une panacée. Le débat vaut pourtant qu’on s’y attarde, au moins pour des raisons identitaires. A Ouagadougou, Emmanuel Macron s’est dit « favorable » à des réformes. « La France, s’est-il engagé, accompagnera la solution qui sera portée par vos dirigeants. » La balle est désormais dans leur camp.
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