La société soudanaise croule sous le poids des Mutilations génitales féminines (Mgf). Le taux de prévalence de la pratique peut aller jusqu’à 89%, selon les 18 Etats que compte le pays. Une situation préoccupante que des femmes parlementaires engagées dans la lutte contre l’excision veulent arrêter. C’est dans ce cadre, avec l’appui de l’Ong Plan International, qu’elles ont séjourné du 22 au 25 janvier 2018 au Sénégal pour s’enquérir de l’expérience du pays en la matière.
L’expansion de la pratique des Mutilations génitales féminines (Mgf) au Soudan préoccupe ses femmes parlementaires. Le pays continue de souffrir de ce phénomène malgré l’existence d’une loi datée de 2005 et qui criminalise la pratique ainsi que le mariage des enfants.
Selon Mme Omima Abda Elwahab Abd Eltam Fadel Moula, Conseiller juridique du Conseil national pour le bien-être des enfants, le Soudan considère les MGF comme une pratique néfaste mais la prévenance est estimée à 89%, selon les Etats.
A son avis, de 1946 à 2010, beaucoup d’efforts ont été déployés pour lutter contre la pratique notamment avec sa pénalisation mais la lutte se heurte à des problèmes relatifs à la religion, les croyances culturelles ainsi que les manquements notés dans la mise en œuvre de la loi.
Sur ce dernier point, il faut souligner que la loi pénale amendée depuis des années attend toujours d’être votée par l’Assemblée Nationale.
Ce tableau peu reluisant montre à quel niveau les objectifs de capture du Dividende démographique sont mis à rude épreuve. Ce qui ne décourage pas pour autant les acteurs investis dans la lutte contre la pratique. Les initiatives se multiplient pour barrer la route au phénomène. C’est à l’image des nouvelles interventions pour changer la perception sociale sur les MGF à travers une campagne « Seleema » qui donne la parole aux familles avant de les sensibiliser davantage.
Selon Omima Abda Elwahab Abd Eltam Fadel Moula, ces initiatives ont permis d’intégrer 960 communautés entre 2009 et 2012, 497 ont déclaré l’abandon de l’excision et à ce jour, 1.500.000 de personnes ont signé des initiatives allant dans le sens de magnifier leur engagement pour la lutte contre cette pratique.
C’est dans cette dynamique qu’il est noté, ces dernières années, le développement d’initiatives collectives de lutte contre les MGF. C’est à l’image de la campagne pour la mise en œuvre de l’article 13 de la loi sur la protection de l’enfant, la création d’une équipe spéciale pour coordonner les efforts.
Le Sénégal, un cas d’école
Il faut rappeler que les MGF figurent parmi les Pratiques Traditionnelles que subissent les femmes au nom de la préservation de la tradition, et dans le but d’assurer leur contrôle social.
Mais le choix fait par les parlementaires soudanaises de venir s’inspirer de l’expérience sénégalaise dans la lutte contre l’excision n’était pas fortuit.
Vu la situation la situation actuelle de la pratique des Mutilations génitales féminines (Mgf) au Sénégal, le pays est cité en exemple en Afrique où chaque année près de trois millions de filles sont touchées. Un chiffre qui avoisine plus de 140 millions au niveau mondial. « Toutes les 10 secondes, quelque part dans le monde, une petite fille est victime d’une mutilation génitale ».
Comme le montre les statistiques brandies par la directrice de la famille et des groupes vulnérables du Sénégal, Mme Ngom Coumba Thiam, lors d’une séance de partage d’expérience avec les hôtes.
A l’en croire, au Sénégal, environ un quart des femmes de 15-49 ans sont excisées soit 23 % selon l’EDS Continue 2016.
Pour les filles de moins de 15 ans, Mme Ngom révèle que la prévalence est à 13% avec de fortes disparités régionales et que les zones, les plus touchées sont le NORD (28%), et le SUD (78%). Pour le milieu rural, le taux est de 27% et le milieu urbain 19%.
Un tableau que la directrice de la famille explique par le fait que l’excision au Sénégal n’est pas pratiquée comme un rite de passage à l’âge adulte. Et que 90% des filles âgées de 15-19 ans excisées l’ont été avant l’âge de 10 ans, avec une extrême majorité avant l’âge de 5 ans.
Elle précise qu’entre 2005 et 2015, il a été observé que les filles sont de plus en plus nombreuses à être excisées avant l’âge de 5 ans (75% en 2015 contre 70% en 2005).
Ces résultats seraient probablement la résultante des campagnes de promotion pour l’abandon de la pratique. Ce qui a permis d’aboutir à l’existence d’un mouvement national favorable à l’abandon de l’excision, l’intégration des MGF dans les politiques, normes et protocoles de santé, le renforcement du plaidoyer pour l’abandon de l’excision avec l’engagement des ministres à relever les défis et soutenir le programme au niveau de leurs départements respectifs (santé, justice, Femme, jeunesse, éducation).
A cela s’ajoute la mobilisation des parlementaires au niveau des réseaux et des commissions, les déclarations publiques d’abandon de 6537 communautés, une plus grande implication des jeunes, des femmes, des élus locaux, des leaders d’opinion et des professionnels des médias, l’élaboration d’un module sur les MGF/Excision, la dissémination de l’argumentaire islamique dans les zones de forte prévalence.
Un état de fait confirmé par la commission santé de l’Assemblée nationale sénégalaise qui a reçu ses homologues soudanaises à qui, ses membres ont démontré leur niveau d’engagement dans la lutte contre l’excision mais aussi pour le bien-être des enfants en général.
Cette situation renferme, par ailleurs, beaucoup de goulots d’étranglements qui rendent les choses difficiles par moment.
Les combattants des MGF sont toujours confrontés à la réticence de certains leaders religieux et traditionnels mais aussi la pratique clandestine par des communautés bénéficiaires.
Sans oublier la faible application de la loi par manque de dénonciation des auteurs, la faible synergie dans les interventions et la faible implication des collectivités locales et territoriales.
La concertation plus efficace que la répression
Si le Sénégal a pu réaliser autant d’avancées malgré la subsistance de poches de résistance, c’est grâce à la démarche adoptée dans la lutte contre le phénomène. Contrairement au Soudan qui a plus privilégié la répression, le Sénégal insiste plus sur les voies et moyens pour éviter d’exclure toute personne dans la démarche.
Le pays a adopté une approche multisectorielle impliquant tous les acteurs concernés (ministères concernés, autorités administratives, chefs religieux, parlementaires, ONG et associations, PTF etc.)
Il faut rappeler que le Sénégal avait adopté la loi 99 - 05 du 29 janvier 1999 interdisant l’excision. Un dispositif renforcé par l’élaboration et la mise en œuvre de 2 plans d’action (2000 – 2005 et 2010 – 2015).
Une démarche qui a profondément séduit le groupe de femmes parlementaires qui a fait le déplacement au Sénégal. Elles l’ont fait savoir au terme d’une visite menée, sous la conduite du bureau Afrique de l’Ouest et du Centre de l’ONG Plan International et de la représentation nationale de Tostan, au village de Kër Simbara, situé à sept kilomètres de Thiès. Un village de 350 habitants qui, créé en 1895, était à l’origine habité que par une ethnie Bambara.
Venu accompagner la délégation de femmes parlementaires, M. Akram Abdel Gayoum Abbas, conseil technique au Conseil national pour la protection de l’enfant au Soudan, a fait savoir que cette visite fait partie des activités du Programme MGF de son pays.
Selon lui, le Sénégal a une grande expérience pour établir des alliances avec les communautés et pour sensibiliser les populations à la base.
M. Abbas approuve la démarche consistant à conscientiser les communautés locales en améliorant leurs connaissances, les éduquer avant de prendre des mesures pour la mise en place d’une loi nationale contre l’excision.
« Nous avons appris de l’expérience du Sénégal que l’approche adoptée concernant la mobilisation des communautés et la sensibilisation des populations à la base est la meilleure pour prévenir ces normes sociales qui sont fortement établies ».
La délégation soudanaise dit être marquée par la manière dont le village de Kër Simbara, qui a officiellement déclaré l’abandon de la pratique de l’excision en 1998, après une concertation avec les autres villages de la région de Thiès avec qui, il partage des liens de parenté, fait la mobilisation sociale pour pousser les populations à abandonner ces normes sociales.
A cela s’ajoute aussi la sensibilisation envers les villages environnants pour prévenir les Mutilations génitales féminines.
Il assure que les leçons apprises au Sénégal vont énormément leur servir de leçon une fois au Soudan surtout sur le volet, pousser les populations à développer des stratégies visant à abandonner les mutilations génitales féminines ainsi que les mariages précoces.« Nous allons renforcer la coopération avec le Sénégal et avec d’autres pays africains en vue de travailler aux intérêts des populations, des enfants, des femmes afin d’assurer leur protection et leur bien-être ».