Au Sénégal, au moins 226 pertes en vie humaines et portés disparus en mer, ont été enregistrés ces deux dernières années. Devant cette hécatombe, l'organisation Greenpeace Afrique pointe du doigt la rareté des ressources et invite l'État à stopper cette saignée en renforçant la sécurité des acteurs de ce sous-secteur qui contribue à plus 40% que la pêche industrielle.
Les eaux sénégalaises, jadis premières poste de production de richesses du pays, sont-elles devenues des mouroirs ? La question s'impose vu le nombre effroyable de pêcheurs ayant perdu la vie ces deux dernières années.
Dans un documentaire inédit sur les nombreux cas de disparition de pêcheurs artisans dans les eaux sénégalaises, rendu publique ce mardi 23 octobre à Dakar, Greenpeace Afrique tire la sonnette d'alarme pour attirer l'attention des autorités sénégalaises.
Cette organisation avise que ces deux dernières années, au moins deux cent vingt-six (226) pertes en vies humaines et portés disparus en mer ont été enregistrés. Un chiffre « biaisé », compte tenu du caractère informel de la pêche artisanale.
Sur la même lancée, Greenpeace a brandi le dernier rapport publié par la Direction de la Surveillance et de la Protection des Pécheurs du Sénégal (Dpsp) qui montre qu'en 2017, 92 accidents dont 140 victimes parmi lesquelles des pêcheurs artisans, ont été enregistrés, soit une hausse de 63% par rapport à l'année précédente, avec des dégâts matériels estimes a 140 millions de F Cfa.
Une situation que les responsables de cette organisation imputent à la rareté des ressources qui entraine des conséquences désastreuses chez les gens de la mer.
Selon Dr Ibrahima Cissé, Responsable de la Campagne Océan à Greenpeace Afrique, « Pendant des décennies des pêcheurs artisans sénégalais ont pu subvenir aux besoins de leurs familles et des communautés grâce à l'abondance et la variété des ressources halieutiques qui étaient une réalité dans les eaux sénégalaises ».
Cependant, s'est-il désolé, « à cause des politiques de pêche inadaptées, de la surpêche industrielle et des mauvaises pratiques de pêche, la situation a considérablement changé ».
Avant d'ajouter : « maintenant, ces pêcheurs doivent aller très loin en mer en risquant leur vie pour attraper le poisson qui est devenu hors de portée ».
M. Abdou Rahmane Faye, un vieux pêcheur qui a perdu ses deux fils en haute mer lui emboite le pas.
A son avis, « les pêcheurs n'ont que la mer comme source de revenu et activité principale. Ils sont obligés de s'adonner à leur activité au quotidien malgré les risques qu'ils encourent ».
A l'en croire, « une équipe de pêcheurs peut passer trois jours dans la mer sans aucun capture ».
Une situation qui, d'après lui, décourage de plus les pêcheurs qui, face à leurs obligations sociales, trouvent refuge dans d'autres secteurs ou sont tentés par le phénomène de l'immigration clandestine avec son lot de désastres.
M. Faye tient également à attirer l'attention des autorités sur les conflits latents qui couvent entre acteurs de la pêche artisanale. « Face à la rareté des ressources, les pêcheurs artisans qui habitent les zones les plus poissonneuses refusent toute présence étrangères. Ce qui est souvent à l'origine de plusieurs conflits».
M. Mactar Samb, pêcheur établi à Thiaroye Sur Mer, informe que dans sa localité, le phénomène de l'immigration clandestine et les accidents de pirogue en mer ont entrainé la disparition de 377 pêcheurs artisans.
A travers des témoignages poignants, le documentaire intitulé « La voix des disparus » que Greenpeace à réaliser montre les stigmates d'un phénomène qui semble ne pas émouvoir les autorités étatiques du pays.
Tourné dans les principales zones de pêche du Sénégal comme Mbour, Thiaroye et Rufisque, ce film de 10 minutes retrace le dur quotidien des parents des victimes et dont, pour la plupart, les corps restent introuvables.
« Ce qui me choque le plus, c'est que le corps de mon époux disparu en mer n'est toujours pas retrouvé », dixit Mme Maimouna Ba. Même son de cloche pour Mme Daba Soumaré.
Ces deux dernières femmes ont subi le même sort qui les met, aujourd'hui, face à la responsabilité devoir prendre en charge leurs enfants malgré la faiblesse des moyens du bord.
« Ce qui me fait le plus mal, les familles ayant perdus leurs proches ne bénéficient d'aucune assistance, surtout les femmes et les enfants », a déploré Mactar Samb.
Ce pêcheur de Thiaroye Sur Mer se dit davantage offusqué par l'absence de poursuites judiciaires suites aux nombreux accidents survenus entre pirogues et bateaux de pêches, en haute mer.
« Beaucoup de pêcheurs artisans ont trouvé la mort parce que leur pirogue a été percutée par un bateau de pêche », confie-il.
Pour lui, les subventions sur le matériel de pêche que l'État accorde aux pêcheurs artisans ne peuvent, en aucun cas, panser les plaies laissées béantes par la disparition des pêcheurs et la rareté des ressources.
Devant ce tableau sombre, les responsables de Greenpeace Afrique appellent l'État à revoir sa copie pour stopper l'hémorragie et venir en aide aux pêcheurs.
« Aujourd'hui, en plus de l'octroi des gilets de sauvetage aux pêcheurs, le gouvernement du Sénégal doit travailler à répertorier tous les pêcheurs artisans actifs dans le pays et mettre en place des outils efficaces qui peuvent permettre de détecter les pirogues artisanales ou qu'elles se trouvent en mer et de leur venir en aide », affirme M. Cissé.
Sur cette lancée, Abdou Rahmane Faye appelle l'État à délimiter le champ d'action des bateaux de pêche, surtout les navires battant pavillon étranger qui sont souvent accusés de piller les ressources halieutiques des pays côtières africaines.
Pour le responsable de la Campagne Océan à Greenpeace Afrique, l'État doit appuyer les fabricants de pirogues en renforçant leurs capacités et les aider mettre sur le marché des embarcations plus résistantes et qui garantissent plus de sécurité aux pêcheurs artisans.