Maroc: Salaheddine Mezouar, Chef d'entreprise / Président de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc – « La perception sur le secteur privé africain doit être changée »

allAfrica.com
Salaheddine Mezouar, chef d'entreprise, président de la CGEM
27 Novembre 2018
  • Le secteur privé marocain a une philosophie de partenariat et non de conquête de marché »
  • Personne ne réussira aujourd'hui dans une démarche d'opportunité en Afrique »
  • Le Maroc travaille sur un nouveau modèle de développement beaucoup plus inclusif… »

L'Africa Investment Forum 2018 qui vient de s'achever à Johannesburg, en Afrique du Sud, en faveur du secteur privé, a nourri beaucoup d'espoir. Axée sur les transactions, cette rencontre a réaffirmé l'importance de l'investissement privé dans le processus de développement du continent. Rencontré dans les coulisses de ces assises, M. Salaheddine Mezouar, Président de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc confirme cette posture, dans cette interview accordée à allAfrica.com. Chef d'entreprise de son état, il revient sur la politique marocaine en matière d'investissement, donne des gages sur la sincérité de la demande d'adhésion du Royaume Chérifien dans la CEDEAO, sans esquiver la brulante question sur le Sahara Occidentale. Entretien…

Bienvenue et merci d'avoir pris le temps de répondre aux questions d'AllAfrica. Est-ce que vous pouvez revenir sur les raisons qui vous ont poussé à participer à cette importante conférence ? Quel est le point de vue du secteur privé marocain sur les opportunités qui existent sur le continent?

Bien, alors la CGEM qui représente le secteur privé marocain est aussi partenaire de la Banque Africaine de Développement. Le Maroc est le premier partenaire de la BAD, en tant que récepteur d'investissements mais également d'accompagnement ? L'Africa Investment Forum est une initiative dans laquelle l'ensemble du secteur privé africain devrait apporter son soutien et être présent. L'esprit est de rapprocher les investisseurs : le secteur privé et les projets gouvernementaux de différents pays dans cette plateforme qui est censée être une base, une plateforme d'accélération et de développement de projets. L'esprit est très bon. Ce type d'initiatives a donc besoin d'être soutenu parce qu'il permet des résultats rapides.

C'est quoi le problème en définitive ?

La difficulté c'est qu'en Afrique, les besoins des pays en investissements, que ce soit en infrastructures, que ce soit en développement de filières industrielles ou de services sont tels que, ce qui est ressenti face à la demande en termes de projets, la capacité de mise en œuvre reste relativement limitée.

Pourquoi, parce que le processus entre le projet et le financement prend souvent du temps et handicape la marche et l'accélération de la mise en œuvre des projets en Afrique, et donc il est fondamental. C'est pourquoi nous avons beaucoup apprécié l'esprit de ce forum, et c'est une occasion de féliciter la BAD et le président Adesina pour cette initiative. C'est qu'il y a une réponse concrète à des besoins concrets.

Les choses sortent des discours habituels, la manière à laquelle l'approche de mise en œuvre des projets a été jusqu'à aujourd'hui, faite. Il y a beaucoup d'annonces, beaucoup de promesses et très peu de réalisations et donc il est important aujourd'hui de soutenir ce genre d'initiative. C'est ce qui explique notre présence, en termes de soutien, mais également une présence pour permettre au secteur privé marocain déjà engagé en termes d'investissements dans plusieurs pays de notre continent de nouer des contacts.

Nous sommes le deuxième investisseur après l'Afrique du Sud, premier investisseur africain au niveau de l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique Centrale. C'est cette position qu'a le Maroc, en plus de son expérience, son expertise mais aussi son ambition pour être un pilier aux côtés des autres acteurs publics et privés sur le continent pour accélérer le développement et la mise en œuvre est quelque chose qui est fondamental pour moi.

Quelle est la taille des investissements marocains en Afrique et quels sont les secteurs dans lesquels le pays est présent ?

Le Maroc est présent dans un certain nombre de secteurs importants. Il est présent dans la banque, et c'est un des plus grands réseaux bancaires aujourd'hui en Afrique. Il est présent dans les assurances, les télécommunications, les infrastructures. Il commence à être présent dans l'industrie progressivement.

Notre ambition est d'aller dans le développement de ce que nous avons à développer chez nous notamment l'agrobusiness, le développement des filières agricoles. L'accompagnement de beaucoup de pays africains sur ces domaines et l'intégration en aval à travers l'industrialisation.

La transformation des matières premières en Afrique est un enjeu capital pour créer de la richesse et créer de la valeur. Le savoir-faire dont dispose beaucoup de pays africains devra être utilisé au profit de ces pays qui ont besoin de cela. Nous sommes également dans la construction, dans l'immobilier.

L'expérience marocaine dans ce domaine est reconnue comme étant utile. Beaucoup d'entreprises marocaines sont présentes pour développer tout ce qui est habitat et particulièrement l'habitat social. Nous sommes présents sur les métiers de service et un début sur les métiers du tourisme. Le Maroc est un pays touristique, il y a un savoir-faire et donc il y a un début pour les entreprises marocaines qui opèrent dans le secteur touristique.

C'est une approche diversifiée mais aussi une approche de partenariat. L'approche de l'investisseur marocain n'est pas d'aller seule mais idéalement trouver des partenaires sur les différents pays et par conviction. Parce que l'investissement privé doit servir aussi le développement du secteur privé des pays. Ce type d'approche est une approche de pérennisation sur la durée et c'est utile pour les pays. Il ne faut pas oublier que le secteur privé dans beaucoup de pays n'est pas encore consolidé.

On perçoit souvent l'investissement extérieur des entreprises africaines comme étant une approche où l'on prend la part des autres. C'est une perception et une manière de voir qu'il va falloir changer. La CGEM travaille dans un partenariat pour une action avec les différentes organisations patronales et leurs pays pour faire comprendre à tout le monde qu'il faut toujours avoir ce regard gagnant-gagnant.

Il faut un partenariat qui sert et non le contraire. Je pense que c'est quelque chose qui commence à prendre progressivement forme et le Maroc continuera à agir avec cette philosophie parce que dans toute approche il faut avoir une philosophie. Celle du secteur privé marocain est une philosophie de partenariat et non pas de conquête de marché. Quand on est dans cette logique, on a une vision beaucoup plus long termes que quand on est dans une démarche d'opportunités. Personne ne réussira aujourd'hui dans une démarche d'opportunité en Afrique.

Nous avons entendu une présentation de M. Abbas d'Egypte sur un projet de fertilisation. Est-ce que ce sont des choses dans lesquelles le Maroc excelle aussi ?

Le Maroc porte déjà ce projet de fertilisation mais avec une démarche très volontariste au service de l'agriculteur et de la réalité de l'agriculture africaine. Le Maroc a signé un partenariat pour réaliser un groupe avec un projet de fertilisant en Ethiopie et un autre au Nigéria.

L'idée c'est d'unir le phosphate que nous produisons au Maroc avec le gaz dont dispose le pays producteur pour sortir un fertilisant très bon marché, de qualité et avec un coût très bas et accessible pour l'agriculteur. Notre approche est différente. Pour nous, il faut développer des partenariats avec des pays producteurs de gaz pour sortir un fertilisant bon marché qui pourra permettre au petit producteur africain d'en bénéficier.

C'est cette approche que le Maroc a développé avec une très grande compagnie qui est dans cette logique pour construire des partenariats, offrir un fertilisant accessible aux petits agriculteurs, accélérer les rendements agricoles pour améliorer les revenus des agriculteurs et peut-être à travers cela construire des filières qui peuvent être des filières intégrées.

Quel sera le statut de la relation du Maroc avec l'Afrique de l'Ouest, suite à sa demande d'adhésion dans la CEDEAO ?

Le processus n'est pas encore terminé. Il est actuellement en cours. Le Maroc a présenté sa demande d'adhésion dans la CEDEAO parce qu'il est convaincu des relations historiques, sa présence économique avec l'investissement qui est réalisé, les questions de sécurité qui menacent la région, le besoin de construire des partenariats au service du développement.

C'est dans cette approche de conviction, que le Maroc peut apporter à la CEDEAO et vice-versa. C'est dans cette conviction également de développement de relation sud-sud, dans cette conviction où nous sommes dans un monde où il faut avoir des regroupements solides pour pouvoir être en compétition forte dans la chaine mondiale. C'est en partant de tout cela que le Maroc a décidé de soumettre sa demande d'adhésion à la CEDEAO.

Il est vrai que sur le plan politique, il  y a une conviction qui a été réalisée et il y a de l'action à faire sur le plan économique avec certains qui ont peut être perçu l'arrivée du Maroc comme étant une potentielle menace pour eux. Nous sommes en train de faire un travail d'explication pour que les gens sachent que l'enjeu ce n'est pas là. Nous sommes dans une logique de partenariat mais aussi de stimulation de la dynamique de l'investissement et du secteur privé dans cet espace régional. Je pense que les retours commencent à devenir positifs.

Il y a une évolution dans la compréhension de la vision stratégique de cette opération. Ce n'est pas une entrée à l'aveuglette mais une entrée avec une ambition pour la région. Ça renforce la position de la région et les synergies possibles de haut niveau de cet espace régional. Nous sommes convaincus que ce n'est qu'une question de temps. Nous continuerons à travailler avec nos homologues et nos partenaires.

La CGEM en tant qu'acteur du secteur privé convaincu de l'intérêt que représente l'adhésion du Maroc dans la CEDEAO, continue également de travailler pour convaincre nos partenaires du secteur privé des quinze pays de la sous-région de l'utilité et l'importance stratégique que représente l'adhésion du Maroc à cet espace régional.

Est-ce que la question du Sahara Occidental est un handicap pour les entreprises marocaines dans leur déploiement en Afrique ?

L'approche prônée par sa Majesté c'est que la question du Sahara marocain est une question qui est traitée et gérée au niveau des Nations Unies. L'Union africaine n'est pas un acteur dans ce processus. Partant de-là, la relation avec tous les pays, quel que soit leur position sur la question nationale doit être la même. Il n'y a pas d'approche différenciée.

Cette approche de sa Majesté a été portée par tous les pays. Nous avons des relations avec beaucoup de pays qui continuent de reconnaitre la RAS mais nous sommes un pays qui voit loin. Ce qui est important, c'est qu'il faut construire des relations avec les pays et c'est qui amène la nuance nécessaire dans l'appréciation. Il ne faut pas oublier que cette histoire remonte à plus de 34 ans et que la nouvelle génération de dirigeants africains est une génération pragmatique qui n'a pas vécu les idéologies du 20ème siècle.

Ils ont une approche totalement différente de ce qu'avaient les prédécesseurs. Ils apprécient le Maroc. Sur leurs relations avec le Maroc, leurs positions évoluent. Pour beaucoup de pays la position a évolué. Tout le monde est aujourd'hui convaincu qu'il faut laisser le processus géré au niveau des Nations Unies et qu'il faut construire des relations politiques, diplomatiques, économiques durables, stables, fortes pour l'intérêt de tout le monde. C'est cette approche que sa Majesté et le Maroc stimulent et que le secteur privé du pays accompagne naturellement.

Comment vous allez faire pour convaincre les pays qui soutiennent le Sahara Occidental ?  

Moi, je pense que de plus en plus les pays qui ont soutenu cette prétendue République Arabe Sahraouie et Démocratique se rendent compte que c'était une fiction qui a été créée dans un contexte particulier de la région. Aussi bien la réalité de la région, des liens historiques, de l'intégration concrète des provinces du Sahara Marocain dans la vie constitutionnelle du Maroc est telle qu'un retour en arrière est difficile.

Dans l'approche qui est prôné aujourd'hui par les Nations Unies, le Maroc a toujours soutenu une position dont tout le monde se rend compte aujourd'hui. Le problème n'est pas entre le Maroc et le Polisario mais plutôt entre le Maroc et l'Algérie. S'il y a une négociation c'est en vérité entre ces deux pays. Le Polisario est une création qui est entretenue à l'intérieur de l'Algérie. Le problème est un problème historique qui ne pourra être dépassé et réglé qu'autour d'une table de négociation entre l'Algérie et le Maroc.

Dans son dernier discours, sa Majesté Le Roi Mohamed VI a appelé l'Algérie à venir autour d'une table pour discuter de bonne foi dans l'intérêt de la région, de son développement, sa stabilité et le tout dans un élan de responsabilité que le Maroc et l'Algérie ont vis-à-vis de leur espace régional qui est également le Sahel.

Ce qui exige qu'il y ait des discussions franches entre le Maroc et l'Algérie pour dépasser ce problème. Le Maroc a fait une offre considérée comme étant réaliste et qui est celle de l'autonomie des provinces du Sud. C'est cette position que le Maroc maintient avec force et conviction et beaucoup pensent que la seule issue possible ne peut être que celle-là.

Est-ce que le Maroc a actuellement une situation économique qui permet à son secteur privé de s'engager dans des investissements soutenus ?

L'avantage qu'a le Maroc c'est que le pays s'est inscrit dans une trajectoire de croissance sur la première décennie de ce siècle autour de 5%. Depuis 2011 jusqu'à aujourd'hui autour d'une moyenne de 3,5%. Ça veut dire que le pays maintient un rythme de croissance soutenu.

Quand on voit ce qui s'est passé dans les différents pays de 2011 à nos jours, en liaison avec les effets de la crise économique et financière mondiale, je pense que le Maroc fait partie des pays qui ont résisté à la crise. L'investissement public et privé ont toujours été soutenus. Mais en même temps, nous sommes un pays qui doit toujours envisager et construire des visions et des projets plus ambitieux et plus adaptés.

Le grand défi du Maroc c'est, aujourd'hui, d'assurer un développement territorial harmonieux. Comme tous les pays, nous avons le défi de l'emploi des jeunes, mais aussi l'accélération de l'entrepreneuriat parce que c'est ça l'avenir de la jeunesse. Ce n'est pas dans l'emploi classique mais de leur donner un cadre qui aide à exprimer leur potentiel avec des soutiens et des mesures qui les accompagnent vers ça. C'est pour cela que nous avons une nouvelle génération de start-ups qui réfléchit différemment et ça créé de la richesse sur le plan intellectuel mais surtout entrepreneurial pour le pays.

Il est vrai qu'il y a un léger infléchissement de l'investissement privé mais c'est lié soit à des difficultés d'un certain nombre de secteurs soit à un problème de stabilité de la demande extérieure. Le Maroc est très lié à l'Europe. C'est son marché naturel, sa profondeur en termes économique naturelle mais il est en connexion et en développement avec les pays et le voisinage africain.

C'est un pays qui est en train de réfléchir et de travailler sur un nouveau modèle de développement beaucoup plus inclusif avec des perspectives d'investissements beaucoup plus ouvertes, un espace beaucoup plus large pour le secteur privé dans l'investissement social.

Tout cela va régénérer une dynamique d'investissement. Je peux assurer que sur les 20 années, notre pays a continué sa croissance, son rythme d'investissement avec une grande attractivité de l'investissement extérieur, un développement d'écosystème qui a permis à beaucoup de secteurs de se développer comme l'automobile, l'aéronautique, les métiers du service…

La logistique est aujourd'hui un secteur en croissance. Tout ça fait que la diversification économique, le potentiel sur les 20 prochaines années qui doit être naturellement structuré et construit, va donner des possibilités pour l'investisseur marocain mais également tous les partenaires.

C'est pour cela qu'on a été toujours favorable à ce qu'il y ait des investisseurs africains qui viennent aussi s'imprégner de l'économie marocaine. Notre vision n'est pas une vision à sens unique mais dans les deux sens. Nous sommes heureux de voir qu'un groupe sud-africain va racheter une compagnie d'assurance marocaine.

On a reçu, il y a deux semaines des fonds d'investissement sud-africains qui sont venus pour prospecter et voir les possibilités d'investir. Donc il y a des choses intéressantes qui se passent et nous allons con

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