Addis Abeba — Quand viendra le moment de célébrer les niveaux de pauvreté extrême les plus faibles de l'histoire, l'Afrique devra veiller à ce que nos peuples ne soient pas laissés pour compte
Les dernières estimations du World Data Lab montrent que le monde entrera dans la nouvelle année avec un niveau de pauvreté extrême de 8%. Mais les taux à un chiffre qui seront enregistrés dans le monde cachent des différences sous-jacentes, particulièrement pour les pays africains. Six cent millions de personnes dans le monde commenceront l'année 2019 en vivant dans l'extrême pauvreté et seulement 20 millions y échapperont d'ici à la fin de la même année.
Une grande partie de la population de l'Afrique vit encore dans la pauvreté ou reste vulnérable. D'après les projections de l'Africa Poverty Clock (l'horloge africain de mesure de la pauvreté) dévoilées par la Commission économique pour l'Afrique (CEA), en 2019, 70% des pauvres à l'échelle mondiale se trouveront en Afrique, contre 50 % en 2015.
L'Horloge africain de mesure de la pauvreté sera un outil qui permettra de suivre et de diffuser les progrès réalisés sur un éventail d'indicateurs qui reflètent l'état de la situation sur le continent et les domaines qui nécessitent des efforts encore plus importants.
D'ici à 2023, le pourcentage de pauvres vivant en Afrique augmentera à plus de 80 % du taux des pauvres à l'échelle mondiale. En d'autres termes, l'Afrique contribuera à l'augmentation des pauvres sur le plan mondial. L'horloge africain de mesure de la pauvreté donne, en temps réel, des statistiques sur la situation de la pauvreté pour chacun des pays du continent, avec des prévisions qui vont jusqu'en 2030.
Les projections actuelles indiquent que presque tous les pays africains ne sont pas sur la bonne voie pour juguler la pauvreté extrême d'ici à 2030.
D'après les projections, treize pays devraient enregistrer une augmentation en chiffres absolus. Sept sur les dix pays où vivent les populations les plus pauvres du monde se trouvent en Afrique. Cette fraction devrait être neuf sur dix d'ici à 2030.
Pourquoi l'Afrique est-elle à la traîne?
Les progrès divergents de l'Afrique par rapport au reste du monde sont dus à quatre principaux facteurs.
En Afrique, le niveau de départ des populations pauvres est bien au-dessous du seuil de pauvreté fixé pour celles des autres régions du monde. Par conséquent, même si les revenus augmentent, ils sont rarement suffisants pour aider à sortir une proportion importante de la pauvreté. Pour l'Afrique, l'indice de réduction de la pauvreté qui mesure l'intensité ou la profondeur de la pauvreté est presque le double de la moyenne mondiale (15,2% en 2013). La moyenne mondiale est de 8,8 %.
La consommation moyenne des pauvres dans les régions de l'est, du sud, de l'ouest et du centre de l'Afrique est de 1,16 dollar par jour, soit 0,74 dollar au-dessous du seuil de pauvreté international, ce qui est une menace pour l'atteinte de l'objectif des ODD qui est d'éliminer la pauvreté d'ici à 2030.
Pour atteindre les objectifs de développement et sortir de la pauvreté extrême, l'Afrique doit monter à un niveau plus élevé de façon plus rapide.
La réduction de la pauvreté est également affectée par les inégalités au sein des pays. Le paysage des inégalités en Afrique se caractérise par des inégalités moyennes élevées, des inégalités extrêmes, comme c'est le cas en Afrique du Sud, en Namibie et au Botswana, et par des variations substantielles des tendances «à l'intérieur des pays». Dans de nombreux pays d'Afrique, les 20% de la population qui se trouvent être les plus riches contrôlent jusqu'à 60% de la richesse.
Si les niveaux des inégalités sont élevés, l'impact de la croissance économique se fait moins ressentir sur la pauvreté et ceci prouve le caractère non-inclusif de la croissance économique.
Les emplois et les compétences doivent répondre aux exigences des secteurs porteurs de croissance
L'inadéquation entre secteurs de la croissance économique et les opportunités d'emploi reste un défi. Les travailleurs pauvres d'Afrique se trouvent principalement dans le secteur informel, caractérisé par une faible productivité et de faibles revenus.
L'agriculture continue de jouer un rôle important dans la croissance économique et la transition vers l'industrie reste lente. Au Burundi, au Burkina Faso et à Madagascar, plus de 80% de la population active travaille dans l'agriculture.
Le secteur manufacturier africain n'a employé que 9% de femmes et 16% d'hommes en moyenne au cours de la décennie. Par ailleurs, malgré l'augmentation des emplois dans le secteur des services, la réalité est que les gens passent d'une agriculture à faible productivité à des activités informelles similaires à faible productivité dans les zones urbaines. Par conséquent, la croissance globale des revenus est faible.
Quand viendra le moment de célébrer les niveaux de pauvreté extrême les plus faibles de l'histoire, l'Afrique devra veiller à ce que nos peuples ne soient pas laissés pour compte
La croissance économique rapide est l'une des raisons pour lesquelles la croissance économique des 20 dernières années s'est traduite par une réduction limitée de la pauvreté. Il convient de souligner que le taux de croissance démographique moyen est de 2,6% et que la croissance annuelle par habitant, au cours du dernier quart de siècle, n'a été que de 1,1%, ce qui reste insuffisant pour permettre de réduire rapidement la pauvreté.
La baisse du taux de croissance démographique offre des opportunités uniques en leur genre.
Toutefois, il convient de souligner que le taux de croissance démographique observé au cours des deux dernières décennies a peu de chance de se reproduire au cours des prochaines décennies. Ceci offre aux pays une occasion unique d'avoir un impact significatif sur la réduction de la pauvreté.
Un meilleur avenir nécessite de l'action
Néanmoins, l'année 2019 pourrait marquer un tournant décisif dans les progrès de l'Afrique vers l'élimination de la pauvreté extrême d'ici à 2030. Ce sera pour la première fois, en 2019, que le nombre absolu de personnes vivant dans la pauvreté extrême baissera en Afrique.
Cependant, rien ne garantit que ce rythme se poursuive même en l'absence de bonnes politiques et actions publiques. Une croissance économique soutenue de l'ordre de 8 à 10% au moins est nécessaire pour permettre le saut décisif requis pour favoriser une réduction plus rapide de la pauvreté et l'atteinte des ODD.
Le fait que l'Afrique mette l'accent sur la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA), l'économie numérique et la montée en puissance en faveur de l'inclusion de la parité hommes-femmes sont de bon augure pour une croissance inclusive au cours de la prochaine décennie si les gouvernements adoptent des politiques budgétaires et structurelles adéquates pour encourager l'accroissement du secteur privé et améliorer le secteur des infrastructures.
Chronique signée Vera Songwe
Vera Songwe (@SongweVera) est la Secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique.