Afrique: Gérardine Mahoro, promotrice du développement africain - « Ce qui se joue aujourd'hui en Afrique pèsera de tout son poids pour les 50 prochaines années »

28 Décembre 2018
interview

Le Forum de haut niveau Afrique-Europe qui s’est tenu à Vienne, la capitale autrichienne, a vécu. Cette rencontre à laquelle avait pris part le président en exercice de l’Union africaine, Paul Kagamé du Rwanda a été un moment de prôner une nouvelle forme de coopération. Des mutations à venir que Mme Gérardine Mahoro, ancienne du projet Afrique pour les résultats (AfCoP) de la Banque Africaine de Développement (Bad), partage avec allafrica. Jeune dame qui se réclame des acteurs qui ont à cœur de faire bouger les lignes sur le continent et au-delà, cette promotrice de l’initiative, Wysly déconstruit certaines idées développées autour du dividende démographique et livre sa vision pour une meilleure Afrique.

Vous avez participé au Forum de haut niveau Afrique-Europe qui s’est tenu le 18 décembre 2018 à Vienne, en Autriche sur le thème : «Pousser la coopération vers l'ère numérique". Quelles sont les grandes résolutions qui ont sanctionné cette rencontre ?

En effet. Ce sommet coprésidé par le Président du Rwanda et de l’Union africaine, Paul Kagamé et le chancelier d'Autriche Sebastian Kurz pour l’Europe était la suite du travail commencé à Abidjan en 2017. Il s’agissait de préciser la mise en œuvre de la déclaration commune du sommet d’Abidjan entre l'Union africaine et l'Union européenne, qui avait pour thème "Investir dans la jeunesse pour une croissance inclusive et un développement durable accélérés".

Les Chefs d'Etat africains et européens ainsi que le président l’Union européenne et les représentants du secteur privé se sont réunis pour affirmer la volonté de concrétiser la coopération des deux continents en investissant dans la jeunesse et les projets de startups qui développent la digitalisation. Le renforcement du secteur privé européen et les investissements en Afrique ainsi que la nécessité d’apporter les modifications à la politique et au cadre nécessaire pour que cela se produise, ont été soulignés.

La Banque européenne d’investissement a finalisé la signature de trois opérations de financement d'environ 500 millions d'euros dans les TIC, l’énergie et les infrastructures de transport public en Afrique. L’Autriche a également affirmé la création d’un fond d’investissement pour les PME en Afrique initialement de 10 millions d’euros. Le Forum de la jeunesse de la diaspora africaine en Europe (ADYFE) à travers le « Accelerates Africa+ Conference » qui travaille avec les startups africaines, a apporté des recommandations importantes présentées aux chefs d’états contenant des actions concrètes pour la facilitation d’investissement et la création d’emplois sur le continent pour ne citer que cela.

Il y a eu quelques signatures et beaucoup d’annonces, mais on en a l’habitude n’est-ce pas ? Le plus important est de suivre de près la manière dont tout cela s’articulera et les actions menées afin de s’assurer que cela profite bien à l’Afrique. Il est plus que temps d’être exigeant et prendre le lead en matière de coopération et de tout autre contrat qui concerne nos pays d’ailleurs.

Connu pour les messages forts sur l’Afrique qu’il a l’habitude de divulguer partout où il va, le président Paul Kagamé a coprésidé cette rencontre. Il n’a certainement pas dérogé à la règle ?

Non et c’est une bonne chose. Le discours, le récit et le message envoyé aussi bien à l’Occident qu’à nous les Africains surtout à nos jeunes, compte. C’est la plus grande partie du travail d’outiller les esprits. Il n’a pas hésité, en sa qualité de président de l’Union africaine, de dire que désormais ça doit être « win win or no deal » et que l’Afrique est plus une place pour des opportunités que pour des risques. J’espère que les chefs d’états africains auront le courage de la fermeté afin de donner au continent la place qu’il mérite.

L'importance de promouvoir et mettre en place des politiques incitatives pour l'autonomisation des jeunes et l'éducation a occupé une place primordiale dans ce forum. Qu’est ce qui explique ce choix ?

La nécessité de revoir certaines politiques pour améliorer le cadre des investissements et le climat des affaires a été sujet à discussion effectivement. Toutes les politiques ou accords qui sont prises ne peuvent générer de résultat que s’ils sont soutenus par une volonté politique qui les accompagne localement en créant un cadre propice à celui-ci. Il y a tellement à faire et beaucoup de projets sont élaborés dans le bon sens et sont bien intentionnés mais, il se trouve que par manque de cadre ils n’aboutissent pas ou n’aboutissent qu’à moitié.

C’est une partie du problème qui créé tant de gaspillage de ressources intellectuelles, financières et surtout de temps depuis si longtemps. Le temps est crucial pour l’Afrique. Pendant 50 années, on a eu le temps de faire des erreurs qui nous ont menées à la situation actuelle. C’est à dire perdre la main sur l’exploitation de nos ressources naturelles, se laisser gangréner par la corruption, se laisser dépasser par une démographie absolument incontrôlée pour se réveiller un bon matin avec près de 60% de la population qui est jeune sans planification pour cadrer tout cela. Un vrai manque de stratégie.

Le temps est crucial car l’Afrique se trouve à la croisée des chemins entre le passé pendant lequel le continent a été plutôt exploité et économiquement inférieur, avec un avenir qui se décide aujourd’hui. Un avenir dans lequel les puissances occidentales d’hier ne sont plus si puissantes aujourd’hui et où le monde a besoin de l’Afrique plus que jamais tant pour sa créativité, sa main d’œuvre que pour ses terres. C’est un grand marché. Ce qui se joue aujourd’hui pèsera de tout son poids pour les 50 prochaines années. Il y a beaucoup de boulets que l’on traine depuis l’époque coloniale mais ce n’est pas l’essentiel de mon propos et de mon travail. Je veux me concentrer sur ce que nous Africains faisons pour nous avec ce que l’on a et ce que l’on est.

Pour toutes ces raisons la question de l’éducation n’est pas assez abordée en mon sens. C’est la base. Seuls les esprits aiguisés et confiants pourront s’emparer de l’opportunité qu’est la conjoncture actuelle afin de faire de cette démographie un atout certain. Pour le moment ce n’est pas le cas, il faut oser le dire. Malheureusement la priorité à l’éducation qui est dans tous les programmes nationaux, les ODD et l’Agenda 2063 de l’Union africaine n’est que théorique.

Quand on regarde de près l’évolution en matière d’éducation dans les pays sur les 10 dernières années, on se rend compte par exemple que les chiffres sur la scolarisation sont mensongers. Dans certains pays le taux de scolarisation officiel atteint les 80% et pourtant Il suffit de se balader dans les rues pour voir que ce n’est pas vrai. L’argent destiné à cette problématique continue de disparaitre, etc. Ce qui montre que le problème n’est pas encore pris à bras-le-corps.

L’atteinte du dividende démographique qui est aujourd’hui bien placée dans l’Agenda de développement de l’Union Africaine et le système des Nations Unies à travers d’organismes comme l’UNFPA a certainement été abordé. Êtes-vous du même avis que la forte démographie africaine est plus un atout qu’une lacune ?

Dans l’absolue une démographie importante vaut mieux que le contraire. Pour l’Afrique aujourd’hui, ce n’est pas le cas. L’on ne cesse de dire que l’Afrique est le continent d’avenir grâce à cette démographie entre autre et c’est bien vrai mais, on oublie souvent d’apporter quelques précisions. C’est le continent d’avenir mais pour qui ? Cette grande démographie en fait un grand marché et une manne pour la main d’œuvre qui sert aux grandes entreprises internationales.

Comme je le disais à l’instant, nous n’avons pas planifié et anticipé cette démographie, les fait sont édifiants : seuls 3 millions d’emplois formels sont créés par an alors que près de 10 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. Sur les 73 millions de jobs créés entre 2000 et 2008, seuls 22 % ont été décrochés par des jeunes alors qu’ils représentent près de 60% de la population. La population féminine qui représente la moitié est encore laissée de côté, etc.

Ne croyez pas que je suis pessimiste, au contraire, je suis très confiante car de plus en plus d’africains sont réalistes et essayent d’agir à leur niveau. Par ailleurs, il y a de plus en plus de volonté de mettre en place ces stratégies qui manquaient pour outiller ces jeunes.

L’atteinte du dividende démographique dont on parle est surtout abordé par l’aspect baisse et contrôle de la natalité. C’est très important mais ce qui me fait peur c’est que j’ai l’impression que c’est en train de s’imposer comme LA solution pour la croissance économique et donc améliorer la vie des gens, alors que ça ne devrait être qu’une des solutions. Le risque de présenter cela comme la grande solution est que toutes les stratégies et les priorités pourraient aller dans ce sens en laissant de côté les investissements et politiques nécessaires telles que, encore une fois, l’éducation des jeunes qui sont déjà là et l’autonomisation des femmes.

Il ne faut pas non plus oublier que le contrôle des naissances n’est jamais qu’une solution temporaire. En effet, si cela réussit, il y aura une petite population en âge scolaire et une plus grande population en âge actif. Quelques années plus tard la grande population en âge actif sera trop grande pour que la petite population en âge de scolarisation puisse s’en occuper. C’est aussi un problème. On n’a donc d’autres choix que de conjuguer toutes les stratégies parallèlement. Il n’y a pas de solution miracle et surtout nous avons besoin de leader qui ont des visions à très long terme et qui acceptent d’investir dans l’avenir et de semer des graines dont ils ne récolteront peut-être pas les fruits.

La coopération telle qu'elle est aujourd'hui a été passée au peigne fin. Quelles sont les nouvelles orientations qui se sont dégagées à l’issue de cette rencontre ?

Il y a une volonté affichée de mettre en place une coopération digne de ce nom, win win. La seule nouveauté que j’y vois c’est les Africains qui se mettent ensemble en incluant les jeunes, pour dire qu’on est conscient de notre potentiel. Que les frontières sont illusoires puisque ce qui se passe chez les uns a de l’impact chez les autres. Que nous sommes prêts à prendre plus de temps pour faire ce que nous devons faire plutôt qu’à nous laisser dévaloriser avec des contrats non concurrentiels. La volonté est là, le discours et là, les actes commencent à suivre. Les jeunes africains ont envie. C’est ce que je retiens.

Après votre passage à la Banque Africaine de Développement (BAD), vous vous lancez dans de nouvelles aventures mais toujours pour le développement de l’Afrique notamment par le billet de Wysly. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette initiative et surtout du plus que vous allez apporter à la gestion des projets en Afrique ?

Je milite pour la responsabilité individuelle et l’urgence de poser des actes concrets aussi petits qu’ils puissent être chacun à son niveau. Je crois que nous sommes une génération qui n’a pas d’autre choix que d’être engagée.

La création de Wysly il y a deux ans était pour moi le moyen de contribuer et d’accompagner les projets et les personnes auxquelles je crois en termes de conseil en stratégie et en gestion de projet accès sur les résultats, sans empiéter sur mon travail avec les organisations internationales telles que la BAD que vous avez cité qui, souvent, implique des enjeux économiques et politiques.

J’ai la chance de pouvoir travailler aussi bien avec de petites associations que sur des projets de haut niveau international en Afrique ou en Europe. Mettre mon expérience et ma compréhension des enjeux globaux et locaux au service des projets et des personnes que je choisi est ma façon de contribuer. Cela me permet aussi de constituer un carnet d’adresse de personnes qui partagent mon opinion et mon ambition/passion pour l’Afrique pour nous entraider tant que possible.

Travailler ensemble sera une des clés pour développer le continent. Je crois beaucoup en la solidarité même pour des choses simples comme parler au tour de soi d’un projet ou une personne qui fait avancer notre cause. Wysly me permet de le faire.

La dernière fois que je vous ai interviewé, c’était à Dakar à propos du projet l’Afrique pour les résultats AfCoP initié par la BAD, qu’en est-il ?

Oui, c’est vrai, j’adore Dakar ! Le projet continue. C’est un projet qui fait un travail de plaidoyer remarquable pour inciter à la culture des résultats et la redevabilité auprès des gouvernements, les parlementaires et la société civile.

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