Afrique: Dr. Moeti, Directrice régionale de l'OMS pour l'Afrique – « Notre objectif est d'éliminer complètement la transmission mère-enfant du VIH »

Dr Matshidiso Rebecca Natalie Moeti, Directrice régionale du Bureau régional de l'OMS pour l'Afrique
21 Janvier 2019
interview

En novembre 2015, les pays de la région Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC) se sont engagés à accélérer le rythme en réponse à l’insuffisance des progrès accomplis dans la riposte face au VIH pédiatrique. Trois ans après, ces deux régions sont toujours à la traine. Le Dr Matshidiso Rebecca Natalie Moeti l’a fait savoir à travers cette interview-bilan qu’elle a accordé à allAfrica.com, le mercredi 16 janvier 2018 à Dakar capitale du Sénégal en marge de la Réunion de haut niveau sur l’Élimination de la transmission mère-enfant du VIH (eTME) et couverture universelle du dépistage et du traitement du VIH pédiatrique dans la sous-région.

Pouvez-vous nous dire en quoi l'Afrique de l'Ouest et du Centre sont à la traîne par rapport à l'Afrique de l'Est et du Sud en matière de riposte au VIH?

Nous avons constaté, depuis 2015, que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale ont un retard par rapport aux autres régions notamment l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe en ce qui concerne l’accès aux antirétroviraux et l’accès au traitement pour le VIH/Sida. C’est par rapport aussi à la proportion de la population qui était dépistée, celle qui connait son statut VIH et celle qui est sous traitement, donc celle vivant avec le VIH/Sida. Donc, il y a lieu d’accélérer les actions au niveau des régions Afrique de l’Ouest et du Centre pour arriver aux cibles globales qui ont été adoptées par les pays.

2. En 2015, les pays de la région se sont engagés à rattraper le reste de l'Afrique, pouvez-vous revenir sur le plan de rattrapage qui a été mis en place?

Des pays de la sous-région ont développé un plan de rattrapage pour faire beaucoup d’efforts et accélérer les actions. C’est avec l’appui de l’OMS, d’ONU-SIDA et d’autres partenaires qui travaillent dans ce domaine. Ce qui devrait permettre d’augmenter le nombre et les proportions des personnes qui ont besoin du traitement du VIH-SIDA et leur faciliter l’accès au traitement. L’objectif visé était de faire face aux défis qui limitent l’accès aux antirétroviraux. Dans la plupart de ces pays, les systèmes de santé sont assez centralisés. Ce qui veut dire que le traitement était limité en milieu urbain où exercent les médecins ou quelques spécialistes qui sont permis à initier le traitement pour un malade. Le milieu rural souffre d’absence de médecins ou de spécialistes. Donc, ces pays se sont engagés à décentraliser le service. Les infirmières, les paramédicaux pourront maintenant participer au dépistage des malades et aussi proposer le traitement.

3. Comment l’OMS a-t-elle soutenu les pays dans ce plan de rattrapage et quels progrès ont été réalisés au cours des deux dernières années?

L’OMS s’est mise d’accord avec d’autres partenaires comme ONUSIDA, UNICEF, le programme VIH du Président des États-Unis…pour venir en aide aux pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Au niveau de l’OMS, nous avons augmenté la capacité de nos bureaux pays à travailler avec les gouvernements et les partenaires, au bénéficie des pays de la sous-région. Nous avons vu quels sont les goulots d’étranglement, quels sont les défis auxquels ils font face pour arriver à élargir l’accès au traitement. Non seulement, il y avait cette question de décentraliser le système de santé mais nous avons trouvé aussi qu’essayer de donner du service antirétrovirale de manière verticale ne marchait pas. Donc, il y avait toute une opportunité à exploiter comme amener les femmes enceintes à bénéficier des services prénatales pour se dépister et commencer le traitement.

Concernant les enfants, il s’agit des services de santé pour leur vaccination, le suivi de leur statut de malnutrition. Tout ça donne des possibilités au dépistage et de commencer le traitement si nécessaire. Nous avons constaté que les gouvernements via les ministères de la santé, ne peuvent pas faire ce travail tous seuls.

D’abord, avec le système de santé centralisé, il y a des opportunités au niveau communautaire en travaillant avec la société civile et les familles. Il y a beaucoup d’innovations qui ont été initiées au niveau des pays pour commencer les dépistages et les traitements. Il y a les dépistages familiaux qui permettent non seulement de prendre en charge les adultes mais aussi les enfants. Il y a aussi le travail qui a été planifié avec le secteur privé avec beaucoup de médecins qui peuvent amener leur capacité et leurs ressources pour appuyer ce que font les gouvernements. Donc, tout ça a été fait en étroite collaboration avec les ministères de la santé, les partenaires et l’appui technique de l’OMS, l’appui financier des partenaires comme le Fonds mondial.

4. Des progrès ont été accomplis pour répondre aux besoins des adultes vivant avec le VIH, mais qu'en est-il des enfants et des adolescents?

Nous sommes très encouragés par les progrès réalisés pendant ces trois années passées en ce qui concerne les adultes. Mais nous avons constaté qu’il y a beaucoup à faire concernant les enfants. Par exemple, les pays de l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale où vivent 11% des enfants du monde recèlent 33% des enfants affectés par le VIH-SIDA. Ce qui montre que le problème est disproportionnel dans cette sous-région. Cette situation est due au fait que leurs mamans ne sont pas traités. Il y a des femmes qui porteuses de VIH et qui accouchent. Ce qui cause une transmission mère-enfant du VIH.

Nous pouvons appuyer les enfants en faisant de sorte que toutes les femmes enceintes soient dépistées et de recevoir le traitement antirétrovirale pour prévenir cette transmission. Deuxièmement, le plan de rattrapage qui concerne les enfants et les adolescents cherche à arriver aussi à dépister les enfants, des médicaments qui sont adaptés aux besoins des enfants pour éviter de reproduire les mêmes erreurs commis avec les adultes en provoquant la résistance aux antirétroviraux.

Les adolescents ont aussi des besoins spécifiques. Nous savons que c’est un groupe qui est un peu perdu ou oublié. Il faut adapter le système de santé de service pour permettre aux adolescents d’être à l’aise et accepter d’être dépistés. Il faut aussi que le cadre législatif permette aux adolescents qui, contrairement aux personnes âgées ne peuvent pas décider, d’être dépisté et d’accès aux médicaments… Il y a tout un travail à faire concernant l’accès aux services des adolescents et des enfants.

5. Est-il possible d'éliminer les nouvelles infections à VIH chez les enfants?

Bien sûr ! Notre objectif est d’éliminer complètement la transmission mère-enfant du VIH. Nous sommes très encouragés de voir des pays comme le Cap-Vert qui sont arrivés à avoir un taux de couverture de plus 90% des femmes enceintes qui préviennent la transmission mère-enfant du VIH. Je crois qu’il est possible de voir augmenter le nombre de population de femmes enceintes qui ont le VIH. Il est aussi important de prévenir la transmission du VIH de façon primaire. Même si une personne vit avec le VIH-SIDA, il est possible, si le système de santé publique marche très bien, l’intégration du dépistage et du traitement afin que nous éliminons complément la transmission du VIH de la mère à l’enfant.

6. Comment les pays peuvent-ils éliminer les nouvelles infections à VIH chez les enfants?

Cela va d’abord avec un système de santé très fonctionnel où tout le monde arrive à avoir accès aux services intégrés y compris le service des antirétroviraux qui peuvent prévenir cette transmission. Il faut que tout le travail de la santé, même en milieu rural, les infirmières, les paramédicaux soient formés, que le système d’approvisionnement de nos pays fonctionne bien pour éviter des ruptures de stocks.

Il faut aussi augmenter le financement de la santé. Il faut non seulement avoir le financement international comme le Fonds mondial et d’autres bailleurs de fonds mais aussi les gouvernements doivent augmenter les financements domestiques pour le système. Ce qui concerne non seulement le VIH-SIDA mais pour permettre d’avoir assez de travailleurs dans le secteur de la santé et qu’ils soient bien motivés pour donner de bons services, l’approvisionnement qui marche très bien mais avoir aussi le système de données qui permet de suivre ce qui se passe. Ce qui va permettre de voir s’il y a un problème et un plan d’actions pour corriger. A mon avis, il est possible qu’on augmente ces services et éliminer la transmission du VIH et les enfants porteurs de VIH-SIDA. Cela nécessite une volonté politique, des financements domestiques, des partenariats et surtout travailler au niveau communautaire pour permettre aux ménages et aux familles de prendre en charge eux-mêmes leurs problèmes de santé.

En guise de mot de la fin, quel est le message fort que vous aimeriez adresser aux populations ?

Nous sommes très encouragés par les progrès réalisés dans les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale. Nous encourageons les gouvernements, le leadership, de continuer là où ils ont commencé, à aller de l’avant en investissant dans le système de santé. Il faut aussi travailler avec les communautés (toute la famille), dont nous encourageons à faire dépister tout le monde. Il est très important de connaitre son statut par rapport au VIH. C’est le début de la lutte pour être soigné et être traité à temps et éradique la transmission mère-enfant. 

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