Le dirigeant du géant étatique de l'énergie Sonangol vient d'être remplacé au moment où la société envisage de procéder à de nombreux désinvestissements d'actifs.
De nombreux précédents indiquent que la nouvelle élite dirigeante angolaise cherche à tirer parti des positions de favoritisme, alors que le président angolais en difficulté se heurte d'un côté aux divisions au sein de son parti au pouvoir et de l'autre à la perspective d'une situation difficile suite aux mesures d'austérité exigées par le FMI. EXXAfrica examine l'impact que les changements survenus à la tête de Sonangol auront sur les perspectives politiques et économiques de l'Angola.
Le 8 mai 2019, le président angolais, João Lourenço, a limogé Carlos Saturnino de la présidence de la société d'énergie publique Sonangol. Saturnino avait été nommé en novembre 2017 lorsque Lourenço avait destitué Isabel dos Santos, fille de son prédécesseur José Eduardo dos Santos, qui dirigeait auparavant la compagnie pétrolière d'État. Lourenço vient de remplacer Saturnino par Sebastião Gaspar Martins, ingénieur chevronné avec 40 ans d'expérience chez Sonangol, qui a récemment siégé au conseil d'administration de la société en tant qu'administrateur exécutif. Martins a auparavant dirigé le département d'Exploration et de Production (E&P) de Sonangol et supervisé les opérations de la raffinerie Sonaref. Il a longtemps été indiqué comme un chef potentiel de la très importante société pétrolière de l'état angolais.
Le président Lourenço n'a pas précisé publiquement la raison du renvoi de Saturnino. Apparemment, ce dernier est devenu le bouc émissaire de la crise du carburant dans la capitale Luanda et dans d'autres villes du pays.
Au cours des dernières semaines, les longues files d'attente des conducteurs sont devenues fréquentes dans la région de Luanda. La veille du remaniement de la présidence de Sonangol, Lourenço a fait une déclaration publique sur la crise de carburant, mettant en avant le manque de communication entre Sonangol et les autres institutions de l'État, sans fournir plus de détails sur l'origine rapportée des problèmes. De son coté, Sonangol a affirmé que les arriérés croissants que lui devaient ses clients industriels avaient affecté sa balance des paiements qui couvre les importations de produits raffinés tels que l'essence et le diesel. Angola importe 80% de ses produits pétroliers raffinés.
La destitution de Saturnino, qui était largement considéré comme un dirigeant compétent de la société pétrolière étatique, semble avoir pour objectif de détourner l'attention des problèmes économiques plus vastes auxquels l'Angola est actuellement confronté et qui ont été à l'origine de la pénurie de carburant. Des sources locales proches de Sonangol ont fait état de raisons plus profondes du renvoi de Saturnino, qui semble avoir perdu la position de favori auprès du 'czar' des politiques économiques de Lourenço, Manuel Vicente, ancien président de Sonangol et ancien vice-président du pays. La controverse autour de la nomination de Gaspar Martins est focalisée sur son rôle de PDG de la société pétrolière angolaise junior Somoil, créée par Vicente il y a près de 20 ans. Elle détient toujours des participations dans des blocs pétroliers offshore et des permis de production internes. Ce remaniement pose à nouveau des questions sur la très médiatisée campagne anti-corruption du Président Lourenço, qui a récemment subi plusieurs revers.
Des coups durs à la campagne de transparence
La plate-forme très populaire du gouvernement contre la corruption et en faveur de la libéralisation économique vise principalement à dissoudre la domination politique et économique de l'ancien président dos Santos et de sa famille. Le licenciement d'Isabel dos Santos de la présidence de Sonangol et la destitution du fils de dos Santos, José Filomeno, du fonds souverain du pays à la suite d'allégations selon lesquelles il aurait tenté de détourner 1,5 milliard de dollars américains, cadraient bien avec ce schéma. Selon des informations récentes, une autre fille, Welwitschia, aurait fui le pays après avoir été victime d'intimidation.
Elle peut aussi être suspendue de son rôle de législatrice du parti au pouvoir du fait de son absence. La plupart des membres de la famille dos Santos se trouvent maintenant au Royaume-Uni et en Espagne, tandis que certains risquent la détention s'ils retournent en Angola. Cette stratégie de ciblage des membres de la famille dos Santos a été extrêmement populaire en Angola, où on leur attribue des années de corruption, de mauvaise gestion et de népotisme.
La lutte contre la corruption a cependant connu plusieurs revers cette année. En mars 2019, José Filomeno dos Santos a été libéré sans inculpation, ainsi que son associé Jean-Claude Bastos de Morais, qui dirige la société de gestion d'actifs Quantum Global. Les libérations auraient été sécurisées après que Quantum Global ait assuré le retour d'actifs d'une valeur de 2,35 milliards USD sur des comptes bancaires britanniques et mauriciens.
On ignore si ces actifs ont été restitués à la banque centrale ou au fonds souverain angolais et comment ils ont été comptabilisés depuis. Des sources locales affirment que certains des fonds retournés ont été détournés vers des comptes sur lesquels le Trésor n'a aucun contrôle. L'appareil judiciaire angolais a à peine fonctionné depuis l'indépendance en 1975, et l'incapacité de condamner des accusés très en vue tels que dos Santos n'est donc pas surprenant.
Pendant ce temps, la réputation de transparence du gouvernement a encore souffert d'autres difficultés. En janvier, le Fonds monétaire international (FMI) est intervenu pour mettre fin au projet du gouvernement d'acheter 15 avions de Bombardier et de Boeing pour le transporteur national Angola, dans le cadre d'une transaction incluant une société apparentée à la famille du président. Le FMI a officiellement déclaré que l'achat contrevenait au respect de la part angolaise des objectifs énoncés dans la facilité élargie de crédit (FEC).
Il y a également eu peu d'arrestations de haut niveau sur des accusations de corruption depuis le début de l'année - en effet, les nouvelles arrestations auraient affaibli la position de Lourenço car elles pourraient semer la discorde au sein de l'élite du parti au pouvoir, le MPLA.
Plus inquiétant encore est le fait qu'en avril, le gouvernement a attribué la quatrième licence de télécommunications du pays à Telstar Telecomunicacoes, une entreprise peu connue, qui a battu 26 entreprises locales et internationales. L'accord a suscité une large condamnation, car Telstar n'a aucun dossier en matière d'opérations mobiles et la société même a été constituée un peu plus d'un an avant l'adjudication de la licence. Depuis lors, des rapports d'enquête ont affirmé que l'entité appartenait au général d'armée Manuel João Carneiro (90%) et à l'homme d'affaires angolais António Cardoso Mateus (10%). Nos sources reportent que l'appel d'offres a été attribué à Carneiro en échange de son soutien à la campagne électorale du président Lourenço.
Les deux autres opérateurs privés de téléphonie mobile angolais, Unitel SA et Telecomunicacoes Lda, appartiennent également en partie à des officiers militaires. Le siège social de Telstar à Luanda est d'habitude fermé et dégradé et son capital-actions ne s'élève qu'à 600 USD. L'affaire a été tellement parodié sur les médias sociaux que le président Lourenço a annulé l'appel d'offres et ordonné un nouveau processus.
Ces faits ont fait craindre que le gouvernement utilise la campagne de libéralisation et de transparence du président Lourenço non seulement pour démobiliser les opposants politiques, mais également pour s'assurer du soutien de son réseau d'alliés et de partisans. L'année dernière, EXX Africa a publié plusieurs articles d'analyse et dossier spéciaux, prévoyant avec précision un tel scénario, soulignant notamment l'influence de la famille du nouveau président et l'influence exceptionnelle de Manuel Vicente (voir DOSSIER SPÉCIAL: INFLUENCE POLITIQUE ET FAVORITISME DANS LE 'NOUVEL ANGOLA').
Manuel Vicente a de nombreux antécédents d'opérations obscurs lorsqu'il était président de Sonangol et vice-président de l'ancien président dos Santos. Sa famille et ses plus proches collaborateurs contrôlent un vaste réseau d'intérêts commerciaux en Angola, au Nigeria, au Mozambique et en Europe. Nombre de ces intérêts commerciaux ont été entachés d'allégations de corruption ou de mauvaise gestion par de diverses enquêtes internationales.
De l'autre côté, l'actuel président Lourenço, ancien-ministre de la Défense de dos Santos, n'a pas d'antécédents publiquement connus de tels irrégularités. Cependant, dans le rapport d'EXX Africa rendu public l'année dernière, nous avions soulevé plusieurs questions sur son rôle présumé dans l'acquisition d'équipement militaire à l'époque où il était ministre de la Défense par le biais du même réseau de sociétés et d'individus impliqué dans la « dette cachée » du Mozambique et les scandales d'affaires corruptives (voir DOSSIER SPÉCIAL: LES RETOMBÉES DU SCANDALE DE LA DETTE AU MOZAMBIQUE RISQUENT DE S' ÉTENDRE EN L'ANGOLA).
Restructuration du secteur pétrolier
Le remaniement au sommet de Sonangol intervient à un moment critique pour le secteur parapublic au cœur de l'économie angolaise. Le pétrole représente 95% des exportations et environ 70% des recettes publiques du deuxième plus grand producteur d'Afrique. Au début de l'année, Saturnino a présenté les plans d'une restructuration profonde de la société, comprenant notamment le désinvestissement de 52 joint-ventures, ainsi que la réduction des effectifs et une focalisation différente de ses activités pétrolières en Afrique. Saturnino a également cherché à améliorer l'efficacité et la transparence afin de stimuler la production qui pendant les dernières années a été en déclin constant. La production angolaise de pétrole est tombée à 1,478 milliard de barils par jour (bpj) en 2018, contre 1,632 milliard de bpj en 2017. Il a également fortement contribué à réduire l'arriéré de projets d'environ 5 milliards USD entre 2015 et 2017, éliminant certains des défauts de l'administration sous Isabel dos Santos. De plus, il a cherché à convaincre les grandes sociétés pétrolières, notamment Exxon Mobil, Total, Shell et ENI, de revenir en Angola ou d'intensifier leurs investissements.
On ne sait toujours pas si Martins suivra la même trajectoire réformiste qu Saturnino et le remaniement soulève des questions sur la résolution de la crise du secteur pétrolier. En 2018, l'économie angolaise a affiché des résultats inférieurs aux attentes, principalement en raison de la baisse des revenus du secteur pétrolier.
Face à la volatilité des prix du pétrole, aux interventions excessivement négatives du gouvernement, aux blocages administratifs et à un environnement commercial globalement défavorable, le secteur a enregistré une baisse importante de la production et des investissements. En dépit de son importante dotation en ressources - y compris le potentiel de production de plus de 2 millions de bpj à pleine capacité - l'étendue de la malaise économique d'Angola était tel que le gouvernement ne disposait que de très peu d'options autres que le recours au Fonds monétaire international (FMI) à la fin de l'année dernière. Le FMI a approuvé un prêt de 3,7 milliards de USD sur trois ans au titre du Mécanisme élargi de crédit (MEDC).
Depuis le début de l'année, le secteur rencontre de meilleures perspectives avec la reprise des prix du pétrole et une plus grande efficacité imposée dans toutes les opérations de Sonangol. Il existe des opportunités immédiates pour le secteur pétrolier et gazier angolais, telles que les appels d'offres de 2019 pour les blocs onshore et offshore annoncés en octobre 2018, qui constituent des mesures concrètes pour inverser la tendance à la baisse de la production.
Angola peut également prendre des mesures pour prolonger la durée de vie et la production de champs matures et attirer de nouveaux acteurs issus du segment en cours de déclassement. Ces efforts sont compromis par l'engagement de livraison de pétrole angolais à la Chine afin de rembourser des projets d'infrastructures antérieurs, dont beaucoup s'effondrent déjà. Près de 56% des exportations de pétrole angolais sont destinées à la Chine, pays par lequel Sonangol n'a pratiquement aucun revenu. L'Inde, l'Espagne et l'Afrique du Sud sont d'autres partenaires à l'exportation pour la vente de pétrole.
Plusieurs projets auront un rôle clé dans la transformation du secteur pétrolier angolais. La construction prévue d'un oléoduc entre l'Angola et la Zambie nécessitera plus de 5 milliards USD d'investissements nouveaux.
D'autres projets sont également en cours pour réhabiliter et moderniser les raffineries existantes (et en construire de nouvelles) dans le but d'augmenter la capacité de production de pétrole de l'Angola. Dans le cadre des réformes en cours dans le secteur pétrolière et gazière en Angola, il est rapporté que des efforts ont été fait pour attirer des investissements de la Société Pétrolière Nationale d'Abou Dhabi. L'année dernière, Total a mis en œuvre le projet Kaombo en eaux ultra profondes. Il est attendu à ce que les deux unités flottantes de stockage et de déchargement de la production de Total à Kaombo atteignent 230 000 barils par jour en 2019.
Aperçu
L'approbation du prêt du FMI a apporté une légitimité supplémentaire à la trajectoire réformiste de l'économie en cours depuis la prise de fonctions du Président Lourenço en septembre 2017. Toutefois, les réformes douloureuses exigées par le programme du FMI commenceront à produire leurs effets cette année. Nous prévoyons davantage de grèves et de protestations, de la part même des travailleurs qualifiés des villes et des employés du secteur public exposés à un ralentissement économique en raison des réductions d'effectifs et de la forte inflation qui devrait frôler les 20% au cours des trois prochaines années. Le FMI impose une discipline budgétaire comportant des mesures impopulaires telles que la suppression des subventions aux carburants et la dévaluation du kwanza. L'économie ne devrait pas connaître une croissance supérieure à 0,5% cette année, mais une ultérieure récession pourrait bien être évitée, dans la mesure où la croissance devrait reprendre dans les années à venir.
Les fidèles de l'ancien président dos Santos profitent des plaintes croissantes suscités par la crise économique et l'austérité du FMI. Entre-temps, le gouvernement cherche à faire des fidèles du dos Santos le bouc émissaire de la malaise économique affirmant que la grave pénurie du carburant est causée par des actes de sabotage économique. Cela commence à déchirer le parti au pouvoir, le MPLA généralement unifié, qui assure la stabilité politique de l'Angola depuis la fin de la guerre civile. Des sources locales bien placées nous disent que le parti pourrait se diviser de manière permanente à moins d'une amélioration de l'économie et d'un arrêt du 'spectacle des procès' des membres de la famille dos Santos et de ses proches.
Par conséquent, au cours des prochains mois tous les regards seront tournés vers Sonangol qui doit mettre en œuvre la restructuration promise. Tout signe montrant que Martins cherche à renverser de telles réformes ou à favoriser l'élite avec des offres de privatisation politiquement influencées annulera une grande partie des avantages économiques du programme du FMI. Il est à craindre que Somoil, qui est associé à la fois à Martins et à Vicente, puisse tirer indûment parti des ventes d'actifs de Sonangol.
Il existe de nombreux précédents selon lesquels le réseau des fidèles soutenant le président Lourenço cherche à capitaliser sur ses nouveaux postes de favoris. En même temps, Lourenço commence à être à court de boucs émissaires à qui attribuer la cause de la corruption et des problèmes économiques du pays.