Afrique de l'Est: Le traffic d'armes dans la corne de l'Afrique

(Photo d'archives) - Des soldats patrouillent dans le port de Kismayo, dans le sud de la Somalie, le 29 novembre 2012.
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Résumé

Le commerce des armes illégales dans la Corne de l’Afrique reste une activité très lucrative et étroitement liée aux groupes terroristes transnationaux, au trafic de drogue et au conflit dans le Yémen voisin. Ce commerce régional  d’armes se focalise sur la Somalie et ses régions semi-autonomes, où la demande d’armes reste immuable malgré divers embargos et autres sanctions.

Djibouti est devenue au cours des dernières années une plaque tournante de plus en plus importante pour le transport d’armes à des groupes armés dans la région. Il est de plus en plus évident que Djibouti agit comme un lieu de transit stratégique pour les armes provenant du territoire contrôlé par les Houthies au Yémen, qu'il expédie ensuite dans la région d'Awdal, dans le nord de la Somalie, par le biais de son participation au mission de maintien de la paix AMISOM.

Djibouti joue un rôle de plus en plus important dans le trafic d’armes dans la région alors que le gouvernement du pays cherche de nouveaux investissements étrangers dans son important secteur portuaire et ses industries connexes. De nombreuses sociétés djiboutiennes investies dans le secteur maritime en plein essor ont été impliquées dans le commerce illégal d’armes, ce qui a entraîné la réticence des investisseurs étrangers voulant participer à l’économie de Djibouti. La prolifération des armes à Djibouti suscite également des inquiétudes quant aux activités criminelles armées et au risque accru d'attaques terroristes dans un lieu fréquenté par des militaires étrangers.

Cependant, aucun des partenaires internationaux de Djibouti n’est disposé à signaler de tels risques, craignant la perte potentielle de leurs contrats sur des bases militaires stratégiques dans le pays. Une source locale a décrit le commerce des armes dans le golfe d'Aden comme un «chaos politique dans lequel la plupart des pays occidentaux ne veulent pas patauger». Malgré des preuves montrant des hauts responsables djiboutiens impliqués dans le commerce des armes, aucun effort n'a été consenti pour imposer des sanctions punitives á ces individus.

Le rôle de Djibouti dans le trafic d'armes régional va encore s'étendre, l'Érythrée et l'Éthiopie cherchant à s'entendre sur une paix durable qui aura des répercussions considérables sur la chaîne d'approvisionnement du commerce des armes dans la Corne de l'Afrique. Des groupes armés en Éthiopie, en Somalie et dans le Soudan, ainsi qu’al-Shabaab, comptent depuis longtemps sur l’Érythrée pour se procurer des armes. À mesure que l’Érythrée cherche à se rapprocher de l’Éthiopie et à revenir au sein de la communauté internationale, son rôle de plaque tournante du trafic d’armes sera considérablement réduit.

Djibouti, qui préfère une Somalie faible et une Érythrée isolée, va probablement combler le fossé et tirer parti de ses réseaux de trafic d'armes existants pour continuer à fournir des armes illégales aux groupes armés de la Corne de l'Afrique alors que l'Érythrée se retire potentiellement du commerce. Depuis qu’il a pris le contrôle du terminal portuaire de Doraleh, le gouvernement djiboutien semble se préparer à augmenter ses expéditions par le biais du principal port du pays. Cependant, la plupart des envois d'armes illégales par Djibouti continueront d'être effectués par des boutres plus petits via les communautés de pêcheurs de la côte sud-est et via le projet de port de Garacad.

La réticence des puissances occidentales et autres à agir contre les activités croissantes de trafic d'armes de Djibouti constitue une menace existentielle pour la sécurité de la Corne de l'Afrique et compromet les efforts actuels qui visent à mettre fin aux conflits de longue date dans la région.

Le Djibouti

Une oasis de paix dans une région violente ?

Les terminaux portuaires de Djibouti devraient être agrandis suite à l’intérêt croissant de l’Éthiopie et à la confiscation des avoirs portuaires de DP World. Néanmoins, le rôle du pays dans le trafic d’armes dans la région suscite de plus en plus d’inquiétudes.

Djibouti est souvent présentée comme une «île» sûre dans une mer de violence, entourée de voisins situés dans la région de la Corne de l’Afrique encore troublée. La stabilité politique apparente du pays est assurée par la présence de plusieurs bases militaires étrangères et une exposition relativement faible aux menaces régionales de sécurité. Le positionnement stratégique de Djibouti à proximité des voies de navigation les plus fréquentées au monde, contrôlant l’accès à la mer Rouge et à l’océan Indien, continue d’attirer les investisseurs africains, occidentaux, asiatiques et du Golfe, en particulier ceux des secteurs de la marine, de la construction, de l’aviation et de la défense.

Au cours des derniers mois, Djibouti a suscité une attention démesurée en raison de l’évolution du secteur maritime du pays et de la rivalité géopolitique autour de la position stratégique du pays dans la région troublée de la Corne de l’Afrique. La position de Djibouti à proximité des voies de navigation les plus fréquentées au monde, tout en contrôlant l’accès à la mer Rouge et à l’océan Indien, a assuré le pays de flux d’investissements favorables. La récente réussite économique du pays repose en grande partie sur ses ports, et en particulier sur le fait que son voisin sans littoral, l’Éthiopie, a décidé d’utiliser le port de Djibouti comme principal débouché.

Les terminaux portuaires de Djibouti vont revêtir une importance croissante alors que l’Éthiopie voisine cherche à augmenter ses expéditions par le port de Djibouti. Au début du mois de mai, l’Éthiopie s’est engagée à prendre une participation dans le port de Djibouti, la principale porte d’échange du pays. Djibouti recherchait des investisseurs pour son terminal à conteneurs Doraleh depuis la résiliation en février de la concession de DP World de Dubaï à la gestion du port, en raison de l’impossibilité de régler un différend contractuel d’une durée de six ans. En échange, Djibouti pourrait prendre des participations dans des sociétés éthiopiennes appartenant à l'État, telles que Ethiopian Electric Power et Ethio Telecom.

Le différend avec DP World a pour objet des rivalités régionales entre l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et d'autres alliés du Qatar et ses alliés, tels que la Turquie. Ces rivalités régionales ont placé Djibouti, ainsi que la Somalie, dans une nouvelle position d'influence et ont offert une bouée de sauvetage économique à leurs gouvernements. Toutefois, le développement du secteur maritime djiboutien et son expansion constitueront une préoccupation majeure: le rôle des ports du pays dans l’afflux d’armes illégales dans la Corne de l’Afrique et les conséquences du trafic d’armes sur la stabilité politique de Djibouti.

Le traffic d'armes à Djibouti

Djibouti est étroitement liée à la dynamique géopolitique de la région instable de la Corne de l'Afrique et à la guerre en cours au Yémen, tandis que ses bases militaires étrangères hébergent certains des systèmes d'armes les plus avancés de la région.

Djibouti possède un port d'importance stratégique dans une grande voie de navigation qui place le pays au centre du commerce et du trafic régional d'armes. La sécurité transfrontalière est faible, comme le suggèrent les grandes flux d'importations non réglementés du stimulant khat en provenance d'Éthiopie. De plus, avec le conflit violent au Yémen qui ne se trouve que 32 kilomètres à travers le détroit de Bab el-Mandeb, Djibouti est désormais étroitement liée à la dynamique géopolitique de cette région instable.

L’armée du pays joue un rôle important dans les missions de maintien de la paix  dans la région, notamment la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), une mission de maintien de la paix gérée par l’UA avec l’approbation des Nations Unies. Pour de tels déploiements, les forces armées djiboutiennes ont acheté des véhicules blindés Ratel-90 et AML-90 et des obusiers automoteurs M109, tandis que sa flotte aérienne comprend six avions aptes au combat et quelques avions d'attaque légers Embraer 314 Super Tucano. Ces systèmes d’armes ont été achetés légalement et servent aux missions d’autodéfense et de maintien de la paix régionales.

Djibouti exploite son avantage stratégique en accueillant non seulement la plus grande base militaire française en Afrique, mais aussi celle américaine du Camp Lemonnier, qui abrite environ 4 000 personnes, y compris des forces d'opérations spéciales, et constitue une rampe de lancement pour les opérations au Yémen et Somalie. L’armée japonaise dispose également d’une base de plus de 200 soldats. L'Allemagne et l'Italie ont aussi une présence militaire dans le pays. La France est notamment le garant extérieur de la sécurité de Djibouti, y compris de son espace aérien et maritime.

Le minuscule Djibouti abrite aussi des tensions géopolitiques entre les puissances mondiales rivales. Au début du mois de mai de cette année, le Pentagone américain s'est officiellement plaint à la Chine, affirmant que des ressortissants chinois avaient dirigé des lasers de qualité militaire sur des avions militaires américains près de Djibouti. La Chine, qui a nié ces accusations, possède à Djibouti sa seule base navale extérieure. Djibouti fait également office de centre logistique pour la lutte contre la piraterie et d’autres missions multilatérales dans la région - y compris la première mission navale conjointe de l’UE, EU NAVFOR Atalanta, une mission de lutte contre la piraterie.

C’est dans ce climat géopolitique tendu que les bases militaires étrangères de Djibouti maintiennent certains des systèmes d’armes les plus avancés de la région. La force opérationnelle interarmées combinée - Corne de l'Afrique (CJTF-HOA), basée à l'aérodrome de Chabelley, accueille au moins 14 drones non habités Predator et Reaper qui sont fréquemment déployés pour lancer des missiles Hellfire sur les territoires somaliens et yéménites. Camp Lemonnier accueille également un escadron d'avions de chasse F-15E Strike Eagle, des avions C-130 Hercules et des avions Osprey MV-22. La base française détient plusieurs avions de combat Mirage 2000.

En juillet 2018, des articles de presse ont révélé des preuves de la contrebande d'armes à grande échelle de la Chine à Djibouti. Notre propre enquête sur de tels articles a mis au jour des preuves moins convaincantes. De fait, nos interlocuteurs locaux estiment généralement que de telles routes de contrebande sur de longues distances seraient inutilement compliquées et risquées, étant donné la disponibilité immédiate d’armes de haute qualité dans le golfe d’Aden. Rien ne prouve non plus que les armes chinoises passent de la base de l'ALP chinoise à Djibouti au marché noir.

Djibouti est devenue une plaque tournante régionale du trafic d'armes, servant de lieu de transit stratégique pour les armes issues du Yémen tenu par les Houthies et les réexportant vers la région d'Awdal, dans le nord de la Somalie, par le biais de son participation au mission de maintien de la paix AMISOM.

Bien que nous ayons trouvé peu de preuves d’une contrebande directe d’armes par les Chinois à Djibouti, notre enquête a mis en évidence de plus en plus de preuves selon lesquelles Djibouti constituait déjà une plaque tournante du trafic régional d’armes. Des sources de renseignements locales suggèrent que le réseau le plus important est géré par un pêcheur somalien basé à Aden, présenté dans la version publique du présent rapport uniquement en tant que Personne X. Cette personne gère les chalutiers de pêche illégale dirigés par les réseaux marchands yéménites et somaliens. Il est également un important exportateur d’armes de Somalie. L’un de ses itinéraires d’exportation (avec ces boutres de pêche) est celui de Djibouti via le port de Saylac au Somaliland.

En 2016, le sultan de Gadabuursi (sous clan du clan Dir situé au nord de la Somalie), basé dans la région d'Awdal, aurait reçu une aide financière du gouvernement de Djibouti pour acheter du matériel militaire afin de soutenir leur pays dissident dans la résistance face au gouvernement du Somaliland. Les navires exploités par la personne X ont pu desservir des ports et des régions côtières allant de Na’aslei à Bula Har (juste à la frontière avec la région de Woqooyi Galbeed), avant que les armes ne soient acheminées par camion à Borama, la capitale régionale d’Awdal.

L’intervention militaire des États du Golfe au Yémen depuis 2015 a inondé la région d’armes et développé la contrebande illégale. La majorité du marché d’armes au Yémen est dominée par les Houthies qui, avec l'aide de l'Iran, font passer les armes en contrebande à l'étranger pour financer leurs efforts de guerre. Les armes sont exportées du district de Khokha, dans la province de Hodeidah, au Yémen, ainsi que de Mukalla, pour aboutir en Érythrée et à Djibouti. Dans une moindre mesure, les armes fournies aux Yéménites qui soutiennent le gouvernement soutenu par l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis se retrouvent également sur le marché noir pour l'exportation.

La majorité des armes en provenance de Yémen transitant par Djibouti arrivent toujours dans la zone du sultan de Gadabuursi, dans la région d’Awdal, pour appuyer ses revendications d’autonomie / indépendance. Selon une source, Djibouti a brièvement envisagé d’annexer cette zone mais actuellement s’en tient à un arrangement similaire à celui qui existe entre la Russie et l’Abkhazie: un contrôle de facto grâce à la fourniture d’un soutien militaire, mais avec un régime fantoche en place. Apparemment, la région d’Awdal abrite de précieux gisements de pierres précieuses, sur lesquels Djibouti tient à exercer son contrôle.

Des sources de renseignements locales suggèrent que le gouvernement de Djibouti tolère le commerce d'armes en provenance du Yémen et détient parfois une participation dans de tels flux illégaux d'armes. Les armes sont distribuées en Somalie par le biais de la mission AMISOM. Nos sources ont identifié un colonel issu du sous-groupe Issa du clan Dir, présenté dans la version publique de ce rapport uniquement comme étant ‘le colonel’, comme l'un des plus hauts responsables militaires de Djibouti basé à Beledweyne (province de Hiran) dans le cadre de l'AMISOM, et ayant des liens étroits avec le commerce des armes à Beledweyne.

Selon un rapport des services de renseignement nationaux somaliens daté du 18 juin 2018, le colonel aurait quitté le quartier général de la mission pour se rendre dans un camp d’entraînement situé à proximité d’al- Shabaab. Lui et une équipe de sept de ses hommes ont fourni des armes aux militants (notamment 45 x AK47 PCS, 9 x BKMS et 5 x RPG7). Une partie du rapport suggérait que son groupe a également fournie une formation de sept jours sur l'utilisation tactique de ces armes. Comme avec d'autres rapports de ce genre, il semble peu probable que le colonel agisse sans instructions de ses supérieurs.

Des sources ont également signalé la concurrence sur le commerce régional d’armes entre les troupes djiboutienne et éthiopienne de maintien de la paix. Les forces éthiopiennes de l'AMISOM basées dans la même région que les forces djiboutiennes (province de Hiran) se sont battues à plusieurs reprises contre les forces djiboutiennes en raison des suspicions mutuelles découlant des rumeurs selon lesquelles des armes auraient été transférées à al-Shabaab dans la région.

Le commerce d’armes illégales implique de hauts responsables gouvernementaux à Djibouti, ce qui laisse supposer que le terminal portuaire de Doraleh, désormais contrôlé par le gouvernement et qui souffre de contrôles douaniers faibles, deviendra de plus en plus une plaque tournante du commerce des armes. Toutefois, les flux les plus importants d’armes illégales continueront d’être acheminés via les communautés de pêcheurs de la côte sud-est et via  le projet du port de Garacad.

Jusqu'à présent, et au cours des dernières années, le terminal de Doraleh qui était exploité par DP World, n'était pas utilisé pour le trafic d'armes. Selon des sorurces de renseignements locales, le terminal, qui est maintenant sous le contrôle du gouvernement, pourrait à l'avenir servir de centre de traitement du commerce d’armes illégales.

Il semble que le terminal de Doraleh sera de plus en plus utilisé pour le commerce des armes. Le président de l’Autorité portuaire et des zones franches de Djibouti (DPFZA), Aboubaker Omar Hadi, est un ami proche d'Ali Abdi Aware, un homme d’affaires très en vue et trois fois candidat à la présidence du Puntland. Ils sont conjointement impliqués dans une affaire dans lequel Aware est personnellement en charge de CAC International, la banque de l’ancien président du Yémen, Ali Abdallah Saleh. Cette banque a son siège social à Djibouti. Des renseignements recueillis localement suggèrent qu’Omar Hade aurait aidé à l’enregistrement de la banque et détiendrait des parts dans celle-ci (« une partie des composantes investissement »). De plus, Omar Hadi a établi une succursale bancaire à Bosaso en mesure de blanchir de l'argent pour des institutions clandestines qui font d’ importations d’armes du Yémen, la banque étant originaire du Yémen.

M. Aware est également très bien connecté avec le gouvernement du président Guelleh ; c’est lui qui a mis en place l’assistance de la région du Puntland à Djibouti, donnant 900 chameaux à Djibouti lorsque le pays a eu un conflit armé avec son rival érythréen concernant le litige sur les îles Doumeira. Il a également aidé Djibouti à obtenir du gouvernement saoudien un engagement à investir dans la construction de routes en 2009, lorsque le général Adde Muse Hersi, aujourd'hui décédé, était président du Puntland.

Effectivement, le commerce d’armes illégales à Djibouti s’étend aux plus hauts échelons du gouvernement. Des renseignements recueillis localement confirment qu’une entreprise qui, dans la version publique de ce rapport sera désignée par la Société Z, appartient à la famille Guelleh et gère le commerce d'armes. La Société Z s’occupe uniquement d’importations d’armes en Somalie. Ces mêmes armes sont souvent distribuées à des factions politiques soutenues par le gouvernement.

Tout cela laisse penser que le terminal de Doraleh commencera à jouer un rôle plus important dans le trafic régional d'armes. Des renseignements recueillis localement suggèrent que le port principal de Djibouti n’est pas sûr et que les procédures douanières sont poreuses, ce qui facilite les transferts illicites. Néanmoins, comme ce terminal restera l’un des principaux centres d’import-export de Djibouti, la surveillance internationale des flux de marchandises est élevée, ce qui limitera l’utilisation du port comme centre pour le commerce d’armes. Toutefois, des sources indiquent qu’une bonne partie du commerce illégal d’armes n’a pas besoin de transiter par le port principal de Djibouti. Il est effectué par des embarcations plus petites via les communautés de pêcheurs sur la côte sud-est.

En outre, Djibouti est dorénavant impliqué dans la construction du port de Garacad suite à un désaccord politique avec le gouvernement somalien en ce qui concerne le rapprochement Érythrée-Éthiopie-Somalie, à la suite de la réunion entre le président somalien et son homologue Afewerki à Asmara. Ainsi Djibouti tire profit du désaccord sur la région du Puntland avec le gouvernement somalien au sujet du port de Garacad. Le premier ministre Hassan a récemment visité la région et a été invité à la grande ouverture du projet Garacad, mais il a refusé de s’y rendre car le gouvernement somalien a récemment commencé le plan de construction du port de Hobyo, à seulement 90 km de là.

Les tensions sont palpables entre le gouvernement somalien et Djibouti concernant son implication dans ce projet. Des renseignements recueillis localement suggèrent que le gouvernement somalien craint, à juste titre, que Djibouti l’utilise comme base pour transférer des armes du golfe d'Aden vers la région du Puntland, puis vers la Somalie elle-même (voir les commentaires précédents sur le soutien aux factions déstabilisantes en Somalie, comme al-Shabaab). À noter également que Garacad, ancien territoire pirate de 2008 à 2011, est une plaque tournante régionale pour le débarquement de cargaisons d’armes. Des bateaux aux allures de navires de pêche y débarquent toujours à des fins de contrebande.

C’est à Garacad que Djibouti joue son rôle le plus important dans le trafic régional d'armes. Les entreprises de logistique, de fret et de construction impliquées dans le projet de port de Garacad appartiennent souvent à des hauts fonctionnaires et officiers militaires de Djibouti. La plupart des matériaux de construction pour le projet seront transportés par voie terrestre depuis Djibouti, ou expédiés via la côte au large de Garacad. Les occasions de contrebande d'armes y sont abondantes. Encore une fois, les rapports du Groupe de contrôle des Nations Unies pour cette région incluent les noms de certaines entités qui, selon des renseignements recueillis localement, sont toujours exacts.

Les implications de la prolifération du trafic d'armes par Djibouti

Les bases militaires étrangères à Djibouti et les missions multilatérales dans la région ne sont actuellement pas préoccupées par la réduction du trafic d'armes, tandis que les partenaires occidentaux ne sont pas disposés à se lancer dans le chaos politique du commerce des armes dans le golfe d'Aden.

Un des centre d'intérêt des forces navales occidentales dans la région est la confiscation et l'élimination des armes illégales transitant par le golfe d'Aden (voir les images dans la section sur l'Érythrée). Cependant, cela a tendance à rester lié aux activités anti-piratage plutôt qu’à perturber les réseaux de contrebande sur terre. De plus, le commerce des armes illégales n’est pas le point de mire des forces terrestres dans des zones telles que le Camp Lemonier, la base française Héron ou l’aéroport de Baledogle.

Une source faisant partie de la sécurité à Mogadiscio a déclaré: «Le commerce des armes dans le golfe d’Aden est un chaos politique dans lequel la plupart des pays occidentaux ne veulent pas patauger. On peut avoir quelques raids sporadiques de forces spéciales, comme au large de Djibouti en 2015, mais d’une manière générale, tant qu’ils ne pensent pas que vous êtes un pirate, vous êtes prêt à partir. En fait, les États-Unis ont spécifiquement déclaré qu’ils retiraient leurs forces spéciales en Afrique. Nous verrons donc encore moins d’efforts dans ce domaine. Je ne pense pas avoir jamais entendu parler d’une frappe de drone en Somalie visant spécifiquement les trafiquants d’armes. L’accent est mis à présent sur la lutte contre l’influence chinoise dans la région et non sur l’interdiction de la contrebande d’armes ».

Une autre source similaire au Puntland a déclaré: «La contribution nette de ces bases militaires étrangères à la situation en matière d’armes est neutre, voire négative dans certains cas. Al-Shabaab a eu quelques grands succès ces dernières années en interceptant des convois à destination de Baledogle et en volant toutes les armes destinées aux forces spéciales américaines. Je pense que le retrait des États-Unis fait peu de différence. La croissance de la présence chinoise fait également peu de différence, compte tenu de leur principe déclarée de non-ingérence dans la politique intérieure. »

C’est ce sentiment de complaisance et ce manque de volonté politique des puissances étrangères de s’immiscer dans le commerce complexe des armes dans le golfe d’Aden qui constitue potentiellement la plus grande menace de prolifération du trafic d’armes via Djibouti. Alors que les terminaux portuaires de Djibouti, stratégiquement placés, revêtent une importance encore plus grande pour le commerce régional, tout en restant relativement peu surveillés, le flux d’armes illégales va probablement proliférer.

La prolifération des armes de petit calibre à Djibouti en raison des flux croissants de trafic d'armes augmente déjà le nombre d'activités criminelles armées, tout en constituant une menace accrue d'insurrection et de terrorisme.

L’augmentation du trafic d’armes à Djibouti a également une conséquence nationale. Les activités criminelles armées et la violence politique seraient intensifiées par une prolifération des armes légères. Djibouti importe déjà des armes légères de pays européens, tels que la France, l'Allemagne, le Danemark, Malte et d'autres, ainsi que des États-Unis, de la Chine, du Japon et de la Turquie. Ceux-ci sont principalement possédés par l'armée et la police. Des sources locales signalent cependant que les groupes criminels se procurent un nombre croissant d'armes légères illicites. De plus, le taux de formes courantes de violence armée, en particulier de violence interpersonnelle et d'homicide par arme à feu, a régulièrement augmenté au cours des dernières années.

Malgré la relative stabilité politique de Djibouti, qui bénéficie d’un large soutien militaire et diplomatique aux niveaux régional et international, la dynamique de son influence locale reste marquée par de profondes divisions politiques et claniques. Le paysage politique djiboutien est toujours caractérisé par des divisions entre Issas et Afars, qui sont les deux clans dominants. Les précédentes élections ont été marquées par des flambées de violence. Depuis l'année dernière, l'environnement politique s'est considérablement déstabilisé. En février 2018, l'alliance de l'opposition a boycotté les élections législatives. Les tentatives pour sortir de l'impasse politique ont jusqu'à présent échoué. L'impasse actuelle dans les négociations entre l'alliance de l'opposition et le gouvernement sur la réforme politique met en péril tout accord de réforme politique, tout en augmentant la probabilité d'émeutes dans les prochaines années.

En même temps, une répression politique croissante est susceptible de susciter des troubles. Bien que Djibouti ait un système politique multipartite et que les partis d'opposition soient autorisés à exister, le traitement des dissensions politiques par le gouvernement suscite souvent les critiques d'organisations internationales telles que Human Rights Watch et les gouvernements occidentaux. Des centaines de militants de l'opposition ont été emprisonnés à la suite de manifestations et sont souvent accusés de désordre public. Les problèmes sociaux actuels tels que le chômage et la pauvreté continuent d'alimenter le mécontentement politique. En outre, l'absence persistante d'un système politique permettant à ceux qui ne sont pas satisfaits du statu quo de contester le parti au pouvoir ne fera que renforcer les tensions politiques et potentiellement nourrir la renaissance d'une opposition armée. Une telle opposition armée tirera probablement son soutien principalement de la communauté Afar, mais ne constituera probablement pas une menace existentielle pour le régime actuel.

Enfin, la disponibilité des armes de petit calibre devrait également jouer entre les mains de groupes militants et terroristes cherchant à prendre pour cible Djibouti. La présence continue de milliers de forces militaires américaines et françaises à Djibouti fait de ce pays une cible potentielle pour les terroristes islamistes. Des groupes militants tels qu'Al-Qaïda et son affilié régional al-Shabaab, basé en Somalie, identifient Djibouti comme une cible. Al-Shabaab a menacé à plusieurs reprises les pays qui disposent d'une présence militaire en Somalie et a mené avec succès des attaques au Kenya et en Ouganda. On a pris conscience de la menace d’al-Shabaab lorsqu’en mai 2014 le groupe a lancé une attaque à l'aide d'engins piégés dans un restaurant de la ville de Djibouti, tuant un ressortissant étranger et blessant plusieurs autres.

Le groupe a justifié l'attaque en citant l'engagement de l'armée djiboutienne en Somalie auprès de l'AMISOM et son soutien à la présence militaire occidentale dans la région. Des attaques terroristes de cette ampleur sont probables à l’avenir; cependant, les services de renseignement et la présence militaire occidentaux atténuent les risques d'attaques de grande envergure telles que celles observées au Kenya (2013) et en Ouganda (2010).

L’Erythrée

Statut international d’état paria et embargos sur les armes

L’instabilité de l’Érythrée a créé une insécurité et une violence intense dans toute la région, tandis que les embargos sur les armes et l’isolement diplomatique qui en résultent ont favorisé un important commerce d’armes illégales dans la Corne.

L’Érythrée est devenue l’un des États les plus isolés et les plus fermés du monde à la suite de son conflit frontalier de deux ans avec l’Éthiopie voisine, qui s’est achevé en 2000. Cela contraste avec son début prometteur en tant qu’État-nation en 1993 après son indépendance de la domination éthiopienne obtenue grâce à une lutte armée de 30 ans. Bien que le dernier conflit avec l’Éthiopie depuis juin 2000 n’a pas connu de combat sauf des escarmouches mineures, le gouvernement de Asmara a utilisé le refus de l’Éthiopie de se conformer à une décision internationale sur la frontière pour maintenir le pays sur le pied de guerre et le gouverner sous un état d’urgence plutôt que de se concentrer sur le développement. Cette situation de limbo et le rôle négatif du gouvernement de Asmara dans la région élargie de la Corne de l’Afrique ont compromis les relations du pays avec la communauté internationale, y compris l’ONU et l’Union africaine régionale, soumettant l’Érythrée à des sanctions internationales et entravant tout effort de développement.

L’instabilité de l’Érythrée a provoqué une insécurité et une violence intense dans toute la région. Au cours des dernières années, le gouvernement érythréen a été attaqué par des groupes rebelles érythréens, tels que le Front national de salut (ENSF), l’Organisation démocratique des Afars de la mer Rouge (RSADO), le Congrès populaire érythréen, le Mouvement démocratique pour la libération des Kunamas érythréens et le Parti islamique d’Érythrée pour le développement et la justice. Pendant ce temps, il y a eu aussi des combats sporadiques à la frontière avec l'Éthiopie. Le Groupe de surveillance des Nations Unies a également accusé l'Érythrée d'avoir organisé des attaques contre l'Éthiopie, notamment lors du sommet de l'Union africaine en 2011, bien que l'Érythrée ait démenti ces accusations.

Les dépenses militaires de l’Érythrée sont parmi les plus élevées au monde, avec environ 20% du PIB. Outre le maintien de 200 000 soldats en activité et de 120 000 réservistes, l’armée du pays a acquis un arsenal impressionnant de matériel. Les systèmes d'armes érythréens comprennent un grand nombre de chars T-54 / T-55, de véhicules de reconnaissance et de transports de troupes blindés, ainsi que de véhicules de combat blindés d'infanterie BMP-1. Ses forces aériennes comprennent également des avions aptes au combat et des hélicoptères d’attaque et de soutien. Le Groupe de contrôle des Nations Unies note que les avions de combat les plus sophistiqués de l’Érythrée sont les Mig-29 Fulcrums, les Su-27 Flankers et les hélicoptères de combat Mi-24 Hind. Cependant, de nombreux systèmes ne sont pas opérationnels et sont en mauvais état. Les effectifs militaires du pays se sont certainement affaiblis. Plusieurs embargos et sanctions ont été imposés à l'Érythrée, empêchant toute nouvelle acquisition majeure.

Par conséquent, l’Érythrée aurait eu recours au trafic illicite pour répondre à certains de ses besoins en matériel. Les sources du trafic d'armes en Érythrée incluent la Russie, la Bulgarie et la Corée du Nord. L’imposition en 2009 de sanctions globales par l’ONU contre l’armée érythréenne suite au prétendu soutien de l’Érythrée à al-Shabaab a permis de faire de la Corée du Nord l’un des seuls pays à accepter de vendre des armes à l’Érythrée. En même temps, les forces armées érythréennes se sont impliquées dans le trafic d’armes et de personnes d’Érythrée à destination de l’Égypte (le Sinaï) via le Soudan. La section ci-dessous présente certaines des preuves les plus récentes obtenues lors de nos enquêtes.

Le traffic d’armes en Erythrée

Des officiers et des hauts fonctionnaires érythréens sont profondément impliqués dans le commerce régional des armes, facilitant les envois d'armes vers des destinations sous embargo telles que le Soudan, le Sud-Soudan et la Somalie. Par le passé, l’Érythrée avait également envoyé des armes au groupe militant islamiste al-Shabaab, tout en continuant d’armer les groupes rebelles éthiopiens.

Bien que le récent rapprochement entre l’Éthiopie et l’Érythrée puisse changer cette dynamique dans un avenir proche, l’Érythrée participe depuis de nombreuses années à l’armement et à la formation de factions militantes dans la région, dont al-Shabaab, le Front nationale  de libération d’Ogaden (ONLF) et le Front de libération Oromo (OLF). Depuis 2009, le Groupe de contrôle des Nations Unies a accusé le gouvernement du président érythréen Afwerki de fournir un soutien matériel à ces trois groupes.

Saylac et Lughaya (tous deux situés dans la région d’Awdal, au Somaliland) ont été identifiés comme lieux de transfert d’armes entre le gouvernement érythréen et ces groupes. Le long de la côte sud de la Somalie, les ports d’El Hur et de Harardhere dans la région de Mudug ont été utilisés pour faire passer en contrebande des armes érythréennes à l’aide de petites boutres de pêche. Plusieurs livraisons ont été signalées entre 2009 et 2015.

La guerre civile au Yémen a amplifié l’accès de l’Érythrée aux armes, car l’Erythree fait partie de la coalition du Golfe, et ses troupes sont déployées auprès des forces armées des Émirats arabes unis à Al Hudaydah et à Aden. Des sources  de renseignements locales ont suggéré que des responsables militaires érythréens participent à la vente d'armes où les armes sont exportées du Yémen et fournies aux factions rebelles soudanaises et sud-soudanaises. Ces armes sont généralement acheminées à travers la mer Rouge ou le golfe d'Aden avec des passeurs somaliens dans le rôle d'intermédiaires.

Des sources suggèrent que ce commerce bénéficie du soutien tacite des responsables saoudiens et des Émirats Arabes Unis, qui souhaitent maintenir l'Érythrée «à leur côtés» et espèrent voir une partie des armes transférées à leurs sympathisants régionaux dans le conflit yéménite. Il n’est pas clair s’il s’agit d’une politique gouvernementale ou des actes de quelques responsables militaires corrompus qui sont sur le terrain dans la zone de conflit.

Les Érythréens sont réputés dans la région pour avoir accès à des armes modernes de haute qualité. Vous trouverez ci-dessous deux images de 2016 montrant une cargaison d'armes provenant d'un boutre iranien, qui a été interceptée au large de la côte de Saylac par les forces navales internationales. Selon des sources de renseignements locales, cette cargaison aurait été organisée par l’Érythrée et serait destinée au Soudan.

Selon trois contacts régionaux différents qui travaillent dans la sécurité, l’Érythrée est depuis 2006 le principal centre de formation militaire et de logistique pour al-Shabaab. Les armes transportées depuis leurs ports maritimes (notamment autour d’Assab et de Halib) ont été débarquées à Baraawe, Harardhere et El Hur en Somalie. De nombreux rapports de renseignement, y compris ceux du Groupe de contrôle des Nations Unies, suggèrent que des armes ont également été transportées par avion à al-Shabaab dans les régions centrale et sud de la Somalie en 2009, bien que cette pratique ait été abandonné au profit de la navigation afin de garder un profil plus bas compte tenu de la présence de l'AMISOM dans la région.

Le rapport de 2014 du Groupe de contrôle des Nations Unies implique dans le commerce régional des armes plusieurs officiers supérieurs et responsables militaires érythréens, dont le général Teklai Kifle "Manjus" et le directeur de la filiale de Teseney de la Société de la mer Rouge, Nusredin Ali Bekit.

La paix  enfin? L’Ethiopie fait des pas en avant vers l’Erythrée, son ennemi de longue date

Les partenaires internationaux ont félicité l’avancement de l’accord de paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée et les deux pays devraient en tirer des avantages économiques substantiels, mais les négociations ne tiennent pas compte du rôle important de l’Érythrée dans le trafic régional d’armes. Djibouti est donc prêt à accroître sa part de marché dans le commerce illicite des armes, en particulier celles venant du Yémen vers la Somalie.

Le 14 juillet, le président érythréen, Isaias Afwerki, a entrepris sa première visite en Éthiopie depuis plus de deux décennies. L’Érythrée s’est officiellement séparée de l’Éthiopie en 1993, mais les deux pays ont mené une guerre de frontière en 1998. Un accord de paix a été signé deux ans plus tard, mais l’Éthiopie avait jusqu’à présent refusé de l’appliquer. Cependant, le 5 juin, le nouveau Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a déclaré que son gouvernement accepterait inconditionnellement la décision de l’ONU de 2002 qui attribue à l’Érythrée le territoire contesté de Badme et autres territoires contestés.

La visite d’Afwerki à Addis-Abeba fait suite à la mission de réconciliation très médiatisée d’Abiy à Asmara le 8 juillet. Les deux dirigeants ont signé une déclaration commune mettant fin à leur « état de guerre » et ont promis de mettre en œuvre l’accord de paix d’Alger signé en 2000 qui met fin à la guerre des frontières. Les partenaires internationaux ont largement salué les initiatives de paix, car la réconciliation entre l'Éthiopie et l'Érythrée serait bénéfique pour la sécurité dans la zone instable de la Corne de l'Afrique, et devrait limiter les flux d'immigrants érythréens vers l'Union européenne.

Depuis la déclaration de paix, les deux pays ont rétabli leurs lignes téléphoniques et se sont engagés à ouvrir des ambassades, à développer des ports et à reprendre les vols. La visite de la délégation érythréenne dans un parc industriel de la ville de Hawassa, dans le sud de l’Éthiopie, montrait que l’Éthiopie souhaitait élargir l’accès aux ports pour ses secteurs d’exportation. L’Éthiopie est constamment à la recherche de nouvelles voies d’exportation afin de réduire sa dépendance à l’égard du port de Djibouti, tout en se montrant intéressée par les courants d’échanges commerciaux entre les ports érythréens d’Assab et de Massawa.

Entretemps, l’Éthiopie a demandé à l’ONU de lever les sanctions contre l’Érythrée, qui devrait également rejoindre l’organe régional dominé par Addis, l’Autorité intergouvernementale pour le développement. Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a exprimé son espoir que le Conseil de sécurité de l'ONU supprime les sanctions contre l'Érythrée, d'autant plus que les enquêtes de l'ONU ont révélé que l'Érythrée ne fournit plus d'appui matériel aux milices islamistes d'al-Shabaab.

Au cours de sa visite en Érythrée, M. Abiy a rencontré des représentants de groupes armés opérant contre l’Éthiopie et venant d’Érythrée. Auparavant, il avait supprimé les désignations de «terroriste» de Ginbot 7, du Front de libération Oromo (FLO) et du Front nationale de libération d’Ogaden. Une faction du FLO hébergée par l'Érythrée serait à l'origine de certaines des violences dans l'ouest de Wollega en Ethiopie. Abiy a rencontré le chef du FLO Dawud Ibsa pour calmer les affrontements. Le 7 août 2018, le gouvernement éthiopien a déclaré avoir signé un accord avec le FLO visant à mettre fin aux hostilités. Le FLO mènera ses activités politiques en Éthiopie par des moyens pacifiques.

Les tentatives de paix sont autant motivées par des considérations économiques que par des impératifs de sécurité. La politique consistant à isoler l’Érythrée et à ignorer la décision de l’ONU sur le statut de Badme a été une politique infructueuse qui a laissé l’Éthiopie coupée des ports érythréens d’Assab et de Massawa. L’Éthiopie est constamment à la recherche de nouvelles voies d’exportation afin de réduire sa dépendance à l’égard du port de Djibouti. Une amélioration des relations entre les pays permettrait à davantage de flux commerciaux régionaux de transiter par les ports de l’Érythrée et profiterait également à la région adjacente du Tigré en Éthiopie. Les avantages économiques découlant de l’amélioration des relations avec l’Érythrée et de la libéralisation des secteurs clés de l’économie éthiopienne soulignent l’importance des changements politiques.

Toutefois, les négociations en cours ne tiennent pas compte du rôle stratégique de l’Érythrée dans le commerce illégal d’armes, en fournissant des armes du Yémen aux groupes sous embargo du Sud-Soudan, du Soudan et de la Somalie, ainsi qu’aux groupes rebelles éthiopiens. Alors que certains groupes rebelles éthiopiens tels que le FLO peuvent opter pour la paix et l'inclusion politique, d'autres organisations militantes sont plus susceptibles de poursuivre la rébellion armée et continueront à exiger des armes. Selon des sources locales, le gouvernement djiboutien se prépare à assumer un tel rôle alors que l’Érythrée se retire du commerce afin de faciliter son retour éventuel dans la communauté internationale.

Selon des sources de renseignements locales, le gouvernement djiboutien est déjà mécontent de l’engagement de la Somalie dans les pourparlers de paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Selon une source, « Djibouti préfère la région divisée, la Somalie faible et l’Érythrée isolée ». En réponse, les chefs militaires djiboutiens menacent déjà de retirer leur contingent de l’AMISOM afin de faire pression sur les forces éthiopiennes dans les régions du sud.

Une source locale a déclaré qu’ « on pourrait s’attendre à ce que Djibouti accroisse ses exportations d’armes à des groupes tels que al-Shabaab (ou leurs fournisseurs) si l’Érythrée supprimait ces sources d’exportation d’armes. Djibouti pourrait également accroître ses exportations d’armes au Soudan et au Sud-Soudan si l’Érythrée reculait.»

La Somalie

Les perspectives politiques et de sécurité en Somalie

Malgré le regain d'intérêt des investisseurs pour la Somalie, en particulier pour ses ports maritimes et son secteur pétrolier et gazier naissant, les indicateurs d'instabilité et d'insécurité ne s'atténuent pas, et le commerce illégal d'armes va continuer à se développer.

En 2017, la Somalie a mené un long processus d'élections au suffrage limité, qui devait servir à restaurer la crédibilité dans son administration et à mettre fin à une partie de la violence politique et de l'insécurité dans ce pays instable. Le président Mohamed Abdullah Mohamed ‘Farmajo’ et le gouvernement dirigé par le Premier ministre Hassan Ali Khaire créent de nouvelles opportunités pour les investisseurs étrangers, en particulier le Qatar et les pays occidentaux comme le Royaume-Uni et les États-Unis.

Par exemple, la participation de 51% de DP World dans le port de Berbera est remise en cause par le nouvel intérêt de l’Éthiopie pour le port de Somali. Les deux différends avec DP World en Somalie et à Djibouti ont pour objet des rivalités régionales entre l'Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et d'autres alliés du Qatar et de ses alliés, tels que la Turquie. Ces rivalités régionales ont placé Djibouti, ainsi que la Somalie, dans une nouvelle position d'influence et ont offert une bouée de sauvetage économique à leurs gouvernements.

Néanmoins, le nouveau gouvernement continuera de faire face à des différends complexes entre les principaux clans Habr Gedir / Hawiye et Darod, ainsi qu’à la rivalité croissante entre administrations régionales autonomes et pays participants à la mission de l’AMISOM. Le Kenya et l’Éthiopie en particulier continueront de tirer parti de leur présence militaire pour influencer le contrôle politique des régions frontalières.

Par conséquent,  les embargos sur les armes restent en place, même s’ils évoluent souvent tous les ans, permettant ainsi la livraison de fournitures au gouvernement somalien et à la mission de maintien de la paix de l’AMISOM. Les habituels fournisseurs internationaux d’armes restent réticents quant à la vente d’armes au gouvernement somalien. Les pays européens se sont montrés disposés à aider le gouvernement somalien à se familiariser avec la tactique militaire, mais ils n'étaient pas disposés à fournir eux-mêmes des armes. Des pays comme la Chine, la Russie et les pays d’Europe de l’Est qui jouent un rôle de premier plan en tant que fournisseurs d’autres pays de la Corne de l’Afrique ne sont pas intervenus pour combler le vide dans le cas de la Somalie.

Ainsi, le commerce d'armes illégales est en plein essor. Selon Conflict Armament Research, qui s’appuie sur les recherches en cours, «la majorité des armes détenues par al-Shabaab sont des armes traditionnelles souvent trouvées en circulation en Afrique de l’Est et dans la Corne. Ceux-ci comprennent des fusils AK, des PKM, des RPG, des fusils sans recul et des mortiers datant de plusieurs décennies. Le Yémen est la principale source d’armes pour al-Shabaab et les autres milices de clans en Somalie. La plupart de ces armes pénètrent par des petits ports de la côte nord du Puntland et du Somaliland. Des preuves récentes suggèrent que l'Iran fournit également d'importantes quantités d'armes à la Somalie. Une troisième source d’armes et de munitions pour al-Shabaab est issu du détournement accidentel et délibéré des stocks de l'État somalien et de l'AMISOM ».

Plusieurs entrepreneurs militaires opérant en Somalie, originaires notamment des Émirats Arabes Unis et du Royaume-Uni, ont été accusé par le Groupe de contrôle des Nations Unies sur la Somalie de violations flagrantes des embargos. Dans la section suivante, nous présentons certaines de nos dernières preuves sur le trafic d’armes en Somalie et sur son lien avec la région au sens large.

Le trafic d’armes en Somalie

Le commerce des armes illégales en Somalie reste une activité très lucrative et est étroitement liée aux groupes terroristes transnationaux, au trafic de drogue et au conflit qui sévit au Yémen voisin.

Le trafic d’armes en Somalie est centré sur la région autonome du Puntland, en particulier l'extrême nord-est de la région (notamment la région administrative de Bari (Gobol)). Lasqorey et Mayr (région de Sanaag), Adado (région de Galguduud) et Eelayo (à 60 km à l'est de Lasqorey, dans la région de Sanaag, qui fait également l'objet d'un conflit armé entre le Puntland et le Somaliland) sont d’autres zones inclues dans le commerce d’armes illégales.

D’autres zones de moindres importances dans les routes de la contrebande sont Habo, Alula, Qandala, Mur’anyo, Hul Anod et également d’autres zones inhabités  qui s'étendent le long du vaste littoral de la région de Bari. Bon nombre de ces zones disposent d'installations d'amarrage de bateaux qui permettent aux passeurs de débarquer des envois illégaux.

Les routes de contrebande traversant le golfe d'Aden sont toutes interconnectées: drogues, armes, réfugiés et membres de groupes militants ou terroristes sont tous déplacés par des réseaux de contrebande organisés le long des clans somaliens. Les routes de contrebande autour de Bari sont toujours dominées par Isse Yulux, membre du sous- clan Ali Saleebaan du clan Majeerteen. Cependant, ses réseaux de contrebande englobent d'autres sous-clans dans la région.

Yulux était jadis l’un des plus célèbres chefs de pirates de la région, mais ses activités illégales sont désormais centrées sur la contrebande. Une source du Puntland a déclaré: «Sa réputation… est très appréciée de tous les membres du réseau et il est considéré comme le personnage le plus redoutable de la région. Il possède de très grandes villas dans chaque ville ou petite ville de la côte nord-est et contrôle près de 100 boutres, dont environ 30% sont sa propriété personnelle».

Le commandant en second de Yulux est connu par les habitants de la région comme «Indhoolka» et «Laba-baale» ou en bref «le type aveugle» ou «le double ailé». Indhoolka s’occupe de l’exportation de gomme d’encens naturel non taxée vers Oman. Il est lié à des hommes d’affaires iraniens liés au monde criminel tant à Oman qu’en Iran. Notre enquête a obtenu l'identité d'autres associés de haut niveau de Yulux, qui ne sont pas divulguées dans la version publique de ce rapport.

La procédure normale consiste à permettre aux bateaux remplis de gomme d’encens de quitter les ports de Bari pour débarquer au Yémen et revenir pleins d’armes ou de drogues. Ils ont tendance à être déchargés dans des endroits inhabités, puis acheminés vers Mur’anyo ou Qandalla pour se regrouper avant d’être transportés par camion ou par un autre boutre.

La plupart des Iraniens impliqués dans ce cartel sont des Balochis, un groupe ethnique du sud-est de l’Iran, de l’ouest du Pakistan et du sud de l'Afghanistan. Les Balochis introduisent au Yemen, puis dans d'autres pays d'Afrique du Nord et de l'Est, de l’héroïne et du haschisch en contrebande. Ils importent également du carburant et de nombreux d’autres produits non taxés qui sont consommés par les communautés côtières de la région de Bari.

Le représentant de Balochi à Lasqorey est identifié dans la version publique de ce rapport uniquement en tant que Person Y. Person Y est un homme qui représente près de 20 boutres iraniens et yéménites. La personne Y est chargée de faciliter la livraison des envois d’armes à al-Shabaab, dans les monts Galgala, après leur arrivée dans des zones côtières telles que Lasqorey, Eelayo ou Mayr (juste à la frontière du Somaliland). Il facilite également la livraison de médicaments à Mombasa au Kenya. L'un de ses bateaux a récemment été confisqué par les garde-côtes kényans alors qu’il transportait de l’héroïne d’Iran via Lasqorey. Il est prouvé que les trafiquants situés à l’extrémité yéménite de ce cartel (basés à Mukalla et Ash Shihr) sont également membres des réseaux d’Al-Qaïda et de l’État islamique.

Des sources de renseignements locales ont fourni un exemple du niveau de contrôle de Yulux dans la région de Bari: un bateau transportant des armes depuis le port de Ash Shihr (Hadhramaut, sud du Yémen) a amarré dans le village de Mur'anyo, dans le district de Qandalla, et a déchargé des armes appartenant à al-Shabaab. La police maritime du Puntland a tenté d'intercepter cette cargaison par une attaque à la mer mais a été repoussée par des tirs d’armes depuis le rivage, sans confisquer aucune arme. Le carrefour de la drogue du cartel iranien des Balochs est la ville portuaire de Mukalla au Yémen.

Les hommes de Yulux sont également très présents dans le port yéménite. Yulux et ses hauts responsables y recherchent souvent des soins médicaux (plutôt qu’à Bosaso, où des agents des États-Unis et des Émirats Arabes Unis surveillent constamment leur présence).

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