Afrique: Driss El Yazami, président du Conseil national de la communauté marocaine à l'étranger – « La protection des droits fondamentaux du citoyen africain dans le cyberspace reste encore très faible »

9 Juin 2019

La protection des données personnelles est devenue primordiale vue les menaces qui gravitent autour de la révolution digitale, portant atteinte aux principes des droits humains. A cet effet, le sujet a été au cœur de la conférence Cyfy 2019 qui se tient à Tanger, Maroc. Interrogé sur la problématique, M. Driss El Yazami, président du Conseil national de la communauté marocaine à l'étranger, cet ancien secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), et ancien président du Conseil national des droits de l'Homme du Maroc et des Réseaux francophone et africain des institutions nationales des droits de l'Homme, il a donné des orientations devant permettre à l’Afrique de surmonter cet obstacle.

Quelle analyse faites-vous de la protection des données à caractère personnel en Afrique ?

Nous sommes face à un énorme paradoxe. Notre continent connaît d’une part une croissance extraordinaire en termes de taux de pénétration du mobile, qui est passé d’après Jean-Michel Huet de 2% en 2000 à 85% en 2015, soit 931 millions d’habitants sur 1,2 milliard, une progression trois fois plus importante que la croissance mondiale. Mais la protection des droits fondamentaux du citoyen africain dans le cyberspace reste encore très faible.

Seuls 10 pays sur 54 ont une loi sur la protection de ces données. Est-ce rassurant dans ce contexte de montées de phénomènes comme l’extrémisme, le terrorisme ou l’homophobie ?

Non. Ces dix pays ont à la fois une loi mais aussi une instance de protection et de recours. Durant les deux dernières années, le Niger, le Tchad et le Togo ont adopté une législation sur les données personnelles, mais sans mettre en place une autorité. Il faut agir pour que le maximum de pays adopte en même temps une loi et une autorité indépendante de monitoring et de recours. Il faut aussi renforcer l’indépendance des instances déjà existantes. Le Réseau africain sur la protection des données personnelles (RAPDP) créé en septembre 2016 agit dans ce sens.

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Comment la Déclaration des droits de l’homme prend-t-elle en compte cet aspect pour faire respecter la vie privée des gens ?

L’article 12 de cette Déclaration, adoptée dès 1948 et qui au fondement du droit international des droits de l’Homme (DIDH), stipule clairement que « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » D’autres instruments du DIDH, adoptés depuis, ont réaffirmé ce droit comme, par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.

L’Europe est citée en exemple en matière de protection des données personnelles. D’ailleurs, certains pays africains qui ont signé des conventions avec ce continent. Quelle est la nature de ces conventions ? Est-ce que cela a constitué un début de solution pour ces pays signataires ? Comment faire pour généraliser cette démarche en Afrique ?

Outre les lois nationales et les instances chargées de leur mise en œuvre, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont en effet une panoplie d’instruments juridiques et d’institutions, qui constituent le dispositif le plus avancé à ce jour au niveau mondial. Il y a ainsi un Règlement Général Européen sur la Protection des Données (RGPD) de l’Union européenne, entré en vigueur le 24 mai 2016, un Contrôleur européen de la protection des données,  la Convention sur la protection des données du Conseil de l'Europe, qui vient d’être enrichie et qui est connue aujourd’hui comme la Convention 108+, etc.. Le RGPD nous concerne car il s’applique aux entreprises qui agissent en Europe ou en dehors du territoire européen (dont notre continent) et aux entreprises sous-traitantes des entreprises européennes. La Convention 108+, actualisée en mai 2018 est le seul instrument international contraignant en matière de protection du droit à la vie privée et des données personnelles et elle est ouverte à tous les pays du monde, sur une base volontaire évidemment. Six pays africains sont partis à la Convention : le Burina Faso, le Cap vert, Maurice, le Maroc, le Sénégal et la Tunisie. Elle est en train d’entrer en vigueur dans ces pays en ce moment même. Il faut donc plaider pour l’adhésion du maximum de pays africains à de tels instruments et, me semble-t-il, pour un partenariat stratégique dans ce domaine entre l’Afrique et l’Europe.

Des pays comme les Etats Unis et la Chine n’auraient pas des lois allant dans le sens de garantir une protection de données personnelles. Devant cet état de fait, on est tenté de nous demander est-ce que la protection des données personnelles ne pourra-t-elle pas constituer un frein à la révolution technologique ?

On ne peut pas opposer protection des droits et révolution technologique. Il nous faut les deux, même si certaines parties prenantes (des États ou des acteurs privés) souhaitent maintenir leur domination sur la scène numérique mondiale, le pouvoir et les profits qui vont avec. Il faut, malgré les difficultés, agir dans les enceintes multilatérales, les Nations unies notamment, pour une révolution technologique à la fois profitable au développement socio-économique des peuples et  protectrice des droits fondamentaux des individus.

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