Pour l’année 2019, la croissance économique est projetée par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à 6,7% contre une réalisation de 6,5% en 2018. Face à la presse, le mercredi 12 juin 2019 à Dakar, au terme de la deuxième réunion ordinaire au titre de l’année du Comité de Politique Monétaire (CPM), le gouverneur de l’institut d’émission a analysé cette projection. M. Tiémoko Meyliet Koné a fait part des recommandations faites aux États pour construire une croissance de qualité. Suite aux interpellations des journalistes, M. Koné est également revenu sur le déficit budgétaire des États, la pauvreté dans la zone UEMOA et revisite tout le dispositif mis en place par la Banque Centrale pour faciliter l’accès au crédit et mieux asseoir l’inclusion financière des populations.
Une croissance de 6,7% est projetée pour 2019 alors que les indicateurs des institutions internationales comme le Fonds Monétaire Internationale annoncent une tendance baissière. N’est-ce pas là une contradiction du moment que le Comité de Politique Monétaire de la BCEAO annonce la baisse du cours des produits comme le coton, la noix de cajou, le café robusta et l’huile de palmiste. Est-ce que les facteurs de croissance sont vraiment inclusifs et comment jugez-vous la croissance projetée au niveau régional ?
La croissance se résume, non à partir d’un certain nombre de produits mais de toute l’activité qu’il y a dans nos économies. Le Fonds Monétaire n’a jamais dit que cette croissance peut être moins forte. C’est l’analyse globale sur le plan international que le Fonds Monétaire fait ses projections et considère que cette croissance peut être revue au plan mondial parce que justement il y a un certain nombre de facteurs notamment les discussions commerciales entre la Chine et les États-Unis qui peuvent infléchir un tant soit peu le volume des transactions et peut-être pesé un peu sur cette croissance.
Au niveau de l’Union, l’appréciation de la croissance se fait sur l’évolution des activités. D’une façon générale, de toutes les activités. La demande intérieure est très forte parce que même si au niveau des produits, il y a des fluctuations au niveau des cours à l’extérieur, les volumes de production restent importantes. Cela est un facteur essentiel de cette croissance que nous avons estimé à 6,7% et que nous maintenons pour l’instant sauf si des éléments nouveaux apparaissent et nous permettent de penser que cette croissance pourrait être inférieure à ce que nous avons déjà. Pour l’instant, sur la base des éléments dont nous disposons, nous pensons que la croissance tournera autour de 6,7%.
Que recommandez-vous aux États pour la stabilité du déficit budgétaire lorsque vous envisagez une baisse de 2,9% contre 3,7% alors qu’on voit bien que ce déficit est de plus grand au moment où la dépense publique augmente ?
D’abord, il faut remettre les chiffres en place. Les 2,9% que nous avons indiqué c’est un chiffre global au niveau de tous les États. Donc dans cette indication, certains pays peuvent être à un niveau plus bas et d’autres à niveau plus haut. Les 3,7% montrent qu’il y a une amélioration de ce déficit budgétaire et c’est ce que nous recommandons aux États. Ça veut dire que la dépense globale doit être beaucoup plus orientée de manière à ce que tout ce qui est dépense, notamment les dépenses d’investissement, soient des dépenses en qualité qui permettent de stimuler, beaucoup plus cette croissance. La qualité de la dépense est importante. Si la qualité est orientée vers des investissements qui sont porteurs de croissance, c’est évidemment une bonne chose. Si c’est des dépenses courantes qui sont tout simplement des dépenses de consommation, alors ce n’est pas obligatoirement une bonne chose. Ce que nous recommandons c’est que la qualité de croissance soit bonne et que les dépenses soient de plus en plus assises sur les recettes qui doivent évoluées et permettre aux États de ne pas afficher un endettement et déficit budgétaire qui entrainent un endettement de plus en plus important. Voilà la logique.
Comment comprendre donc l’évolution de l’indice de pauvreté qui contraste avec une croissance qu’on envisage à la hausse?
L’indice de pauvreté c’est un ensemble d’éléments. Je pense que de toutes les façons l’analyse, aujourd’hui, n’est pas tout à fait arrêtée en ce qui concerne la composante même de cette indice. Maintenant, c’est vrai que ce que l’on souhaite et que les États le souhaitent également, c’est d’arriver à maitriser et à faire reculer cette pauvreté mais il y a beaucoup d’éléments qui sont pris en compte.
Il n’y a pas seulement des actions sur la croissance en tant que telle. Comme je l’ai dit, la qualité de la dépense et la qualité de ce qui est fait notamment toutes les actions qui peuvent être menées sur le plan financier.
Vous verrez qu’aujourd’hui, il y a beaucoup d’actions qui sont menées sur l’inclusion financière pour permettre le recule de pauvreté en facilitant aux populations l’accès à des moyens les aidant d’augmenter leurs revenus. Je crois que c’est important.
Il y a plusieurs actions qui contribuent à l’amélioration et au recul de la pauvreté. C’est toutes ces actions combinées qui doivent donner des résultats. Donc il ne faut pas seulement tout polariser sur un niveau de croissance mais il faut delà qu’il ait des actions qui sont menées et qu’elles amènent au fur et à mesure, les populations à profiter du progrès et surtout à rentrer dans le cycle de production. Je crois que c’est très important car plus qu’on rentre dans le cycle de production, plus on est sujette à avoir des revenus et plus on recule dans la pauvreté.
Sur l’accès au crédit, il vous est reproché de durcir les conditions en fixant le taux d’intérêt à 4,5% ?
Les taux ne sont pas fixés à 4,5%. Le taux de base de la Banque Centrale c’est 2,5% maintenant nous disons qu’il y a un minimum et un maximum. Le maximum c’est 4,5%.
Si vous regardez ce taux, ce n’est pas ce qui crée des difficultés mais le taux de sortie des crédits au niveau du système bancaire qui pose peut être problème à l’accroissement de l’activité. Ce que nous conseillons c’est que ces taux, au fur et à mesure, baissent.
L’un des éléments les plus importants c’est que le système bancaire dit qu’il ne connait pas les clients à qui il prête. C’est dans ce sens que nous avons mis en place un dispositif qui est le Bureau d’Information sur le Crédit (BIC) qui doit permettre à chaque banque d’avoir le plus d’informations possibles sur sa clientèle et dans ce cas de faire un taux qui est compatible avec le risque qu’elles prennent sur ce client.
Mais si les banques ne l’appliquent pas alors qu’elles ont tendance à faire payer à l’ensemble des clients, des taux qui ne reflètent pas la réalité des risques qu’elles prennent sur ces clients. C’est pour cela qu’on a créé le BIC et on encourage le système bancaire à se référer à ce dispositif, à inscrire leurs clients pour avoir ce qu’on appelle la côte du client sur le BIC.
Quelqu’un qui paye normalement tout ce qu’il a comme engagement, il n’y a pas de raison qu’on ne lui fasse pas confiance. Si on lui fait confiance, on doit pouvoir lui appliquer des taux qui lui permettent de faire progresser ses activités.
Il faut comprendre qu’une Banque Centrale ne peut pas tout faire. Nous faisons ce qu’il faut pour que le crédit soit accessible à l’ensemble des populations et agents économiques.
Si je prends l’exemple des Petites et moyennes entreprises, nous avons mis en place un programme pour qu’elles puissent accéder au crédit bancaire en faisant de telle sorte que les risques soient pris par plusieurs personnes. Le premier risque c’est la banque, le deuxième c’est la Banque Centrale. Si les banques financent les PME, la BCEAO les refinance. Si elles font X crédits, la BCEAO prend une partie en charge pour leur permettre de continuer l’activité du crédit dans ce domaine.
Je crois que ce n’est pas une question de restriction du crédit mais c’est tout simplement la possibilité qu’on donne à l’ensemble du système de fonctionner de façon harmonieuse et c’est ce que nous essayons de faire.
(Propos recueillis)