Sénégal: Le potentiel et l'ingéniosité des détenus mineurs et femmes mis en vitrine par OSIWA

Samedi 29 juin 2019 - Vernissage de l'exposition intitulée L'Atelier Jiggen'Art qui convoque la réflexion autour de « La justice réparatrice : innovations pédagogiques et artistiques ».
3 Juillet 2019

Le siège de l'ONG Open Society Initiative for West Arica (Osiwa), sis à Dakar, a accueilli, le samedi 29 juin 2019, le vernissage de l'exposition intitulée L'Atelier Jiggen'Art qui convoque la réflexion autour de « La justice réparatrice : innovations pédagogiques et artistiques ». Une réalisation artistique qui met en vitrine les potentialités et le talent qui dorment chez les mineurs et  les femmes pensionnaires de la prison de Thiès. Cette initiative qui est le fruit du partenariat entre OSIWA, l'association Pour le Sourire d'un Enfant et l'Administration pénitentiaire sénégalaise, laisse entrevoir des lendemains meilleurs pour une réinsertion sociale réussie via des activités à la fois ludiques mais aussi thérapeutiques.

Humaniser le milieu carcéral est une tâche qui relève du possible. Il a été démontré à travers l'exposition intitulée L'atelier Jiggen'Art conçue sur le thème « Justice réparatrice : innovations pédagogiques et artistiques » dont le vernissage a eu lieu le samedi 29 juin 2019 dans les locaux de l'ONG Open Society Initiative for West Arica (Osiwa).

Pas besoin d'explications d'un spécialiste pour décrypter les messages diffusés à travers des objets artistiquement confectionnés.

Avec un regard profond, le visiteur manifestera aisément un sentiment ou sera lié par une fibre virtuelle grâce aux messages, puisés du fond des cœurs de personnes qui ont maillé avec la justice.

Des pensionnaires qui, malgré la privation de leur liberté, retracent leur quotidien en milieu carcéral à travers des tableaux, des meubles et entre autres objets qui, en plus de l'aspect esthétique, parlent à suffisance.

Ils distillent des messages forts de sens et laissent transparaitre une forme de revendication d'une place qu'ils aimeraient retrouver dans une société dont l'attitude envers eux, n'est pas exempte de reproche.

Initié avec le soutien d'OSIWA, lit-on dans le document de présentation, le projet « Jiggen'Art », consiste en la création d'un atelier de formation et de production de meubles décoratifs par les femmes détenues à la Maison d'arrêt et de correction de Thiès.

Le double objectif visé est d'initier les femmes à des activités artistiques qui ont un impact certain sur l'estime de soi avec un effet thérapeutique, mais aussi préparer leur réinsertion économique et sociale.

Mme Nelly Robin, présidente de l'association pour Le Sourire d'un enfant, basée à Thiès depuis 1989 et qui travaille avec la population carcérale, spécifiquement les mineurs et les femmes depuis 1991 renseigne que le vernissage met en exergue deux des projets qui sont développés en étroite collaboration avec l'administration pénitentiaire.

Elle parle du projet avec les détenus mineurs filles et garçons qui s'appelle « Justice réparatrice ». A travers des séances, les prisonniers jeunes sont initiés à la pratique de l'escrime».

L'objectif visé est de faire du temps de détention un temps de reconstruction, confie-t-elle avec une fierté esquisse.

Cette même émotion est perçue à travers le témoignage de la Directrice du bureau pays Sénégal de OSIWA.

Mme Hawa Ba souligne avec fierté que cette exposition est le fruit de sept ans de compagnonnage entre OSIWA, l'Association Pour le Sourire d'un Enfant et l'Administration pénitentiaire, dans le but d'accompagner les détenus mineurs et récemment des détenus femmes.

A l'en croire, ce compagnonnage implique beaucoup de volets allant de l'assistance juridique à l'appui en passant par l'assistance psychosociale, mais aussi tout le volet médiation, conciliation avec les familles et surtout avec les acteurs de la chaine judiciaire.

A cela, elle y ajoute le volet contribution à l'humanisation de la détention et des rapports entre ces détenus et la famille de l'administration pénitentiaire.

Cette exposition qui a vu la participation du directeur de l'administration pénitentiaire, le directeur de la MAC de Thiès, les inspecteurs régionaux, le président du Tribunal pour enfant de Thiès a montré ce qu'il est possible de faire pour atténuer la souffrance des personnes en détention mais surtout pour impulser des changements dans nos normes, lois, réglementations mais aussi dans les pratiques des acteurs de la chaine judiciaire.

Aucun cas de récidive parmi les 277 détenus mineurs formés

Le partenariat OSIWA – Pour le Sourire d'un Enfant Administration Pénitentiaire avec l'usage de l'escrime et de l'art pour accompagner les personnes en détention date de 2012. Sept ans après, les initiateurs tirent un bilan positif.

« Parmi les 277 mineurs qui ont participé à ce projet, nous avons, à ce jour, aucune récidive. Ce qui montre tout l'intérêt de la démarche », dévoile avec fierté Nelly Robin.

Sur ce point, Hawa Ba précise que l'un des objectifs visés était d'éviter la récidive en aidant les enfants à se reconstruire pendant leur séjour carcéral mais aussi à les préparer, de manière harmonieuse, à regagner leurs familles et leurs communautés.

La patronne du bureau pays de OSIWA au Sénégal souligne également l'impact auprès du personnel pénitentiaire en contact permanent avec les détenus.

Selon elle, un changement de comportement avec le développement de rapports plus apaisés avec les détenus, est perçu ainsi que des relations plus humaines avec moins de bagarres et de violence entre jeunes.

« Dans tous les programmes mis en œuvre, on met toujours à contribution, le personnel de la prison ».

Il faut rappeler que l'initiation à l'escrime se fait hors de la prison avec le soutien d'OSIWA qui a aidé l'association Pour le Sourire d'un Enfant à équiper une salle.

L'administration pénitentiaire permet à l'association, deux fois par semaine, de conduire les enfants au lieu d'entrainement via un bus de l'association. C'est ainsi que les surveillants ont également été initiés.

Ce qui, à en croire la directrice de OSIWA, provoque une adhésion totale de l'administration pénitentiaire à ce programme. « Aujourd'hui, l'escrime comme méthode de justice réparatrice est intégrée de manière officielle en curriculum de formation à l'école nationale de l'administration pénitentiaire », confie-t-elle.

Cette nouvelle école récemment portée sur les fonts baptismaux va s'appuyer sur les surveillants qui ont été initiés par l'association avec tout le protocole scientifique, pédagogique qui accompagne cette activité.

Pour les responsables d'OSIWA, cette démarche est une façon de pérenniser et de démultiplier ces acquis à une échelle plus large.

« De manière pratique, l'association intervient au niveau de Thiès mais aujourd'hui, nous avons eu cette chance d'avoir ces bonnes pratiques pour être répliqué davantage de manière implicite dans les autres prisons de Thiès du moment que ces surveillants de l'administration pénitentiaire seront affectés un peu partout au terme de leur formation ».

Hawa Ba confie que ces formations à l'escrime seront dispensées aussi bien à l'école mais également dans les milieux de détention. Ce qui permet de confirmer la pertinence et l'utilité du programme mais aussi une manière d'impulser à des échelles plus larges la reproduction de ces bonnes pratiques.

C'est pareil aussi pour les familles, les mineurs et les femmes qui ont suivi le programme, quand ils sortent de prison ont une réintégration sociale apaisée et beaucoup plus réussie.

La réinsertion économique des femmes en ligne de mire

L'atelier « Jiggen'Art » a été rendu possible grâce à l'Association « Pour le Sourire d'un Enfant » qui disposait déjà d'ateliers de formation en menuiserie bois et métallique, dédiés aux mineurs en situation de conflit avec la loi qui lui sont confiés par le Tribunal pour Enfant de Thiès.

Selon  Nelly Robin, il s'agit de générer une chaine de compétences avec la fabrication de petits meubles design par les mineurs en situation de conflit avec la loi, la décoration selon la technique « Street Art », par les femmes de la prison de Thiès, la vente directe ou par e-commerce.

A l'en croire, ces modes de production et de diffusion permettront aux femmes de poursuivre cette activité après leur libération.

En attendant d'y parvenir, ces femmes détenues artistes évoluent actuellement avec un modèle économique qui indique que 30% des bénéfices de la vente leur reviennent.

Les 10% vont à la Direction de l'Administration Pénitentiaire, en plus particulièrement à la MAC de Thiès pour améliorer les conditions de détention des femmes.

Dans la même rubrique, le professeur/artiste qui travaille avec les femmes reçoit une indemnité fixe de 50 mille F Cfa par mois.

Le reste est destiné à l'achat du matériel (bois, peinture, petit matériel…) et au transport des femmes après leur libération et qu'elles continuent à participer au projet.

Mme Robin confie que certaines d'entre elles souhaitent continuer l'activité à partir de leur domicile alors que d'autres préfèrent venir aux ateliers car les conditions ne sont pas réunies dans la concession familiale. A cet effet, elles viennent deux fois par semaine car, parfois, habitant loin (Dakar, Fatick, Mbour, etc.).

Hawa Ba estime que  ce projet démontre qu'il suffit de peu, de la volonté et de l'abnégation pour avoir un impact sur la population carcérale.

« Au-delà de ce que cela peut faire sur leur estime personnel, cela leur permet de démontrer leur utilité pour la société et leur volonté de reprendre leur place d'antan. On espère que cette exposition est une petite tâche qu'il sera possible d'essaimer et de reproduire à des échelles beaucoup plus larges », souhaite-t-elle.

Ils ont dit…

Inspecteur Mandiaye Ndiaye, directeur de la maison d'arrêt et de correction de Thiès : « Ce projet a un impact positif sur la vie des détenus »

« C'est une exposition réussie qui est le fruit d'un travail de longue haleine. Notre contribution s'est résumée à ouvrir les portes de la prison à l'association Le Sourire de l'Enfant qui avait de bonnes idées en tête. Notre disponibilité et notre ouverture ont aidé à la réalisation de ce projet.

Concernant la réinsertion, ce projet a un impact positif sur la vie des détenus parce qu'actuellement, avec la confirmation de certains magistrats, on peut dire que les mineurs qui participent à ce projet ne sont plus récidivistes.

A l'intérieur de la prison, on constate qu'ils ont un comportement différent de ceux qui ne participent pas au projet. Tant que l'association Le Sourire d'un enfant est disposée à travailler avec nous, on ne leur fermera pas les portes de la prison ».

Felwin Sarr, enseignant à l'université Gaston Berger de Saint-Louis et PCA d'OSIWA : « On doit considérer que la justice doit aussi être réparatrice et non punitive »

« C'est une excellente chose de considérer que les individus, surtout les femmes qui sont incarcérées, ont droit à une vie sociale, à une vie culturelle et qu'il y a des procédés pour les réinsérer dans la vie de la société.

Ce type d'intervention qui révèle des aptitudes et des talents a un impact ; et tout le travail de l'escrime comme le sport de combat travaille sur leur identité, leur confiance, leur rapport à la violence qui est aussi un moyen de les réinsérer. On doit considérer que la justice doit aussi être réparatrice et non punitive.

Il faut qu'on travaille à outiller les gens qui ont fréquenté le milieu carcéral pour la vie d'après. C'est une question de justice, de droits humains et de dignité humaine. Il est important pour une société de faire attention sur la manière de traiter les gens qui sont dans les espaces de la marge notamment les prisons, les hôpitaux…

En plus de cette activité, la société doit jouer un rôle essentiel. Elle doit penser aux conditions de vie dans l'univers carcéral de ces individus qui doivent revenir dans le corps social.

La situation de nos prisons n'est pas des plus appréciables avec des problèmes de surpeuplement, de promiscuité, de sécurité, d'hygiène, de prise en charge et entre autres dimensions de la vie humaine.

C'est une question de droit humain car il est important de prêter attention à la question de soin des personnes les plus vulnérables.

Des sociologiques révèlent que ce sont les groupes les plus vulnérables qui sont surreprésentés dans les prisons. Ce qui veut dire que l'on créé de la vulnérabilité et de la marginalité ; que ce n'est pas juste de leur faute. Il est nécessaire de mener une réflexion globale sur cet état de fait. »

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