Afrique: L'ordre public sanitaire en crise à l'épreuve du coronavirus : quelles mesures pour y faire face ?

18 Mars 2020
analyse

Depuis plusieurs semaines, l’humanité est plongée dans une crise sanitaire aux proportions redoutables et redoutées. S’étant déclarée en Chine, l’épidémie a traversé les frontières de l’Asie pour secouer toute l’Europe puis s’abat sur l’Afrique et l’Amérique. Le Sénégal enregistre son premier cas importé le 02 mars dernier et voit lamentablement le nombre de contaminés grimper au fil des jours. Cette situation d’une particulière gravité interroge en premier lieu la responsabilité sanitaire de l’État dans la nécessaire protection de l’ordre public sanitaire.

Cette responsabilité sanitaire de l’État résulte de la combinaison des articles 8 et 17 alinéa 2 de la Constitution du 22 janvier 2001 qui imposent à l’État le devoir de veiller à la santé des populations. En temps de crise, cette responsabilité sanitaire s’appuie essentiellement sur le Règlement sanitaire international de 2005 de l’OMS à la lecture duquel les États doivent mettre en place un système suffisamment adapté pour une réaction rapide et efficace contre tout risque sanitaire plus particulièrement en face d’une urgence sanitaire de portée internationale. De même, face à un évènement sanitaire détecté́ par le système de surveillance, la réaction de l’État concerné doit tourner autour de quatre questions de savoir :

  • Les répercussions de l’évènement sur la santé sont-elles graves ?
  • L’évènement est-il inhabituel ou inattendu ?
  • Le risque important de propagation internationale est important ?
  • Le risque de restrictions aux voyages internationaux et au commerce international est important ?

Si au moins deux de ces questions reçoivent une réponse positive, l’évènement doit être notifié à l’OMS. Une fois la notification est faite, il appartient au Directeur général de l’OMS, au regard des informations qui lui sont communiquées et analysées par le comité́ d’urgence, de déterminer si l’évènement constitue une urgence sanitaire de portée internationale. Le coronavirus a été déclaré urgence sanitaire le 30 janvier dernier débouchant sur deux types d’obligations. D’une part, il s’agit une obligation de portée interne qui pèse sur les États membres d’organiser leurs systèmes sanitaires pour faire face à la crise sanitaire. D’autre part, une obligation de portée externe qui commande la notification des cas aux points focaux désignés par l’OMS et la coopération entre les États membres de l’OMS pour lutter contre le fléau.

Atteint par la crise sanitaire, l’État du Sénégal après avoir enregistré son 24 ieme cas, a pris un certain de mesures d’urgence le 14 mars dernier, à travers son Président de la République :

-L’interdiction pour une durée de 30 jours de toutes les manifestations publiques sur l’ensemble du territoire national ;

-La suspension temporaire de l’accueil des bateaux de croisière sur le territoire national et le renforcement systématique des contrôles sanitaires au niveau des frontières ;

-La suspension des enseignements dans les écoles et universités pour une durée de 3 semaines ;

-La suspension des formalités nationales liées au pèlerinage pour l’année 2020 ;

- Le renforcement de la protection des personnels de santé, de sécurité, de défense et de secours mobilisés.

Le Chef de l’État met donc en œuvre sa compétence sanitaire reconnue par la Constitution aussi bien en période normale qu’en situation de crise.

En temps normal, Il tire également sa compétence sanitaire de son pouvoir règlementaire autonome et plus précisément de son pouvoir de police administrative générale, consacré à l’article 50 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001. Cette prérogative s’est inspirée de la jurisprudence du Conseil d’État français qui consacrait, pour la première fois, le pouvoir réglementaire général du Président de la République dans l’arrêt Labonne du 08 aout 1919. À ce titre, le Président de la République est le premier garant de l’ordre public sanitaire sur l’ensemble du territoire national. Il peut, par le prisme de la prescription et de la règlementation, prendre toutes les mesures nécessaires à la préservation de l’ordre public sur l’ensemble du territoire dont la salubrité́ publique est une composante. Il peut interdire ou limiter toutes les activités qui sont de nature à présenter un risque majeur pour la santé publique.

On peut trouver également une source à la compétence sanitaire du chef de l’État sénégalais dans son rôle de gardien de la Constitution, reconnu à l’article 42 alinéa 1 de la Constitution. En tant que gardien de la Charte fondamentale, le Président doit veiller au respect de l’ensemble des dispositions qui consacrent le droit à la santé, ainsi que tous les droits qui concourent à sa réalisation. Le Président peut également être amené́ à s’arroser d’une compétence sanitaire en période de crise.

Il faut toutefois préciser que les pouvoirs du Chef de l’État sont plus étendus en période de crise. Aux termes de l’article 52 de la Constitution sénégalaise : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance nationale, l’intégrité́ du territoire ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées de manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le président de la République dispose des pouvoirs exceptionnels. Il peut, après en avoir informé́ la nation, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assurer la sauvegarde de la nation ».

Face à un évènement grave et imprévu, compromettant la santé publique et plaçant l’État dans l’impossibilité́ de respecter les engagements internationaux en général, et le droit international de la santé, en particulier, le président de la République peut être appelé́ à mettre en œuvre ses pouvoirs de crise. En effet, nombreuses sont les conventions et déclarations qui consacrent le droit à la santé, auxquelles le Sénégal est partie. Une épidémie grave et imminente qui sévit sur l’ensemble du territoire national peut, après avoir bouleversé le quotidien de nos institutions, rendre difficile voire impossible le respect les engagements internationaux. Au nom de la continuité́ de l’État, le constituant permet au Président, à travers les pouvoirs exceptionnels qu’il lui attribue, de prendre toutes les mesures nécessitées par les circonstances. La théorie des circonstances exceptionnelles est une innovation de la jurisprudence administrative française dans les arrêts CE ,1918 Heyries ; Dame Dol et Laurent 1919, qui considère que l’administration peut valablement déroger au respect strict de la légalité́ pour faire à une situation d’une exceptionnelle gravité.

Les dispositions de l’article 52 sont complétées par celles de l’article 69 de la Constitution qui consacre les régimes d’exception : « l’état de siège comme l’état d’urgence est décrété́ par Président de la République. L’assemblée nationale se réunit alors de plein droit si elle n’est en session. Le décret proclamant l’état de siège ou l’état d’urgence cesse d’être en vigueur après douze jours sauf si l’assemblée nationale saisie par le président de la République, n’en ait autorisé la prorogation ».

L’état d’urgence constitue le régime d’exception le plus adapté aux crises sanitaires, en ce qu’il entraine l’élargissement des pouvoirs des autorités administratives pour faire face aux troubles à l’ordre public sanitaire. En 2014, il fut le régime utilisé par les trois pays les plus touchés par Ébola à savoir la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone plongés dans une situation sanitaire exceptionnellement grave, justifiant des mesures particulièrement exceptionnelles dont la restriction des libertés fondamentales. Le Sénégal est encore loin de ce stade mais gouverner c’est prévoir.

Au-delà de l’urgence des mesures qui doivent être prises en période de crise, se pose véritablement la question de la coordination des interventions des différents acteurs sanitaires. En effet, aussi bien en temps normal qu’en période de crise, le domaine de la santé enregistre une mosaïque d’acteurs aussi bien nationaux qu’internationaux, publics et privés, étatiques et non-étatiques qui, sous la pression de l’urgence, peuvent agir dans la dispersion et dans la fragmentation.  Une telle démarche serait de nature à aggraver la crise plus qu’elle n’en résout.  Une coordination verticale (sous l’égide du ministère de la santé au niveau national et sous la direction de l’OMS au niveau international), s’impose en vue de la cohérence et de l’efficacité des actions sanitaires.  Cependant, le succès des efforts entrepris passe nécessairement par une citoyenneté sanitaire exemplaire qui fait d’abord du citoyen l’acteur et le destinataire des mesures de sa propre protection.

Pour avoir raison de cette crise sanitaire, l’État doit se montrer ferme sans se fermer aux citoyens, définir une échelle de priorité qui n’est dictée que par l’intérêt supérieur de la santé publique en dehors de toute complaisance et considérations partisanes.


Enseignant- chercheur
En droit public à l’UGB de
Saint-Louis
Spécialisé en droit de la santé
btapsirou@gmail.com

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