Afrique: La crise du COVID19 met en évidence un besoin de changement dans les relations UE/Afrique

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L'Afrique ne pourra pas survivre seule à cette crise. La proposition de soutien global de l'UE annoncé cette semaine par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, offre bien sûr un soulagement bienvenu, mais le COVID-19 est le symptôme d'une crise beaucoup plus profonde, laquelle rend plus difficile pour les pays africains économiquement et politiquement instables de faire face à l'épidémie. L'UE devrait saisir cette occasion pour modifier en conséquence les termes de son partenariat à long terme avec l'Afrique.

La nouvelle direction du bloc a déjà commencé à réfléchir à la manière dont elle peut forger de nouvelles relations avec l’Afrique. Juste avant que la pandémie frappe l'Europe, Von der Leyen s'est rendue au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, en compagnie de 22 commissaires européens, pour y présenter une nouvelle stratégie UE-Afrique.

Annoncée le 9 mars, celle-ci est en mesure de façonner les relations entre les deux continents pour les années à venir, mais l'offre actuelle est insuffisante. Bien que la pandémie ne doive pas dicter cette nouvelle stratégie, elle met en évidence les problèmes structurels que l'UE devrait résoudre pour faire fonctionner le partenariat. Quatre domaines prioritaires se distinguent.

La gouvernance a été le talon d'Achille des relations UE-Afrique. Alors que l'Afrique est déjà le continent souffrant du plus important déficit démocratique, de nombreux dirigeants du continent utiliseront la crise sanitaire comme prétexte pour resserrer leur emprise, par le report d'élections, l'étouffement de l'espace civique ou des réponses sécuritaires injustifiables. La mise en quarantaine prolongée des grandes économies informelles africaines et des villes à forte densité pourrait rapidement créer des troubles sociaux et politiques généralisés, en particulier dans le contexte de faible confiance que connaissent de nombreux pays africains.

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L'UE a un intérêt stratégique à renforcer la résilience démocratique en Afrique, mais dans la stratégie proposée, la question des valeurs perd de son importance. La réputation de l'UE en Afrique a beaucoup souffert de sa gestion transactionnelle de la crise migratoire, celle-ci ayant été perçue comme étant intéressée. Il n'est pas trop tard pour inverser cette tendance en définissant une approche cohérente pour contrer le recul démocratique, les attaques contre l'État de droit et la fermeture de l'espace civique.

Deuxièmement, face à cette crise sans précédent, les gouvernements du monde entier ont recours à une gamme de technologies de suivi pour limiter la propagation du virus. L'impact sur les libertés civiles est susceptible de durer plus longtemps que la crise actuelle, alors même que les pays africains ont déjà du mal à tenir le rythme en matière de réglementation de la technologie. Actuellement, seuls 14 des 54 pays d'Afrique disposent de lois sur la protection des données et la vie privée, et celles-ci sont bien appliquées dans seulement neuf d’entre eux.

L'UE a commencé à déployer un modèle progressif de transformation numérique sur son territoire. Entre-temps, la concurrence numérique mondiale se poursuit et les grandes entreprises technologiques cherchent depuis longtemps à s'impliquer sur les marchés africains. Pour offrir un modèle attrayant à l'Afrique, l'UE devra trouver un équilibre entre ses intérêts commerciaux et la promotion d'un projet numérique respectueux des droits et privilégiant l'être humain.

Troisièmement, la crise du COVID-19 pourrait faire reculer la lutte contre le changement climatique, notamment en détournant des fonds affectés à la politique climatique pour lutter contre la pandémie. En même temps, elle a démontré la rapidité avec laquelle les États peuvent mobiliser leurs efforts lorsqu'ils sont confrontés à une crise existentielle.

Bien que la contribution de l’Afrique au réchauffement climatique soit négligeable, son impact ne l'est pas. Ni les États-Unis ni la Chine ne semblent disposés à prendre la tête d'une gestion mondiale de l'action climatique. L'UE, en revanche, a présenté des propositions ambitieuses et de grande envergure pour une transition vers une Europe climatiquement neutre d'ici 2030. Elle doit désormais utiliser ses politiques commerciales, d'aide et d'investissement pour s'assurer que la responsabilité des ajustements mondiaux est répartie équitablement.

Enfin, une transition climatique équitable pourrait faire progresser la justice sociale et économique d'une manière que ne sont pas parvenues à mettre en place les économies de marché. La crise du coronavirus démontre que l'accès aux biens publics (santé, installations sanitaires et éducation en particulier) n'est pas seulement une responsabilité partagée, mais que son absence constitue une menace existentielle globale. Ces mêmes institutions affaiblies par des décennies d'ajustements structurels et d'autres politiques d'austérité doivent maintenant être rapidement renforcées et universalisées pour le bien de tous.

Cela réclame plus qu'un travail de rapiéçage. La pandémie ne doit pas être utilisée pour promouvoir une orthodoxie économique fondamentalement insoutenable. Dans un premier temps, l'UE pourrait utiliser son poids dans les banques et institutions multilatérales pour suspendre la dette privée et publique pour les près de 40 % des pays africains menacés de sombrer dans une crise majeure de la dette. À plus long terme, les relations futures avec l'Afrique devront inclure un mécanisme de réaménagement de la dette souveraine pour éviter une série d'effondrements économiques, qui menacent à leur tour une stabilité sur laquelle l'UE insiste tant.

L'épidémie de coronavirus contraint l'UE à lutter pour affirmer son leadership en Europe, et à plus forte raison dans le monde. Mais il est dans l’intérêt de l’UE de penser autant au plan mondial que local. La crise actuelle ne suspend pas cette réalité : elle en augmente les enjeux.

Open Society European Policy Institute

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