Afrique: Appel aux scientifiques et innovateurs africains - Travaillons ensemble à l'émancipation de notre continent !

2 Juillet 2020
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Pas de répit ! Suite à la déclaration publié en avril 2020, adressée aux dirigeants africains sur la pandémie à coronavirus, par des écrivains et intellectuels en sciences sociales - parmi lesquels Wole Soyinka, Boubacar Boris Diop,  Cheikh Hamidou Kane, Cornel West, Iva Cabral, Olivette Otele - un groupe de scientifiques africains mondialement reconnus répond à leur appel et se joint au mouvement en vue d'apporter des solutions scientifiques et techniques concrètes dans la perspective d'un développement endogène et autocentré du continent

Dans une première lettre publiée au mois d’avril dernier, nous appelions les dirigeants africains à gérer la pandémie du coronavirus avec intelligence et audace, à refuser le mimétisme, à gouverner avec compassion et, surtout, à faire de la crise actuelle que traverse l’humanité une opportunité pour changer de cap, en comptant d’abord sur les propres ressources humaines et matérielles de notre continent.

Nous sommes un collectif d’intellectuels, du continent africain et de sa diaspora, qui est en train de s’élargir. Pour aller plus loin dans notre démarche, il nous a semblé fondamental d’associer nos collègues scientifiques et innovateurs à la réflexion et aux travaux que nous sommes en train de mener. En effet, l’Afrique que nous appelons de nos vœux ne pourra se faire qu’au travers d’une approche transdisciplinaire mobilisant, dans une conversation permanente, toutes les ressources intellectuelles disponibles dans les arts, lettres, sciences humaines et sciences exactes.

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Afin de cheminer vers le destin qu’elle se sera choisi, l’Afrique doit nécessairement s’appuyer sur l’imagination scientifique et les prouesses techniques de ses fils et de ses filles sur place et dans la diaspora. Nous devons insister sur le fait que les savoirs endogènes doivent être encouragés au même titre que la science conventionnelle. Malgré la répression structurelle de la créativité de nos scientifiques, une situation entretenue par des politiques publiques inappropriées et surtout par l’absence de confiance de nos dirigeants en l’expertise africaine, nous avons pu constater les innovations qui, ici et là, ont été introduites en très peu de temps dans le cadre de la lutte contre la pandémie à coronavirus. Les exemples abondent de travaux scientifiques remarquables et d’innovations prometteuses voire révolutionnaires, qui ont été ignorés ou insuffisamment valorisés sur le continent ou qui ont parfois connu une meilleure fortune à l’étranger.

En marge de l’urgence liée à l’actuelle pandémie, le continent est régulièrement confronté à de nombreux défis sanitaires pour lesquels une réponse collective énergique se fait encore attendre. De nombreuses maladies auraient pu être effacées de la surface du continent ou, du moins, voir leur impact létal significativement amoindri, si la santé des Africain (e) s avait été conçue comme un bien public global et prioritaire, au même titre que l’éducation et l’éradication de l’analphabétisme par l’instruction en langues africaines. Tel n’est toujours pas le cas. Après soixante ans d’indépendance, cette situation ne peut plus perdurer. La prise en charge médicale des populations africaines devrait être assurée, autant que faire se peut, de manière souveraine par les autorités sanitaires du continent qui devront tirer parti aussi bien des avancées de la médecine contemporaine que des trésors insoupçonnés de la pharmacopée africaine et des savoirs endogènes.

Le développement économique est un autre grand chantier qui requiert la mobilisation de toute la communauté des scientifiques et innovateurs africains. Le continent, nous le savons tous, ne manque pas de ressources. Seulement, celles-ci sont mal connues ou utilisées d’une manière non-optimale. Les équipements et techniques importés ne sont pas toujours adaptés aux réalités du continent africain et tendent à installer des formes renouvelées de dépendance technologique et financière. Un inventaire de toutes les ressources disponibles, des techniques et des savoirs s’impose comme première étape d’un effort collectif visant à orienter la recherche scientifique et les innovations technologiques dans le sens d’une meilleure gestion et maîtrise de nos ressources continentales. Par exemple, l’autosuffisance alimentaire et énergétique du continent doit figurer comme une priorité stratégique de l’agenda des gouvernements africains pris individuellement et collectivement.

Quel audit faut-il faire pour une mise à jour des données sur les ressources naturelles du sol et du sous-sol, des océans et des cours d’eau ? Quels types de compétences sont nécessaires pour valoriser ces ressources naturelles ? Quels types de formation professionnelle et technique sont appropriés pour doter les ressources humaines de ces compétences ? Quels systèmes éducatifs pour mettre l’Afrique à la page des développements relatifs à l’intelligence artificielle, la robotique, la révolution moléculaire ou le Big Data ? Quel rôle pour le numérique dans les stratégies de développement économique ? Quels techniques, technologies et équipements appropriés peuvent être identifiés pour la mise en œuvre de filières de production agricole, artisanale et industrielle de biens et de services ? Quel tableau faut-il dresser pour identifier les besoins respectifs des différents pays africains, leurs ressources naturelles, leurs productions de biens pour cerner les complémentarités potentielles notamment dans la perspective de la promotion des échanges commerciaux au niveau du continental ? Comment repenser l’aménagement territorial au-delà de son organisation classique basée sur la hiérarchie fonctionnelle des établissements humains ? Quels types de productions animales et végétales pour nourrir durablement une population africaine appelée à représenter environ 40% de l’humanité à l’horizon 2100 ? Quels types de mix d’énergies conventionnelles et d’énergies alternatives dans un monde où la contrainte écologique se précise de plus en plus ? Quel type d’industrialisation dans un monde où la compétitivité est fortement liée à l’optimisation des procédés de production basés sur une énergie de qualité et au plus bas coût possible ainsi qu’à l’utilisation d’une approche systémique de développement de chaînes de valeurs ? Quelles sont les actions à mener pour soutenir la production de médicaments par les pays africains particulièrement les plus usuels (alcool, compresse, coton, seringues, aspirine, chloroquine, etc.) et qui ne devraient plus être importés ? Quel est l’état des lieux de la médecine, de la pharmacopée africaine et des savoirs endogènes et quels sont les voies et moyens pour les soumettre à la rigueur scientifique au même titre que la médecine et la pharmacie modernes ? Quelle stratégie panafricaine face aux changements climatiques et à leurs conséquences prévisibles sur un continent qui a jusque-là peu contribué aux émissions globales de gaz carbonique et qui a même plutôt été une sorte de dépotoir écologique pour le reste du monde ?

Voilà, entre autres, des questions interdépendantes tout à fait cruciales auxquelles l’Afrique d’une seule voix devra au plus vite apporter des réponses solidaires s’inscrivant dans le long terme.

Cet appel à un recentrage de la réflexion et de l’innovation scientifiques autour des besoins et des priorités africaines ne saurait cependant impliquer une fermeture sur soi. Tous les défis qui se posent à l’espèce humaine interpellent également notre continent. L’Afrique, berceau de l’humanité, a durant sa longue histoire multimillénaire toujours contribué au rayonnement scientifique et culturel du monde. Ses institutions scientifiques doivent augmenter en nombre, en pertinence et être davantage soutenues et valorisées par les pouvoirs publics. De cette manière, elles seront en mesure de s’investir dans tous les domaines de la recherche pertinents et de bénéficier pleinement des partenariats avec leurs homologues du reste du monde. Dans cette optique, aucun effort ne devra être ménagé afin d’encourager les femmes africaines à poursuivre des carrières scientifiques et à occuper plus de postes de responsabilité.

Profitant de l’opportunité offerte par la pandémie du coronavirus, nous lançons donc un appel à tous les scientifiques et innovateurs du continent et de la diaspora. Nous les encourageons à nous rejoindre afin que nous œuvrions ensemble à remplir la mission exaltante que constitue l’émancipation de notre cher continent. Bâtir une prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun est à notre portée. Pourvu que, pour une fois, nous travaillions ensemble et regardions tous dans la même direction, forts des leçons de notre vaste expérience historique multimillénaire et riches d’un immense patrimoine culturel à revivifier autant pour notre survie collective comme peuple libre que pour le salut de l’humanité entière.

Pour signer cette lettre, veuillez s’il vous plaît vous inscrire à l’adresse suivante : https://bit.ly/3cOdYPM 

Pour tout autre requête, veuillez contacter : Pr.Aboubaker Chédikh Beye (aboubaker.beye[at]ucad.edu.sn),Dr.Lionel Zevounou (Université Paris Nanterre, lionel.zevounou[at]parisnanterre.fr), Dr. Amy Niang (University of the Witwatersrand, amy.niang[at]wits.ac.za), Dr. Ndongo Samba Sylla (Dakar, nsssylla[at]gmail.com)

 

Liste des signataires :

Pr. Felix DAPARA, Biotechnologie Plantes et Sols, Président de l'Académie Africaine des Sciences
Pr. Souleymane MBOUP, Pharmacie et Biologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Pr. Maleek MAAZA, Chaire de l'Unesco, Nanosciences/Nanotechnologies, University of South Africa
Pr. Lyoussi BADIAÂ, Pharmacologie et Santé environnementale, Université de Fès, Maroc
Pr. Kossi NAPO, Chaire de l’Unesco sur les Énergies Renouvelables, Université de Lomé
Pr. M. N. HOUNKONNOU, Chaire UNESCO, Physiques Mathématiques et Applications, Université d'Abomey-Calavi, Benin
Pr. Bruno ETO, Faculté de Pharmacie et de Sciences Biologiques, Lille
Dr Sophie DABO, Mathématique, Université de Lille
Pr. Mahamoud Youssouf KHAYAL, Physique et Énergétique, Université de Ndjamena
Pr. Osseo ASARE, Science et Génie des matériaux, PennState College of Earth and Mineral Sciences
Pr. Adel BOUHOULA, Président fondateur de l’Association Tunisienne de la Sécurité Numérique
Dr. Cecil KINGONDU, Botswana International University of Science and Technology
Pr. Ibrahima NDOYE, Biologie Végétale, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Pr. Mohamed HAFIDI, Agrosciences et Environnement, Université Cadi Ayyad, Maroc
Pr Ahmed LEBRIHI, Institut National Polytechnique de Toulouse
Pr. Omar ASSOBHEI, Université Sidi Mohamed Ben Abdelilah de Fès
Dr Flory LIDINGA, Institut supérieur des techniques appliquées, R.D. Congo
Dr. Hamrouni LAMIA, Biotechnologie forestière, Université de Carthage
Pr. Diola BAGAYOKO, Physique, Southern University and A&M College Baton Rouge
Pr. Timothée NSONGO, Géologie et Mines, Université Marien Ngouabi
Pr. Thomas TAMO TATIETSE, Génie Civil et Sciences de la Conception, Université de Yaoundé I
Dr. Lem Edith ABONGWA, Microbiologie médicale, Université de Bamenda, Cameroun
Dr Jules T. ASSIH, Génie Civil, Université Reims
Dr. Kya Abraham BERTHE, École Nationale d'Ingénieurs Abderhamane Baba Touré, Bamako
Pr. Samba NDIAYE, Mathématique-Informatique, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Pr. Ncholu MANYALA, Physique, technologie carbone et matériaux, University of Pretoria
Pr. Peter Apata OLUBAMBI, Construction et Environnement Bâti, University of Johannesburg
Dr. Hichem SEBAI, Nutrition et physiologie animale, Université de Jendouba, Tunis
Pr. Benjamin Longo MENZA, Pharmacologie clinique, Walter Sidulu University
Pr. Victor KUETE, Pharmacognosie, Université de Dschang, Cameroun
Pr. Abderrahim ZIYYAT, Physiologie et Pharmacologie, Université Mohammed Premier, Oujda, Maroc
Pr. Abderrahmane ROMANE, Chimie appliquée, Université Caddi Ayyad, Maroc
Pr. Vincent P.K. TITANJI, Biologie et Biochimie, Université de Buéa, Cameroun
Pr. Mmantsae DIALE, Energie solaire, University of Pretoria
Pr. Nasrrddine YOUBI, Géologie-Volcanologie-Géochimie, Université Cadi Ayyad, Maroc
Dr. Ngarmoundou NGARGOTO, Science et Génie des matériaux, Université Polytechnique de Mongo, Tchad
Pr. David BOA, Thermodynamique et de Physico-chimie du Milieu, Université Nangui Abrogoua, Côte d'Ivoire
Dr. Malachy Ifeanyi OKEKE, Virologie, American University of Nigeria
Abdoulaye GOURO, Médecine vétérinaire, CIRDES, Burkina Faso
Mouhamadou SALL, École centrale polytechnique d'ingénieurs, Dakar
Dr. Narciso MATOS, Chimie organique, Université Polytechnique, Mozambique
Pr. Aboubaker Chédikh BEYE, Physique-Sciences des Matériaux, Université Cheikh Anta Diop de Dakar

 

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