Covid-19 et situations politiques d'exception en Afrique de l'Ouest

20 Août 2020
analyse

La pandémie de la COVID 19 est l'exception qui confirme la règle selon laquelle "où finit la loi commence la tyrannie"[1].

Des situations d'exception, l'Afrique de l'Ouest en a connues, souvent à la suite de conflits ou de crises politiques. Cependant, le sentier que s'apprêtent à arpenter la Côte d'Ivoire, la Guinée et le Niger est parsemé d'embûches tant les institutions de la gouvernance démocratique sont peu préparées. Peut-on imaginer les zones de turbulences que pourraient créer des situations politiques d'exception par suite du report des élections pour cause de pandémie ? En Côte d'Ivoire et au Niger où les présidents sortants ne se représenteront pas, une certaine opinion soutient que les régimes essaient d'orchestrer une transition pour que le parti au pouvoir puisse rester aux affaires. En Guinée où la situation politique est tendue certains craignent que le Président puisse tirer profit de la crise pour faire passer un projet de 3éme mandat.

Les bases légales d'un éventuel report des élections

En Côte d'Ivoire, le cadre juridique prévoit des dispositions spécifiques pour le report des élections en cas d'événements ou de circonstances graves.[2] Celles-ci sont contenues dans le code électoral (Article 47), la loi organique n° 2001 - 303 sur le Conseil Constitutionnel (Article 31) et la loi Constitutionnelle n° 2020-348 (Article 73) qui donne prérogative au Président de prendre les mesures exceptionnelles exigées en cas de menaces graves ou immédiates après consultation obligatoire avec les présidents d'institutions républicaines. En revanche, il faut relever le manque de clarté de l'article 73 de la Constitution en vigueur comparé à l'article 38 de la précédente qui était précis sur les cas de catastrophes naturelles qui perturbent les opérations électorales.

Aucune disposition juridique spécifique ne prévoit le report des élections présidentielles pour cas de force majeur en Guinée et au Niger. Cependant, en Guinée deux exceptions sont à noter : la prorogation de 60 jours du second tour des élections présidentielles à la suite du décès d'un des deux candidats et de cas de circonstances particulièrement graves (Article 30 al. 1 et 2 de la loi organique L/2011/006/CNT) et, la loi organique L/2017/039/AN portant Code électoral révisé (Art. 2 al 3) sur le rôle des cours et tribunaux dans la régularité des élections. Au Niger, la Constitution du 25 novembre 2011 précise qu' « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ou proroger le mandat pour quelque motif que ce soit... » (Art.. 47 al. 2). Les dispositions d'atténuation ne font pas spécifiquement référence aux cas de force majeurs (Articles 67 alinéa 1[3], 10[4] et 62 al. 6 nouveau code électoral)[5].

Les risques politiques d'un possible report des élections

Le report des élections présidentielles pourrait exposer les différents pays à des risques politiques majeurs. Il s'agit entre autres de tentatives de la part du pouvoir comme de l'opposition d'instrumentaliser le "vide juridique" en leur faveur, d'une crise de légitimité au sommet de l'Etat et de possibles conflits (cas de la Guinée et du Niger). S'agissant de la Côte d'Ivoire, le risque existe nonobstant les dispositions spécifiques relatives au report des élections présidentielles. Lequel risque est exacerbé par la recomposition du paysage politique ivoirien, dans un contexte de tensions politiques et sociales et d'instrumentalisation de la citoyenneté et de l'origine ethnique. Autant de facteurs qui pourraient donner lieu à un processus électoral marqué par les crises et la violence.

Des recommandations pour un accompagnement effectif des institutions et acteurs clés

Dans les pays où la loi prévoit des processus clairs de gestion des situations d'exception, on devrait s'atteler à les mettre en œuvre. En revanche, partout où ceux-ci sont inexistants ou vagues (particulièrement pour les élections présidentielles) le dialogue politique est urgent et indispensable. Même au Ghana et au Burkina Faso où les présidents ne sont pas en fin de second mandat, ces mêmes difficultés pourraient surgir. Sans un accompagnement de la CEDEAO et de l'UNOWAS dans tous ces pays, le dialogue politique en perspective de la gestion de possibles situations d'exception liées au report des élections aura peu de chances d'aboutir. Ce dialogue était déjà difficile dans des situations moins complexes. Il est dès lors peu envisageable qu'il ne le soit pas davantage dans un contexte qui cristallise autant d'enjeux.

[1] William Pitt

[2] "En cas d'événements ou de circonstances graves notamment, d'atteinte à l'intégrité du territoire, de catastrophes naturelles rendant impossible le déroulement normal des élections ou la proclamation des résultats, le président de la Commission chargée des élections saisit immédiatement le Conseil constitutionnel aux fins de constatation de cette situation. Le Conseil constitutionnel, décide, dans les vingt-quatre heures, d'arrêter ou de poursuivre les opérations électorales ou de suspendre la proclamation des résultats. Le Président de la République en informe la Nation par message. Il demeure en fonction. Dans le cas où le Conseil constitutionnel ordonne l'arrêt des opérations électorales ou de la suspension de la proclamation des résultats, la Commission chargée des élections établit et lui communique quotidiennement un état de l'évolution de la situation. Lorsque le Conseil constitutionnel constate la cessation de ces événements ou de ces circonstances graves, il fixe un nouveau délai qui ne peut excéder trente jours pour la proclamation des résultats ou pour la tenue de l'élection."

[3] "Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité du territoire national ou l'exécution des engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du premier ministre, du président de l'Assemblée nationale et du président de la Cour constitutionnelle".

[4] La CENI « veille également au respect des lois et règlements en matière électorale et prend toutes initiatives et/ou toutes dispositions concourant au bon déroulement des opérations électorales et référendaires »

[5] « Lorsqu'il y a coïncidence entre une date fixée des élections et une date de fête légale mobile ou en cas de force majeure, la date du scrutin est reportée d'office de soixante- douze (72) heures ».

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