Mesures de précautions sanitaires et intégrité des élections en Afrique de l'Ouest

31 Août 2020
analyse

Lorsqu'en mars 2020 la COVID-19 a été déclarée pandémie mondiale par l'OMS, des mesures de protection fortes - e.g. nettoyage des mains, distanciation sociale, port de masques, interdiction des attroupements - ont été prises par les pays du monde entier pour prévenir sa propagation.

Même si la propagation de la pandémie n'est pas aussi exponentielle que beaucoup le craignaient, les pays d'Afrique de l'Ouest ne sont pas encore à l'abri d'une détérioration de la situation sanitaire. En effet, la transmission communautaire prend de plus en plus de l'ampleur. La levée des mesures de confinement quasiment partout augmente l'importance et la priorité des mesures de protection, d'autant plus que la pandémie pourrait ne pas disparaître de sitôt. C'est donc dans ce contexte de pandémie rampante que 6 pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Ghana, Guinée et Niger) sont obligés de trouver un équilibre entre la protection de la santé et la sécurité publique d'une part, et la tenue d'élections crédibles de l'autre. Il est important de réfléchir, en amont, à l'impact que pourraient avoir les mesures de protection sanitaire sur la crédibilité des élections qui seraient organisées malgré la persistance de la pandémie.

La question de la privation du droit de vote

En général, les pays de la région actualisent leurs listes électorales ou en confectionnent de nouvelles avant les élections. Cela exige la capture directe des données individuelles des électeurs qui doivent souvent patienter dans des files d'attente. Avec le début de la COVID-19, ce processus d'enregistrement des électeurs pose des difficultés à plusieurs pays et soulève un certain nombre de questions. Dans quelle mesure la pandémie et les mesures de protection affecteront-elles le processus d'enregistrement ? Comment les commissions électorales s'organisent-elles pour garantir la participation des personnes vulnérables (y compris les personnes âgées) qui éviteront de sortir pour s'inscrire ou voter ? Sans oublier le fait, fort probable, que des citoyens ordinaires craignent pour leur santé et s'abstiennent de se rendre dans les centres d'inscription. Il est important de savoir ce qu'il adviendra des citoyens qui, parce qu'ils ne pourront pas s'inscrire, ne participeront pas aux élections.

Par ailleurs, il est tout aussi important, en ce qui concerne le droit de vote, de savoir en quoi les mesures de protection, y compris l'obligation de se laver les mains, augmenteront le temps passé dans la file d'attente avant le vote. En outre, si l'accès au bureau/centre de vote est subordonné au port de masque, comme l'ont exigé certains pays, qu'en sera-t-il de ceux qui n'en possèderont pas pour pouvoir voter ?

Qualité de la gestion du processus électoral

La limitation du nombre de personnes autorisées à se regrouper fait partie des mesures de protection contre la pandémie. La formation des agents électoraux (notamment le personnel ad hoc) sera forcément affectée par cette mesure. La faiblesse de la capacité des agents électoraux est souvent pointée du doigt dans les rapports de plusieurs missions d'observation des élections dans de nombreux pays de la région. Il est également fort possible que certains des agents de bureaux de vote ne se présentent pas le jour du scrutin.

L'acquisition, en temps opportun, des équipements et matériels nécessaires constitue une autre préoccupation majeure. De nombreux pays de la région continuent d'importer une partie du matériel électoral de l'extérieur (hors de la région et du continent). Le risque que le matériel électoral n'arrive pas à temps ou ne soit pas livré est réel et devrait être pris au sérieux.

Informations liées aux élections

Les informations liées aux élections, particulièrement les débats autour des préoccupations majeures des citoyens, devraient fonder la décision des électeurs de se rendre aux urnes, y compris dans les démocraties établies. Malheureusement, dans la plupart de nos pays, les campagnes électorales sont les seuls moments où les citoyens interagissent avec leurs élus sur des questions qui les préoccupent. Ce mode direct d'interaction (entre électeurs et candidats) sera forcément perturbé par les mesures de distanciation sociale. Certains pays ont déjà recommandé aux acteurs politiques de recourir aux médias et à d'autres moyens ne nécessitant pas de présence physique pour conduire leurs campagnes. Comme nous l'avons dit plus haut, cela ne manquera pas de poser des problèmes aux personnes ayant un accès limité aux plateformes de diffusion de l'information et, pourrait sérieusement affecter la qualité de l'engagement de certains citoyens dans le processus.

Transparence du processus

L'observation des élections, considérée comme l'un des mécanismes qui contribuent à garantir la transparence des élections dans notre région, risque d'être compromise par les limitations et les risques liés aux déplacements/voyages. Les restrictions rendront les voyages des groupes d'observateurs internationaux difficiles, voire impossible. Les observateurs nationaux pourraient également éprouver des difficultés en raison du coût d'achat de l'équipement de protection individuelle et leur capacité à suivre le dépouillement dans les bureaux de vote. Il en sera de même en ce qui concerne le comptage dans les différents centres de compilation qui pourraient devenir un véritable défi. La COVID-19 pourrait très bien nous inciter à imaginer de nouvelles formes d'observation des élections.

La présence des représentants des partis politiques dans les bureaux de vote lors du dépouillement et dans les centres de compilation des votes pourrait également être affectée. Cela s'est déjà produit dans certains pays de la région lors des dernières élections où, en raison des mesures de distanciation sociale, les représentants des partis politiques n'ont pas pu tous être admis dans les centres de compilation. Cela peut entraîner des tensions et des malentendus et avoir un impact négatif sur la confiance des parties prenantes en la transparence du processus. En outre, dans de nombreux pays, les citoyens sont autorisés à attendre au niveau des bureaux de vote pour observer les opérations de dépouillement. Cette mesure, supposée permettre aux électeurs de protéger leur vote et de renforcer leur confiance dans le processus, pourrait ne pas être possible avec les mesures de restriction.

Quelques propositions de solutions pour limiter les risques

En ce qui concerne la "privation du droit de vote" : les organes en charge de la gestion des élections (OGEs) pourraient : (i) Prendre des mesures adéquates de protection sanitaire (pour les agents électoraux et les électeurs) et adopter une stratégie de communication qui convainc les électeurs qu'ils peuvent sortir et voter sans risque pour leur santé ; (ii) si nécessaire, réduire le nombre d'électeurs par bureau de vote et/ou augmenter la durée du vote. Ils pourraient même envisager d'organiser le vote sur deux jours au lieu d'un seul ; (iii) ils peuvent concevoir un logiciel permettant aux électeurs de vérifier rapidement où et quand ils sont censés voter, etc.

En ce qui concerne la transparence du processus : (i) à la fermeture des bureaux de vote, le personnel électoral peut être autorisé à choisir un ou deux électeurs encore présents pour assister au dépouillement au niveau du bureau de vote, (ii) les représentants des candidats/partis peuvent choisir entre eux le nombre de personnes que les centres de dépouillement et de décompte des votes peuvent accueillir et les observateurs électoraux peuvent en faire autant ; (iii) les OGEs peuvent accroître la transparence du processus de dépouillement en affichant les résultats par bureau de vote sur internet

En ce qui concerne l'information relative au vote : (i) les candidats/partis politiques devraient tenir compte des préférences des électeurs pour les différents médias dans chaque pays ; (ii) les organisations de la société civile impliquées dans l'éducation électorale (sur la manière de voter et/ou sur les préoccupations des électeurs) devraient également prendre en considération les différents moyens de communication et les données démographiques pour la diffusion de l'information aux électeurs ; (iii) d'autres mesures innovantes au niveau communautaire peuvent être adoptées en utilisant les structures traditionnelles de communication faisant appel aux chefs traditionnels et aux leaders communautaires, par exemple.

En ce qui concerne la gestion du processus électoral : Les OGEs devront explorer le recrutement et la formation en ligne du personnel. Ils doivent s'assurer qu'ils disposent d'un personnel ad hoc formé qui puisse facilement remplacer d'éventuels absents. Ils peuvent également explorer la possibilité de s'approvisionner autant que possible au niveau local et de ne pas être trop dépendants de l'importation du matériel électoral.

Légitimité des résultats

Si les mesures de protection de la santé doivent être respectées, afin de garantir que la vie des citoyens n'est pas mise en danger dans l'exercice de leur droit de vote, les mesures mises en place par les gouvernements doivent être justes, inclusives et équilibrées. Elles doivent prendre en considération les différentes caractéristiques démographiques de la société et la manière dont elles seront affectées par ces mesures. De larges consultations doivent être organisées entre les groupes politiques et les citoyens pour garantir l'acceptabilité de ces mesures. Les gouvernements doivent s'assurer que les citoyens ne sont pas privés de leur droit de vote. Aussi devront-ils veiller à ce qu'ils soient bien informés. Il en va de leur responsabilité, pour le bien de toute une région, de créer toutes les conditions nécessaires à l'organisation d'un processus transparent et crédible dans un contexte de pandémie.

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