L'impact à long terme de la pandémie Covid-19 sur le continent sera durement ressentis par les pays. Des observateurs avertis envisagent une reprise économique inégale. C’est à l’image de Control Risks, une structure spécialisée dans la gestion des risques. Son Directeur Adjoint pour l'Afrique de l'Ouest chez Control Risks, M. Vincent Rouget, dans cet entretien exclusif accordé à allafrica.com estime qu’à l’heure où les finances publiques sont dans le rouge et les devises étrangères se font rares, « il est important pour les États de rester prévisible et d’éviter autant que possible de faire du secteur privé une source d’argent facile ».
La cinquième édition de l’Africa Risk-Reward Index qui analyse et expose les répercussions à long terme de la COVID-19 en Afrique sera lancée ce 15 septembre 2020. Quelles sont les grandes tendances qui se dégagent cette année, dans ce contexte particulier de crise ?
Cette cinquième édition est évidemment profondément marquée par le contexte de la COVID-19. Après plusieurs années où la tendance générale était positive, nos scores de risk-reward connaissent tous un net recul à travers le continent, avec une baisse particulièrement prononcée pour certains pays. C’est notamment le cas de l’Éthiopie, où l’impact économique de la pandémie se mêle à une situation politique tendue, avec des élections repoussées et une remontée des tensions entre régions. Pour d’autres États, notre évaluation du niveau de risque n’a pas tant changé ; mais partout, les économies accusent le coup.
Nous envisageons une reprise économique inégale, mais dans l’ensemble ralentie par le peu de marge budgétaire des États africains. Selon nos calculs, seuls cinq États dans la région vont être en mesure de déployer des plans de relance à suffisamment grande échelle ; ailleurs, la reprise reposera en grande partie sur le secteur privé. Toutefois, en contraste avec ce tableau plutôt sombre, nous avons aussi cherché avec cet index à montrer que la transition post-COVID ouvre également de nombreuses opportunités pour les pays africains : par exemple, en accélérant l’adoption de solutions digitales pour de nombreux problèmes de développement, ou en donnant aux gouvernements une motivation supplémentaire d’investir dans des programmes d’autosuffisance alimentaire.
Quel a été l’impact sur le marché du capital risque africain ? Quel est l’avenir du marché capital risque en Afrique ?
La crise de la COVID-19 aura une nouvelle fois montré la dépendance du continent envers les capitaux étrangers : dans les premières semaines de la pandémie en mars, près de 4 milliards de dollars ont été retirés des places financières africaines. Naturellement, les investisseurs étrangers ont tendance à se détourner des marchés frontières ; les États n’ont pas non plus nécessairement le même appétit pour certains projets, qui pourraient contribuer à l’endettement ou ajouter des obligations en devises étrangères. Il y a aussi des difficultés opérationnelles a conclure de nouveaux marchés dans cette période perturbée : comment établir de nouveaux contacts, voire même réaliser les vérifications nécessaires (due diligence) sur le terrain lorsque les frontières sont fermées ?
Un tel contexte montre en revanche le besoin pour les Etats africains de mieux tirer profit des capitaux nationaux et de développer leurs propres secteurs financiers. Plusieurs pays ont connu des progrès rapides ces dernières années, notamment avec l’établissement de fonds de pension et d’assurances, mais les capitaux ont toujours du mal à circuler et à trouver des débouchés productifs. Par exemple, la capitalisation boursière du Nigéria n’équivaut qu’a 10% de son PIB, contre 45% au Brésil et 90% en Inde.
2020 est marquée par une série d’élections prévues en Afrique. Est-ce que cela n’augmente pas le risque sur le plan sécuritaire et économique en Afrique si l’on sait que les prévisions de croissance faites par le Fmi et la Banque Mondiale, sont au plus bas ?
2020 est en effet une année électorale particulièrement chargée, avec des élections encore à venir dans 7 pays d’ici à décembre : Guinée, Tanzanie, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Ghana, Niger et République centrafricaine. Hormis en Ethiopie, la COVID-19 aura finalement eu peu d’incidence sur le calendrier électoral. Mais ces élections s’annoncent pour la plupart contestées, particulièrement en Côte d’Ivoire et en Guinée, et rajoutent une dose d’incertitude. Surtout, ces scrutins continuent de paralyser l’activité économique et les grandes décisions durant le temps de la campagne et au-delà pendant plusieurs mois. Ainsi, souvent ce n’est pas tant l’année électorale elle-même que la suivante qui est la plus difficile sur le plan économique.
Quelles sont les solutions à envisager pour réussir la relance post-COVID 19 en Afrique ?
En premier lieu, la relance doit nécessairement passer par une maitrise du virus dans les pays africains. Ceux-ci ont fait preuve de réactivité dans les premiers moments de la pandémie et les scénarios catastrophistes ont été évités. Il n’est pas viable de recourir à des confinements stricts, mais jusqu’à l’arrivée d’un vaccin il leur faudra maintenir un dispositif de test et continuer à sensibiliser les populations, cela pour répondre aux craintes – qu’elles soient fondées ou basées sur des idées reçues – et éviter que les pays africains restent isolés dans la durée.
Sur le plan économique, il y a des pistes à explorer pour tirer parti de cette période de rupture. Les programmes de riposte anti-COVID-19, alliés aux progrès du numérique, peuvent accélérer la formalisation de l’économie : des millions de personnes se sont enregistrées pour la première fois ces dernières mois afin d’accéder à des soins, des tests ou des distributions d’aide. Les mesures de distanciation sociale ont aussi donné un coup d’accélérateur au mobile money et à un ensemble de solutions digitales dans les domaines de la santé, de la logistique et du commerce.
Quelles assurances les pays doivent donner aux chefs d'entreprise et les investisseurs qui souhaitent développer leurs activités en Afrique, et anticiper sur les tendances à venir au niveau mondial - tout en minimisant les risques et en optimisant les bénéfices ?
Pour les investisseurs internationaux, le principal obstacle est souvent le manque de constance dans leurs interactions avec les autorités : pression fiscale, changements arbitraires de législation, etc. La plupart des Etats ont peu à leur offrir en termes d’accompagnement post-COVID-19, et on ne s’attend pas à ce que le secteur privé bénéficie d’avantages particuliers pour la relance, car il y a des priorités sociales plus pressantes. Cependant, à l’heure où les finances publiques sont dans le rouge et les devises étrangères se font rares, il est important pour les États de rester prévisible et d’éviter autant que possible de faire du secteur privé une source d’argent facile.
(Propos recueillis)