Le Troisième sommet sur la réduction des méfaits du tabac est également connu sous l’appellation «Sommet anti-tabac» s’est tenu les 24 et 25 septembre derniers.
Cette rencontre scientifique sur la réduction des méfaits du tabac se tient habituellement en Grèce. Toutefois, en raison de la pandémie de la Covid 19, l’édition de cette année s’est tenue en ligne. 50 intervenants y ont participé dans le cadre de 10 sessions/séances de travail.
La session intitulée “Politique de santé publique & Réglementation: à quoi s’attendre à l’avenir?” a vu la participation d’éminents experts en stratégies de lutte contre le tabagisme qui ont partagé leurs points de vue sur le thème. Lors de cette session présidée par Professeur Panos Vardas, Chef du Département de Cardiologie du Centre hospitalier universitaire Heraklion, en Grèce – les scientifiques ont discuté des données récentes et des informations réglementaires, médicales et scientifiques relatives à la réduction des méfaits du tabac.
Professeur Karl Fagerstrom est un psychologue clinicien Suédois et membre fondateur de la Society for Research on Nicotine and Tobacco en Suède. Il est actuellement le rédacteur en chef adjoint de Nicotine & Tobacco Research. Il est également l'ancien directeur de l'information scientifique sur les produits de substitution de la nicotine en Suède. Il a exposé la situation en matière de réduction des risques dans les pays nordiques, au Japon et au Royaume-Uni. Il a souligné qu'en Norvège et en Suède, la consommation de tabac avait considérablement diminué. Les deux pays commercialisent un produit du tabac sans fumée en poudre humide, fabriqué en Suède, appelé Snus, considéré comme une alternative à la cigarette:
“En Norvège, l’utilisation des cigarettes traditionnelles a commencé à baisser considérablement tandis que la consommation de snus a connu une hausse. S’agit-il d’un effet causal? Nous ne saurons le dire mais les deux faits coïncident très bien. Par ailleurs, les hommes Suédois consomment autant de nicotine que les autres hommes dans la plupart des autres pays de l'Union européenne. Si c'était la nicotine qui causait les maladies cardiovasculaires, pourquoi est-ce que la Suède devrait-elle enregistrer le taux le plus faible pour lesdites maladies par rapport aux autres pays?” En effet, il a présenté un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) publié en 2004 qui montre que les taux de mortalité attribuables au tabagisme étaient beaucoup plus faibles en Suède que dans les pays européens.
Il a également rappelé que la même organisation avait déclaré en 2012 que «parmi les produits du tabac sans fumée qui sont en vente sur le marché, ceux à faible teneur en nitrosamines (substance toxique), comme le snus suédois, sont considérablement moins dangereux que les cigarettes”. Il a aussi ajouté que “le Snus a été accepté par la FDA comme le premier produit à moindre risque. Les fumeurs ont, maintenant plus que jamais auparavant, la possibilité de choisir le meilleur produit en fonction de leurs besoins lorsqu'ils souhaitent arrêter de fumer.
Et le Professeur Fagerstrom de poursuivre dans sa présentation, soulignant qu’au Japon, la hausse des ventes des produits du tabac chauffé a coïncidé avec une chute sans précédent notée dans les ventes des cigarettes classiques entre 2015 et 2019. Le même phénomène a semblé s’être produit au Royaume uni:
“Au Royaume uni, la prévalence du tabagisme a connu une baisse historique de 15,1% en 2017, avec un taux de diminution annuel accéléré depuis 2009. L'avènement des cigarettes électroniques a été associé à une baisse plus rapide du tabagisme au Royaume-Uni.”
Néanmoins, malgré des preuves scientifiques, les stratégies internationales de lutte anti-tabac, telles que celles préconisées par la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte anti-tabac, n'intègrent pas le concept de réduction des risques lors de l'élaboration de réglementations et de politiques coordonnées. Le Docteur Toumbis est pneumologue à l'hôpital général des maladies pulmonaires d'Athènes, en Grèce, et Président de l'Institut chypriote des maladies respiratoires. Il a parlé des données récentes et des progrès en matière de lutte anti-tabac. Bien que le cadre de l’OMS propose une stratégie globale de lutte contre l’épidémie du tabagisme et énonce un large éventail de mesures fondées sur des données factuelles pour réduire la demande et l’offre de tabac, elle n’intègre pas de stratégie de réduction des risques, à l’exception de la thérapie de remplacement de la nicotine, comme les sachets et les gommes à la nicotine. Ainsi, Le Docteur Toumbis a déploré que les politiques et règlementations ne soient pas élaborées compte tenu des méfaits proportionnés des produits à base de nicotine:
“La réduction des méfaits est une approche de la lutte anti-tabac fondée sur des données probantes qui, avec d'autres interventions éprouvées de lutte anti-tabac, peut simultanément empêcher les jeunes de commencer à fumer et aider les fumeurs actuels à arrêter, ce qui permettrait ainsi de sauver de nombreuses vies plus rapidement que n’importe quel autre moyen”.
L’Afrique n’est pas en reste. En fait, c’est pratiquement le contraire qui se produit puisqu’il existe près de 1,1 milliard de fumeurs à l’échelle planétaire, dont 80% qui vivent dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire où les politiques et les infrastructures de santé sont fragiles et les autorités plutôt conservatrices en ce qui concerne les alternatives innovantes au tabac. En Afrique, 44 pays ont ratifié ou adopté la Convention Cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac.
Selon l’OMS, les pays africains enregistrent/connaissent un taux croissant de tabagisme. L’accroissement rapide de la population en Afrique subsaharienne et une augmentation du pouvoir d'achat des consommateurs conduisent à des marchés plus vastes et plus accessibles en Afrique. De plus, l'industrie du tabac fait des efforts intensifs pour élargir les marchés africains. Cependant, la prévention du tabagisme est, pour l'organisation des Nations Unies, la mesure la plus rentable et non l'utilisation de produits de réduction des méfaits du tabac.
Faudrait-il accepter la nicotine comme une drogue culturelle?
Tous les experts ont plaidé pour une approche plus réaliste, pragmatique et orientée vers le consommateur qui prend compte aussi bien de la volonté que de la capacité de chaque personne, mais qui est toujours basée sur la science. Pour eux, le rythme actuel des progrès réalisés dans la lutte anti-tabac n'est pas assez rapide et il est crucial de trouver des moyens supplémentaires pour accélérer la réduction du tabagisme.
Clive Bates, expert en santé publique, ancien Directeur de l'Action sur le tabagisme et la santé au Royaume-Uni a déclaré que les idées fausses ainsi que les amalgames qui existent autour du tabagisme, de la cigarette électronique et des produits du tabac chauffés sont en partie responsables du lent déclin de l'usage de la cigarette. Pour lui, la bataille pour la santé publique est certainement une bataille de communication:
“Le National Cancer Institute du Royaume a publié une enquête qui a montré que seulement 12,5% des participants pensaient que certains produits du tabac sans fumée, comme le tabac à chiquer et à priser, sont moins nocifs que les cigarettes classiques tandis que seulement 3,6% pensent que les cigarettes électroniques sont beaucoup moins nocives que les cigarettes classiques/traditionnelles. Par ailleurs, 56,5% des participants étaient d’avis que la nicotine contenue dans les cigarettes est la substance qui cause la plupart des cancers dus au tabagisme.”
Pourtant, un nombre incalculable d'études ont montré que c'est la combustion du tabac qui provoque des maladies et non la nicotine: il a cité IQOS - le nom commercial du produit du tabac chauffé du fabricant de tabac Philip Morris International (PMI). IQOS a récemment été autorisé par la Food and Drug Administration des États-Unis à être commercialisé en tant que produit du tabac à risque modifié. Pourtant, il a fallu de nombreuses années et de nombreuses études corporatives et indépendantes pour que l'entreprise obtienne enfin cette autorisation:
“Malheureusement, au nom de l'incertitude, nous soumettons ces produits à une réglementation excessive. Ces produits présentent certes un risque acceptable et pas un risque nul. Ils ne sont pas sans risque, mais nous savons avec certitude qu'ils causent moins de méfaits que les cigarettes combustibles.”
Il a ensuite souligné: “Nous n’encourageons pas la culture du tabagisme… Mais que cela nous plaise ou non, nous sommes une société toxicomane. L’une des préoccupations concernant la réduction des méfaits du tabac et ces produits à risque réduit est qu’ils auraient normalisé le tabagisme, ce qui n’est vraiment pas l cas. Il a fait plus pour le dénormaliser car ils ont créé une alternative claire et visible pour les consommateurs au tabagisme. Ce qu'ils font, c'est normaliser l'arrêt du tabac en passant au vapotage, au snus ou aux produits du tabac chauffés. Ainsi, l'effet de modélisation de rôle qu'ils ont est bénéfique. Lorsque les gens voient des amis, des proches dans les rues, utiliser ces produits, cela devrait contribuer à la diffusion de la technologie auprès des fumeurs. Cela commence à être considéré comme quelque chose de normal. C’est une technologie anti-tabac. Plus les gens auront cette conviction, plus vite ils cesseront de fumer”.
Le Docteur Fagerstrom Fagerstrom a finalement déclaré que le combat ultime pour la réduction des méfaits ne consiste pas tant à savoir dans quelle mesure les produits de réduction des méfaits sont sûrs, mais à savoir si la nicotine peut être éradiquée ou sera acceptée comme drogue culturelle? La meilleure façon pour un fumeur qui veut arrêter de fumer est de ne pas utiliser de nicotine, ni de tabac du tout. Mais beaucoup trouvent cela trop difficile et veulent faire un pas plus sage loin de la cigarette traditionnelle. «Le moyen le plus simple, je pense, serait d'utiliser des produits du tabac chauffé sans fumée comme tremplin.