Maradona est mort. J'ai laissé le temps aux légendes encore vivantes pour peaufiner leur hommage au dieu Diego Armando. Une parole uniquement accordée à ses pairs, ceux de son rang.
Pelé (trois Coupes du Monde), le Kaiser Franz Beckenbauer (WM 1974, Euro 1972, trois C1, double Ballon d'Or), Michel Platini (Euro 84, triple Ballon d'Or), Cristiano Ronaldo (cinq Ligue des Champions, Euro 2016, quintuple Ballon d'Or), Léo Messi (sextuple Ballon d'Or, quatre Ligue des Champions). Et Johan Cruyff, le triple Ballon d'Or et révolutionnaire du football.
De son vivant, en 2012, Cruyff, présentant son livre «Le football, ma philosophie», avait dévoilé son onze de tous les temps : avec Yachine, avec Beckenbauer, avec Pelé, avec Maradona ; mais sans Messi, ni Platini, ni Zidane, ni CR7. Ni lui-même Cruyff.
Pas rancunier, Platini avait déjà choisi «Cruyff (1947-2016), le meilleur joueur de tous les temps». Avec une dernière hésitation: «Pelé n'est plus un footballeur. C'est un mythe. Quand on joue comme Pelé, on joue comme Dieu». À propos de Maradona, CR7 fut sans ambages: «Le monde dit au revoir à un génie éternel. L'un des meilleurs de tous les temps. Un magicien inégalable». Sachant Maradona et Messi à poste pour poste, le tacle de Ronaldo pour son éternel rival au Ballon d'Or est finement glissé. Même Ibrahimovic, avec l'espérance secrète qu'on lui rende un jour la pareille au quintuple, y alla de son couplet: «Maradona n'est pas mort. Il est immortel. Dieu a fait cadeau au monde du footballeur le plus doué de tous les temps».
Dans le débat quant au GOAT (Greatest Of All Time), Pelé et Messi ont décidé de laisser la porte ouverte à toutes les possibilités, y compris la leur. Minimum syndical donc. Messi: «Diego est immortel». Pelé: «Le monde a perdu une légende».
En 2000, la FIFA avait élu Pelé «joueur du XXème siècle». L'autre 23 octobre 2000, Pelé fêtait ses 80 ans. Irrévérencieux, Maradona avait déjà dit de Pelé et de Beckenbauer, chaque fois qu'ils prenaient doctement la parole, que «ces deux sont sortis de leur sarcophage et se sont échappés du musée».
Beckenbauer raconte comment il avait rencontré Maradona en 1978, avec l'Argentine U21: «Ce n'était pas un footballeur, mais un artiste, un danseur. Un génie à son époque, le meilleur footballeur du monde dans les années 70s et 80s». Beckenbauer vs. Cruyff, Maradona vs. Platini, Messi vs. Ronaldo: finalement Pelé était tout seul contre lui-même. Je n'ai d'ailleurs pas vu jouer Pelé, «le plus grand joueur de la plus grande équipe à la Coupe du monde 1970». Tandis que de Messi ou de CR7, il restera des tonnes d'images en qualité numérique. Les VHS qu'on se rapasse de Maradona sont déjà youngtimer, mais ses prouesses à lui sont définitivement collector. Ses stats restent somme toute modestes (34 buts avec l'Argentine), loin très loin des additions industrielles d'un Messi ou d'un CR7. Voire des 1 000 buts théoriques de Pelé. Cet «oubli» est une coquetterie à échelle humaine.
«Si je ne m'étais pas drogué, on ne parlerait même pas de Pelé», avait-il encore osé. Une vie privée mouvementée que lui reprochera toujours Beckenbauer. Tandis que le peuple du football ne lui en veut de rien: «la tête de Maradona, la main de dieu».