Depuis le CP, on nous rabâchait les oreilles que le genre était une dualité de masculin et de féminin. En classe, il n'y avait pas de rangée de fille et de garçon ; chacun avait une voisine et savait que sa voisine était une conscience à part entière mais qu'entre elle et le garçon il y avait quand même des différences et des nuances, des contradictions mais jamais d'opposition. Le maître nous disait que Fatou était une fille mais que son état de fille ne faisait pas d'elle un être inférieur ou incomplet.
D'ailleurs, la première de la classe c'était elle. A la maison, chaque matin avant que le soleil ne se réveille, je partais puiser l'eau au puits avec les filles et la portais sur ma tête ; je lavais les ustensiles avant d'aller à l'école. J'aidais ma mère à faire la lessive et je connaissais aussi bien le mode d'emploi de la cuisine que ma conjugaison à l'imparfait du subjonctif. Ma mère m'a éduqué comme une fille pour que je sois un homme ; l'homme qui sait mettre la main à la pâte sans rechigner ; l'homme qui sait se brûler les doigts pour que la famille soit rassasiée ; l'homme qui sait porter le pagne quand il le faut sans perdre un seul brin de sa virilité. On n'a pas besoin d'avoir un phallus pour être le sexe fort. Parce que de toute façon, qu'est-ce que la force ?
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