Afrique: Restitution des biens culturels africains - La vision bilatérale du Pr Amadou Mahtar Mbow comme mode d'emploi

12 Avril 2021

En 1978, le Pr Amadou Mahtar Mbow invitait la communauté internationale a adopté une démarche bilatérale et commune pour le rapatriement des biens culturels africains spoliés par les anciennes puissances coloniales. Un appel qu'acteurs culturels, universitaires, le monde des arts dans son ensemble, veulent adopter comme mode d'emploi dans les démarches actuellement entreprises pour le rapatriement d'une partie de l'histoire africaine mais aussi pour la nouvelle vie à lui donner une fois de retour dans le continent.

« J'appelle solennellement les gouvernements des États membres de l'Organisation à conclure des accords bilatéraux prévoyant le retour des biens culturels aux pays qui les ont perdus; à promouvoir prêts à long terme, dépôts, ventes et donations entre institutions intéressées en vue de favoriser un échange international plus juste des biens culturels; à ratifier, s'ils ne l'ont pas encore fait et à appliquer avec rigueur la Convention qui leur donne les moyens de s'opposer efficacement aux trafics illicites d'objets d'art et d'archéologie ».

Cet appel qu'avait lancé M. Amadou-Mahtar M'Bow, Directeur général de l'UNESCO, le 7 juin 1978, a été convoqué dans l'après-midi de ce samedi 10 avril 2021 par tous les panélistes qui ont animé le wébinaire sur « Restitution des biens culturels ».

Sous la modération du Pr Souleymane Bachir Diagne, ce panel virtuel à passer au peigne fin les trois temps des biens culturels africains : le rafle, leur séjour et le retour. Une chronologie qui retrace l'appel du Pr Mbow dans son entièreté.

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Ce qui démontre l'actualité de la pensée de l'ancien patron de l'UNESCO du moment que le dossier de la restitution a connu des avancées significatives depuis le discours du Président Emanuel Macron,  novembre 2017 à Ouagadougou, la capitale burkinabé.

L'appel du Pr Amadou Mahtar M'Bow est convoqué à nouveau dans la mesure où les choses avancent mais de manière dispersée et disproportionnée.

Un état de fait que Felwine Sarr, universitaire et écrivain sénégalais explique par la différence des démarches qu'adoptent la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, le Portugal, entre autres pays anciens colonisateurs.

Il n'a pas aussi oublié d'alerter sur les démarches solitaires entreprises par les pays africains et qui peut s'avérer contre productives du moment que le nombre d'objets jusque-là rendu est largement en deçà des attentes. 200 mille objets africains seraient encore au musée du Quai Branly  en France.

Au-delà de cette attitude, les panélistes sont étonnés par la posture de certains pays africains qui semblent manifester une indifférence par rapport à cette question de restitution d'un pan de leur histoire.

A titre illustratif, plus de 500 mille biens culturels congolais se trouvent dans des collections belges alors que ce pays d'Afrique centrale n'est pas très engagé dans ce combat.

Felwine Sarr qui, à côté de l'universitaire et historienne de l'art française, Mme Bénédicte Savoy, ont remis leur rapport sur le rapatriement des objets ethnographiques ou artéfacts, au président Macron en 2018, estiment que la réappropriation d'une partie d'un patrimoine culturel peut être sources d'opportunités pour la jeunesse africaine.

Selon lui, « le retour d'objets emblématiques peut jouer un rôle important dans une société et le travail de reconstruction de l'histoire commence par la récupération des objets perdus ».

Ce qui l'amène à mettre le curseur sur la vie à donner à ces objets une fois leur retour au bercail. Une fenêtre qui ouvre le chapitre sur l'adaptabilité des musées africains et leur compétence à gérer ces objets symboliques.

Après le retour des objets, les spécialistes pensent qu'il faut réinventer les musées en évitant la réplique et le mimétisme.

Pour le directeur des civilisations noires du Sénégal, M. Hamady Bocoum, il faut éviter d'être dans le rétroviseur et se focalisant sur la conservation et la promotion des objets retrouvés.

A son avis, il faut réinventer les choses en créant quelque chose d'inédite avec le retour des objets d'art en Afrique. Il annonce que le Sénégal vient de mettre en place une commission nationale de restitution. Ce qui montre l'importance que le pays accorde à cette question.

Dans la même veine, Felwine Sarr juge importante cette mission de rapatriement du moment que les sociétés africaines ne transmettent que ce qu'ils jugent digne pour leur descendance.

A son avis, « les choses ont relativement bougé au niveau de la CEDEAO ou à l'Union africaine».

Devant cet état de fait, M. Sarr pense qu'il faut mettre en branle une stratégie qui va agir au niveau de la diplomatie et autres canaux pour mener le combat.

Une brèche qu'emprunte M. Andreas Görgen, Directeur des affaires culturelles en Allemagne et dirigeant de l'ensemble des instituts culturel Goethe dans le monde. Il renvoie au Pr M'Bow qui, à partir de la pensé bilatérale, avait invité les organisations à travailler sur un code d'éthique, aux médias de joueur pleinement leur rôle, mais surtout à l'édiction des musées africains.

Ce qui, selon M. r Görgen, revient à redéfinir le rôle des institutions internationales dans cette lutte. Pour lui, il va falloir repenser l'ouverture de ces institutions et musées mais surtout réfléchir à quel point il faudrait replacer l'art et la culture au sein de la société.

A son avis « l'UNESCO aurait dû continuer le travail du Pr M'Bow à la suite de son appel pour le rapatriement des biens culturels ».

Avant d'avertir : « vu l'attitude de la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Espagne et Le Royame Uni qui utilisent des approches différentes, il serait difficile d'adopter une démarche commune ».

Faire encadrer la restitution des biens pillés ou perdus par une convention internationale

Originaire du Bénin, et professeur titulaire au Département d'information et communication de l'Université Laval, au Canada, M Charles Momouni, pour sa part pense que le retour des objets en question ne peut pas échapper aux mécanismes du droit international.

Sur ce point, il a souligné que avant l'arrivée de Amadou Mahtar M'Bow sur la scène internationale, la question du pillage des biens était laissée en rade par le droit international.

M. Momouni confie que « l'appel de 1978 du Pr M'Bow, est un texte à valeur doctrinale qui a été soutenu par de nombreuses résolutions de l'Assemblée Générale des Nations Unies.

Par ailleurs, se désole-t-il, « malgré l'intensité des actions menées au sein du système des NU, les biens culturels sont toujours dans une incertitude en droit international. Il n'existe toujours pas de normes contraignantes mais que des résolutions qui ne peuvent pas s'appliquer de façon obligatoire ».

Devant cet état de fait, il recommande l'encadrement de la restitution des biens pillées ou perdus par une convention internationale conclue dans l'esprit de Amadou Mahtar M'Bow. Ce qui, à son avis, sera un couronnement de l'appel lancé par le système des nations unies

Dans cette même dynamique, M. Momouni pense qu'il faut redonner à l'Unesco le rôle de coordonner cette restitution et que le retour des biens se fasse dans le cadre des relations internationales et de la diplomatie. Ce qui, d'après lui, permettra d'éviter un saupoudrage.

Pour lui, le retour doit être organisé au niveau africain en tenant compte des plans nationaux et communautaire, même africain.

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