Afrique: Les pays appelés à traduire le concept du NOMIC dans leurs activités sur le plan national et régional

27 Avril 2021

La région Sud et les pays du tiers monde sont appelés à prolonger intellectuellement le débat sur le concept de NOMIC (Nouvel ordre mondial de l'information et de la communication) et le traduire dans leurs activités sur le plan national et régional. L'invite est du rapporteur spécial de l'ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance, M. Doudou Diène. Un appel qui traduit l'actualité d'un concept initié par le Pr Amadou Mahtar Mbow, alors Directeur général de l'UNESCO.

Mettre ensemble les forces africaines sur le plan intellectuel, technologique et éthique pour contrer les nouvelles forces qui contrôlent la société de l'information et de la communication dans le monde.

C'est l'un des souhaits pieux exprimé lors du wébinaire tenu le samedi 24 avril 2021 sur le thème « Amadou Mahtar Mbow le Visionnaire: Histoire et Actualité du Nomic ». Cette rencontre virtuelle est organisée dans le cadre de la célébration du Centenaire du Pr Amadou Mahtar Mbow.

Un après-midi d'échange qui a permis aux panélistes de traiter la question la plus lourde de la gestion de l'UNESCO par Amadou Mahtar Mbow.

Une thématique qui avait d'ailleurs avait suscité des réactions au sein de la communauté internationale avec le retrait des États Unis de cet organisme onusien.

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Il faut rappeler que le NOMIC était structuré autour d'enjeux comme le développement de l'information et de la communication, la démocratisation de l'accès à l'information, les conditions de production et de circulation de l'information avec les déséquilibres et les inégalités qui s'approfondissent et dans quelles mesures, elles touchent aux valeurs qui sous-tendent ce concept.

Ceci, notamment sur les idéaux de démocratie, de respect des droits humains, de pluralisme et de diversité.

Compte tenu de son actualité et vu les développements de l'heure, le rapporteur spécial de l'ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance, M. Doudou Diène dit avoir regretté très profondément le fait que les pays du tiers monde n'ont pas assumé de manière intellectuelle la couverture qu'il fallait de ce débat sur le NOMIC.

A son avis, « il était important, intellectuellement de prolonger le débat sur le concept de NOMIC et le traduire dans nos activités sur le plan national et régional ».

Ce qui, selon lui, aurait permis à des régions comme l'Afrique de prendre une place de choix dans un village planétaire où l'occident continue de monopoliser les outils technologiques ainsi que les courroies d'information et de communication.

Dans cette dynamique, M. Diène s'interroge sur la manière dont les pays du tiers monde ont traduit les enjeux de la démocratisation, du pluralisme au niveau interne. Ce qui est d'ailleurs une des fortes recommandations du rapport McBride intitulé « Voix multiples, un seul monde » qui, adopté le 25 octobre, anticipait déjà sur les problèmes de la communication dans la société moderne.

Pour M. Diène, l'alerte sonnée à l'époque à l'UNESCO, sous l'impulsion du Pr Mbow, est perceptible du moment que la communauté actuelle vit dans une société de surveillance, de contrôle et de communication par des technologies développées.

Ce qui lui fait dire que la structure de l'information et de la communication est contrôlée par des machines et technologies qui permettent littéralement de maitriser les retombées c'est-à-dire le savoir, la culture et les comportements des peuples et des individus. Ce qui est un moyen de domination.

Doudou Diène pointe du doigt la question de concentration ou l'absence de pluralisme et diversité de l'information qui, historiquement, a été abordée par les non-alignés du temps  ou le Pr Mbow le défendait à l'UNESCO.

A l'en croire, la plupart des grands moyens de communication sont contrôlés par des groupes ou des individus ayant acquis des ressources financières et économiques importantes dans l'armement, l'industrie et d'autres domaines.

« Ils ont compris que la source profonde du pouvoir et de domination c'est de transformer la mentalité des gens et littéralement de toucher en profondeur à leur manière de penser et de se comporter. La communication et l'information est un outil fondamental de domination ».

La source de la pensée qui est l'école et l'université, est aujourd'hui investie par le marché. A cela s'ajoute les moyens d'édition (livres) et de diffusion (agence de presse, chaines de télévision) qui sont également sous contrôle de groupes économiques et financiers.

Pour lui, le centenaire de Amadou Mahtar Mbow doit être l'occasion de produire des réflexions, des idées et des actions qui permettent de faire face aux enjeux contemporains et de redonner aux peuples les moyens de leur identité et de leur expression. Ce qui se traduire par la démocratisation de la situation internationale

Plenel salue une réflexion profondément prophétique d'Amadou Mahtar Mbow

Dans la même dynamique que Doudou Diène, le président et cofondateur de MediaparT, M. Edwy Plenel a démontré comment la réflexion fondamentale sur le NOMIC initiée par le Pr Mbow est aujourd'hui profondément prophétique, à son sens.

Pour lui, cette vision a posé une alerte dans un contexte particulier de la guerre froide avec les deux blocs, les non-alignés qui essayaient de faire entendre un autre son de cloche, malgré les contraintes.

A son avis, à travers le NOMIC, l'idée qui a le plus dérangé les grandes puissances, est que les technologies ne sont pas neutres ainsi que l'information.

Il faut comprendre qu'il ne suffit pas que les moyens d'information se développent pour que les peuples soient plus libres, plus émancipés et plus maître de leur destin surtout dans le contexte actuel où le monde est rythmé par la révolution digitale ou numérique.

Plenel pense que le NOMIC a joué le rôle de mise en garde et a permis de ne pas être dupe ni passif face à ce qui est apparu comme un mirage.

Pour lui, c'est à l'usage social qui déterminera si les technologies sont un progrès ou une régression.

A son avis, le développement de la presse de masse, de la télévision, du digital, est un enjeu d'un combat politique.

A chaque révolution industrielle, dont la troisième est celle technologique, il y a eu un espoir démocratique nouveau mais parallèlement, un dispositif est là pour le contrer.

Le patron de MediaparT dénonce ainsi une tendance à mettre en en veilleuse une volonté de s'émanciper.

Comme l'illustre le sort subi par des lanceurs d'alerte comme Édouard Snowden, Julien Assange, Chelsea Manning, Rui Pinto, ainsi que leurs confrères africains.

Des acteurs qui ont osé faire face à la toute puissante des GAFA et des États qui, dans leurs cours autoritaires, veulent empêcher l'utilisation de ces nouvelles armes démocratiques pour l'émancipation, les causes communes de l'égalité.

Devant cet état de fait Edwy Plenel estime que l'alerte initiale lancée par Amadou Mahtar Mbow connait son moment de vérité aujourd'hui devant l'enjeu de voir comment inventer ce moment nouveau.

Un enjeu qui, selon lui, passe par le terrain de l'information qui est le terrain du savoir populaire.

"Le génie de M. Mbow à la tête d'une organisation chargée de l'éducation a permis de savoir ça", estime-t-il.

Allafrica, un exemple concret de l'esprit NOMIC

Pour illustrer les grandes idées développées par ses prédécesseurs, M. Amadou Mahtar Ba, CEO du Groupe AllAfrica Global Media a mis en exergue la notion de « pouvoir » par rapport à l'information et la communication.

Il convoque Thomas Jefferson, ancien président des États-Unis qui, dans une de ses sorties en 1797, disait : « S'il m'était donné de choisir entre un gouvernement sans journaux et des journaux sans gouvernement, je n'hésiterais pas une seconde à choisir ce dernier cas ».

Une citation qui, selon M. Ba, montre le pouvoir investi aujourd'hui derrière tout ce qui est information et communication.

Pour lui, le débat sur le NOMIC s'est tenu autour de trois facteurs déterminants à savoir l'asymétrie des flux d'information et de la communication entre le nord et le sud avec les grandes agences transnationales de presse (AFP, Reuters, AP, TAS) qui avaient une mainmise sur l'information.

A cela, M. Ba y ajoute ce qui est appelé « la conspiration du silence » qui voulait dire qu'on ne parlait des pays du sud que quand il y avait des situations de crise, famine…

A cela s'ajoute l'impérialisme culturel qui se traduisait par une volonté de "bombarder" les pays du sud par des croyances et d'analyses venues d'ailleurs.

Devant cet état de fait, Amadou Mahtar Ba pense que le rapport McBride qui a aidé à la mise en place du Programme international pour le développement de la communication (Pidc) a eu un impact certain dans les pays du Sud.

En Afrique, il a été observé la création de l'Agence panafricaine d'information (Panapress). Ce qui sonnait comme des moyens pour aider les pays du Sud à faire entendre leur voix à travers le monde.

C'est dans cette dynamique et avec la démocratisation de l'outil technologique que sont nées des initiatives privées comme allafrica.com dont l'ambition est de permettre aux Africains de disposer d'information sur l'Afrique à travers des contenus ou sources locales.

« Par le travail que nous avons voulu faire à allAfrica, on s'est dit comment faire pour informer les Africains et les non africains qui ont un intérêt pour le continent, partout où ils peuvent se trouver dans le monde ».

Ce qui s'est fait à travers un réseau à travers les 54 pays africains où allAfrica a des conventions avec des médias locaux que ce soit du service public comme du privé. « Dès qu'ils nous envoient leurs contenus en français et en anglais, on les redistribue à travers le monde ».

Dans cette dynamique, les initiateurs de allAfrica se sont dit comment faire pour que ces informations en provenance d'Afrique puissent être également dans des réseaux reconnus comme étant les dominants à travers le monde, à l'image de LexisNexis, Bloomberg, Dow Jones…

Le but recherché c'est de mettre les informations venant de sources locales, africaines à côté de celles de sources occidentales.

Pour M. Ba, cette démarche confirme l'adage qui dit que « l'union fait la force » surtout dans cette dynamique consistant à inverser la tendance.

A son avis, l'autre défi de cette démarche c'est d'essayer de faire barrage à l'impérialisme culturel. C'est pour cela que, pense-t-il, il ne faut pas dissocier l'histoire générale de l'Afrique au NOMIC.

Ce cheminement d'Amadou Mahar Ba l'amène à dire : « il est important de toujours savoir utiliser sa voix, façonner son histoire pour pouvoir la distribuer ».

Le rôle des femmes journalistes dans cette longue marche

Convoquant le passé, Eugénie Rokaya Aw pense que le NOMIC était une opportunité extraordinaire pour les journalistes car ça a permis de mesurer leur pouvoir.

Selon elle, cette initiative était venue à point nommé dans la mesure où elle venait compléter des revendications au niveau national et régional.

Une dynamique dans laquelle les femmes journalistes ont joué un rôle essentiel à travers des organisations comme l'association des professionnelles africaines de la communication qui développait une pensée panafricaine de la question.

Il y avait l'ambition de changer l'image dévalorisante des femmes d'Afrique et d'offrir d'autres perspectives.

Hawa Ba, responsable du bureau pays d'OSIWA, quant à elle, estime que le NOMIC prouve à suffisance qu'Amadou Mahtar Mbow est un visionnaire.

Un postulat qu'elle a su développer à travers les aspects de la fracture numérique qui remet en cause la souveraineté numérique et des droits humains des citoyens africains, l'accès et l'accessibilité à internet et ses limites.

A cela s'ajoutent la problématique des plateformes digitales et l'intelligence artificielle qui, selon elle, est le terrain sur lequel la problématique du NOMIC va se manifester de plus en plus.

Pour Hawa Ba, les droits numériques, la liberté et l'inclusion sont de plus en plus menacés dans plusieurs pays africains à cause d'un désir des pouvoirs en place de contrôler les discours des populations. A cela s'ajoute, l'absence de lois sur la protection des données personnelles.

Ce qui montre que les interpellations soulevées depuis des années par le NOMIC sont loin de connaitre leur épilogue.

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