Bamako/Dakar/Bruxelles — Les deux coups d'Etats d'août 2020 et mai 2021 ont plongé le Mali, toujours en proie aux violences armées, dans l'instabilité. Malgré un bilan jusqu'ici décevant, les autorités de la transition malienne peuvent encore concrétiser l'aspiration au changement et organiser des élections générales transparentes en 2022.
Que se passe-t-il ? En neuf mois, deux coups d’Etat ont plongé le Mali dans l’instabilité tandis que la violence persiste dans l’intérieur du pays. Ni les acteurs maliens ni les partenaires internationaux n’ont profité de la transition ouverte par la chute du président Keïta pour remettre le pays sur de bons rails.
En quoi est-ce significatif ? Le second coup d’Etat du 24 mai 2021 a conforté la mainmise des militaires sur le pouvoir et marqué le début d’une période qui nourrit plus de craintes que d’espoirs. La nouvelle coalition au pouvoir apparait fragile et peu en mesure de mener à bien des réformes pourtant nécessaires.
Comment agir ? Les dirigeants maliens doivent sauver ce qui peut l’être du projet de transition, notamment en menant une réforme du système électoral qui permettra la tenue d’élections proposant aux citoyens de réelles alternatives. L’incertitude actuelle ne devrait pas empêcher les partenaires étrangers d’œuvrer sur le long terme, afin d’aider l’Etat malien à se reconstruire.
Synthèse
Près de dix ans après le putsch de 2012, le Mali, dont les zones rurales sont toujours en proie aux violences armées, a subi deux coups d’Etat en moins d’un an. Le premier, mené par des officiers le 18 août 2020, a abouti au renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Pendant les neuf premiers mois d’une période de transition qui doit en durer dix-huit, les tensions entre civils et militaires et la fragilité de sa base politique ont paralysé le gouvernement. Un second coup, le 24 mai 2021, a conforté le pouvoir des militaires, mais ouvert une nouvelle période d’incertitudes. Malgré une présence massive, les partenaires internationaux, qui continuent de privilégier la lutte anti-terroriste plutôt que le soutien aux réformes de gouvernance, ont montré les limites de leur action. Pour tirer le meilleur parti de cette transition, les forces politiques peuvent encore entamer des réformes électorales, clôturer cette période par des élections transparentes, rassembler les acteurs politiques et de la société civile et lancer des consultations nationales soucieuses d’identifier et dépasser les facteurs de blocages.
Dans la foulée du coup d’Etat du 18 août 2020, les militaires du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), la junte qui a renversé IBK, ont habilement manœuvré pour conserver des postes clés au sein des nouvelles autorités de transition. Ils ont parallèlement affaibli leurs rivaux, en particulier le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), la principale coalition civile anti-IBK. La transition a, du fait de ces manœuvres politiques, accouché d’un premier gouvernement fragile, sans base politique et sociale solide pour s’atteler aux réformes promises. Malgré une feuille de route ambitieuse adoptée en septembre 2020, aucune action d’envergure n’a été réalisée durant les neuf mois du gouvernement dirigé par Moctar Ouane. Alors que la situation sécuritaire dans le pays ne connaissait pas d’amélioration significative, le gouvernement de transition est rapidement apparu en panne, paralysé par des luttes d’influence avec le CNSP, officiellement dissous mais toujours très actif en coulisses.
Dans ce contexte, un remaniement ministériel opéré en mai 2021 a mis au jour les tensions qui paralysaient l’action gouvernementale et créé les conditions d’un second coup d’Etat opéré par les militaires de l’ex-CNSP. Pendant des mois, le gouvernement Ouane avait cherché à s’affranchir des interférences des militaires et à élargir sa base politique par des consultations avec les forces sociales et politiques. En mai 2021, le remaniement ministériel opéré par le gouvernement, qui écartait plusieurs ministres proches ou membres de l’ex-CNSP, s’est brutalement retourné contre les principales autorités civiles. Les militaires les ont mises aux arrêts.
Quelques jours plus tard, le colonel Assimi Goïta, chef de l’ex-CNSP et jusque-là vice-président, est investi président de la transition. Ne pouvant gouverner seuls, les militaires de l’ex-CNSP, putschistes pour la seconde fois, ont chargé Choguel Maïga, porte-parole du M5-RFP, de former un nouveau gouvernement. Cette nouvelle alliance entre civils et militaires est cependant fragile : le M5-RFP est divisé et a perdu son autorité morale, l’imam Mahmoud Dicko, ancien dirigeant du Haut conseil islamique du Mali. L’alliance avec les militaires semble même contre nature si l’on se souvient que, pendant les mois qui ont suivi le coup d’Etat d’août 2020, Choguel Maïga a dénoncé la militarisation du pouvoir. La composition du gouvernement formé en juin 2021 ne laisse aucun doute sur le fait que les putschistes conservent la réalité du pouvoir. Ils gardent la main sur l’exécutif et les marges d’action des autorités civiles seront limitées. Neuf ans après le renversement du président Touré et un an après celui d’IBK, le pays donne à nouveau le sentiment d’un inquiétant retour à la case départ.
Après le coup d’Etat de mai 2021, les principaux partenaires du Mali, cherchant avant tout à éviter l’effondrement total du pays, ont tenté d’influencer le cours de la transition, mais leurs actions ont montré leurs limites. S’ils ont fait pression, avec un succès relatif, pour éviter la confiscation complète du pouvoir par les militaires, leurs priorités restaient d’accélérer la mise en œuvre de l’accord de paix de 2015 et de pousser vers une transition courte de dix-huit mois. Malgré la présence de milliers de soldats étrangers et la dépendance financière du pays envers les bailleurs, les partenaires internationaux n’ont pas su aider les autorités civiles à poser les bases d’un changement vertueux de la gouvernance au Mali. Beaucoup estimaient que celles-ci n’avaient ni le temps ni la légitimité d’engager de telles réformes de fond.
Le contexte actuel de forte instabilité politique à Bamako, conjuguée à la crise sécuritaire, notamment dans les espaces ruraux, rend la plupart des observateurs pessimistes sur l’évolution de la situation dans les semaines et mois à venir. Les tensions au sein de l’appareil sécuritaire ont pour le moment été maitrisées, mais elles représentent un risque réel pour la stabilité du pays. De nouveaux équilibres politiques sont en construction à la tête de l’Etat, mais ils s’annoncent fragiles.
Il reste cependant possible de tirer quelques bénéfices de la période de transition et, avant tout, d’éviter une nouvelle sortie de route. Si les partenaires extérieurs ont leur rôle à jouer, c’est aux forces politiques et sociales maliennes qu’il revient en premier lieu de se ressaisir et de sortir le Mali de la crise sécuritaire et de la dépendance dans lesquelles le pays est enfermé. Lors des évènements de mai 2021, les Maliens se sont peu mobilisés, donnant le sentiment d’une forte lassitude face à ceux qui se disputent les oripeaux du pouvoir. Les nouvelles autorités maliennes devraient œuvrer à clôturer la transition par des élections transparentes et équitables, permettant surtout aux citoyens d’élire ceux qui proposent de réelles solutions de sortie de crise. Les acteurs maliens et les partenaires internationaux devraient inscrire leurs actions sur le long terme pour remettre la démocratie malienne sur de bons rails et assainir la gouvernance.
Pour prévenir une nouvelle sortie de route de la transition, les forces politiques et sociales maliennes et les partenaires internationaux devraient
- Poursuivre les efforts entrepris par le précédent président de la transition visant à rassembler davantage les acteurs politiques et de la société civile autour des priorités de la transition. Le choix des réformes à opérer nécessite un large consensus des acteurs maliens pour éviter les blocages préjudiciables à la bonne marche de la transition ;
- Continuer de faire pression sur les autorités de transition, et le président Goïta en particulier, qui ont promis une réduction du train de vie de l’Etat et une meilleure gestion des deniers publics, notamment dans les secteurs de la défense et de la sécurité, qui ont été émaillés de scandales financiers ces dernières années ;
- Créer les conditions de l’adoption consensuelle d’une nouvelle loi électorale et d’une nouvelle charte des partis – deux objectifs encore réalisables de la feuille de route – afin d’assainir le jeu électoral, notamment en réduisant le contrôle de l’administration territoriale sur l’organisation des élections et en remédiant à la multiplication de partis politiques sans programme réel ;
- Encourager les autorités de transition, dans le cadre des réformes plus ambitieuses contenues dans la feuille de route – notamment la révision constitutionnelle – à mettre en place un processus national de consultations soucieux d’identifier les facteurs de blocages et à laisser à des autorités démocratiquement élues le soin de soumettre à référendum un projet de nouvelle constitution ;
- Rester vigilants et se montrer fermes en cas d’usage de la violence contre les oppositions politiques, ce dont les putschistes se sont jusqu’ici abstenus.
Par ailleurs, les partenaires internationaux devraient moins se préoccuper de mettre un terme à la transition dans les délais convenus que de chercher à préserver et à concrétiser l’engouement pour la refondation de l’Etat, né après la chute d’IBK. Ils devraient inscrire leurs actions dans le plus long terme et tenter dès aujourd’hui de mieux identifier et soutenir les forces porteuses du changement. Les partenaires internationaux devraient moins imposer un modèle extérieur d’Etat vertueux que faire plus de place aux initiatives locales visant, à l’intérieur de l’administration, à produire des services plus efficaces et adaptés.