Centrafrique: Voir loin, miser sur le capital humain - Les clés du développement centrafricain

Ousmane Diagana, Vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale
6 Octobre 2021
tribune

Géraldine Wonzangba est une étudiante comme on en trouve dans le monde entier : chimiste en formation à l'université de Bangui, elle a cet âge où tous les rêves sont permis. Le sien : devenir enseignante et chercheuse.

En République centrafricaine (RCA), l'accès aux études supérieures est un privilège rare : en moyenne, un enfant centrafricain n'est scolarisé que 4,6 ans au cours de sa vie. Une réalité particulièrement dure pour les femmes et jeunes filles comme Géraldine. Elles courent aussi de nombreux risques et autant d'obstacles sur leur chemin : grossesses précoces, violences basées sur le genre ou taux élevé de mortalité maternelle (824 pour 100000 naissances). Le parcours de Géraldine est donc impressionnant dans un tel contexte de défis nombreux et complexes.

La semaine dernière, j'ai rencontré Géraldine et ses camarades lors de mon déplacement à Bangui. J'ai été impressionné par leur volonté de contribuer au développement de leur pays. D'une résilience et d'une détermination admirables, ces jeunes ont soif d'un avenir meilleur et leurs attentes sont aussi considérables que légitimes. A leurs côtés, j'ai pu me rendre compte de l'ampleur de la tâche pour reconstruire ce pays fragilisé par des années de conflits.

Avec un territoire aussi vaste que la France et le Benelux réunis, pour seulement cinq millions d'habitant, la République centrafricaine est dotée d'un potentiel considérable tant sur le plan agro-forestier que minier. Le pays dispose également de ressources en eau qui font pâlir d'envie nombre de ses voisins en proie à des sècheresses de plus en plus fréquentes. Et pourtant le pays est l'un des plus pauvres du monde, avec un faible indice de capital de développement humain.

Ce paradoxe résulte d'une fragilité endémique, dont les racines sont anciennes. Bien avant l'accession du pays à l'indépendance, le territoire a fait l'objet d'une exploitation indigne de ses ressources qui n'ont bénéficié qu'à des groupes et à des intérêts prospérant dans des contextes de conflit et d'insécurité. Depuis son indépendance en 1958, la RCA a connu une succession de graves crises sécuritaires accentuées par des tensions récurrentes dans la région. Sans diversification de son économie ni institutions fortes, ce modèle concentre les richesses entre les mains de l'élite, creuse les inégalités et suscite des conflits.

Géraldine Wonzangba est une étudiante, chimiste en formation à l’université de Bangui

Ce schéma qui perdure depuis des décennies est aggravé par de nouvelles crises. Avec la pandémie de COVID-19 et le regain d'insécurité qui a suivi les dernières élections, la RCA pourrait perdre quatre ans de croissance du revenu par habitant et plus de 3,5 millions d'habitants devraient continuer à vivre dans l'extrême pauvreté entre 2022 et 2024. L'insécurité alimentaire, l'accès limité aux services publics de base, notamment dans les zones reculées, et la détérioration de la situation humanitaire resteront des préoccupations majeures, en particulier pour les 630 000 Centrafricains déplacés par les conflits à l'intérieur de leur pays.

Malgré ce tableau, je reste convaincu que le pays a les moyens d'établir une reprise résiliente et inclusive, qui doit à tout prix s'attaquer aux causes structurelles de sa fragilité.

Au cours de mon séjour, j'ai rencontré divers acteurs, politiques, économiques, de la société civile et des haut-fonctionnaires compétents et déterminés à lutter contre la fatalité, qui comptent transformer la Centrafrique en moteur de croissance forte, résiliente et inclusive et vraiment lui donner sa place centrale dans la région. Cette tâche colossale ne réussira qu'avec l'implication de tous les partenaires et amis de la Centrafrique. Pour sa part, la Banque mondiale est convaincue que sa raison d'être est d'accompagner des pays fragiles tels que la Centrafrique à transformer le cercle vicieux de crises et de conflits auquel ils sont confrontés, en cercle vertueux de paix sociale et de progrès économique.

La réponse aux crises structurelles repose sur un investissement soutenu dans le « capital humain » : l'éducation, la santé, le soutien aux femmes et aux secteurs porteurs de croissance. Les statistiques le démontrent clairement : une mère en meilleure santé, mieux éduquée et plus autonome, a des enfants mieux nourris et qui obtiennent de meilleurs résultats scolaires. Et une population mieux scolarisée à toutes les étapes de la vie est la clé d'une croissance durable et de la réduction de la pauvreté.

La dépendance et l'instabilité liées aux ressources extractives devront aussi passer par une réforme courageuse, dans la transparence et l'inclusion de tous les acteurs clés, des secteurs stratégiques mais souvent source de conflit, comme le secteur minier, la gestion des couloirs de transhumance, l'accès à la terre ou la gestion des ressources en eau.

Le « champ école » de Mbaïki a été créé dans le cadre du Projet d’urgence en réponse à la crise alimentaire et la relance de l’agriculture (PURCARA). Grâce à cette initiative, une dizaine d’associations apprennent à faire de la culture maraîchère. Un facilitateur assure l’encadrement des ONGs en étroite collaboration avec les techniciens vulgarisateurs. Quarante facilitateurs ont été ainsi formés. La plupart des groupements ont amélioré leurs rendements grâce à ces formations.

Assurer la confiance des citoyens dans les institutions et le cadre de gouvernance de leur pays est vital en Centrafrique comme ailleurs. Leur créer un espace qui leur permette de s'exprimer sur les réformes structurelles qui changent la trajectoire de leur pays est une condition essentielle pour un nouveau contrat social, gage de stabilité et de développement. Dans cette optique, les autorités centrafricaines doivent poursuivre leur engagement à relancer un dialogue républicain avec l'ensemble des acteurs centrafricains et à lutter contre toutes les formes de violence et d'exclusion.

La Banque mondiale a déjà investi massivement dans la stratégie de redressement du pays. Conscients de l'importance d'institutions fortes, nous avons triplé entre 2016 et 2020 notre portefeuille de projets et de financements couvrant tous les plans socioéconomiques du pays, y compris dans le financement des infrastructures pour atténuer les éléments de fragilités liés à l'enclavement du territoire centrafricain.

Nous avons œuvré en étroite collaboration avec les organisations humanitaires, les partenaires bilatéraux et les agences onusiennes pour fournir les services urgents prioritaires aux populations mais également les investissements créateurs d'emplois et transformateurs pour favoriser un développement durable. C'est dans cette optique que j'ai signé au cours de ma visite le financement du projet Maingo, qui signifie autonomisation des femmes en langue Sango. Ce projet permettra d'améliorer l'accès aux services de santé, d'éducation, et de promouvoir des opportunités d'emploi qui autonomisent les femmes et les adolescentes.

Si les défis à relever sont nombreux, nous nous devons de répondre aux attentes et aux aspirations des Centrafricains. Seul un engagement de fond sur le long terme permettra de transformer les promesses en résultats pour orienter le pays sur la voie de la reprise et de la paix. Nous sommes pleinement investis pour poursuivre ce chantier en cours. Il en va de l'avenir de Géraldine Wonzangba et de ses camarades.

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