"Je ne m’assieds pas là à demander d’être soutenue parce que je suis une femme. Je demande d’être soutenue parce que je fais quelque chose de génial. Soutenez-moi parce que nous faisons quelque chose de grandiose. Nous allons prouver une fois pour toutes que les personnes qui nous ressemblent sont capables de faire ce genre de travail."
Ces mots remplis d’audace sont ceux de l’entrepreneure Nigériane, Temie Giwa-Tubosun. En partant de rien, elle a créé, au Nigeria, son entreprise, Lifebank, qui offre des services de santé ainsi que des services technologiques et logistiques. Elle a même pu étendre les activités de l’entreprise au Kenya et en Éthiopie en seulement cinq ans d’existence.
Ce fut un voyage minutieusement surveillé car les attentes se sont accrues après que Giwa-Tubosun ait rencontré le fondateur de Facebook (devenu Meta), Mark Zuckerberg, lors de son premier voyage au Nigeria en 2016. Zuckerberg a déclaré à propos d'elle et de Lifebank: "Si vraiment elle réussit, elle serait alors un modèle qui produirait un impact non seulement à Lagos et au Nigeria, mais également dans plusieurs autres pays à travers le monde."
Pour créer Lifebank à Lagos, au Nigeria, Temie Giwa-Tubosun est motivée par sa passion de construire un monde meilleur pour les femmes, particulièrement les femmes enceintes, son expérience professionnelle avec l’Organisation mondiale de la Santé, mais aussi l’étincelle finale provoquée par l’accouchement difficile de son fils.
La naissance de son fils l'a poussée à consacrer toute sa vie professionnelle à la recherche de moyens de résoudre la problématique de la mortalité maternelle "une fois pour toutes". D’ailleurs, durant son alitement suite à l'accouchement, elle s’est rendu compte, comme l’a confirmé des travaux de recherche, que l’hémorragie post-accouchement est la principale cause de la mortalité maternelle dans le monde.
Dans son lit d’hôpital, elle se disait que si l'hôpital disposait de sang correspondant au groupe sanguin des patients, il n’y aurait pas de perte de temps et ceci permettrait ainsi d’éviter que leur sang se coagule. Mais le défi était d’acheminer rapidement le sang à l'hôpital, et c'est là que Lifebank intervient pour "secourir les femmes, les enfants et tous ceux qui ont besoin de notre aide".
"Le processus d’acheminement du sang à l’hôpital commence par l’inventaire que nous faisons. Tout commence par l’inventaire. Donc du sang à l’oxygène, tout ce que nous faisons commence par cet inventaire. Ensuite, il faut s’assurer que les produits dont nous disposons correspondent aux demandes des hôpitaux" précise-t-elle.
Les équipes hospitalières des pays en développement ont besoin d'accéder à des fournitures médicales essentielles. Les chaînes d'approvisionnement brisées entraînent souvent les pires résultats pour les patients, même dans les moments les plus opportuns. L’utilisation, par Lifebank, de bandes thermométriques, de boîtes de sang infaillibles et des cadenas Bluetooth garantit la sécurité des produits fournis. Leur système de chaîne de froid nous permet de transporter le sang à un seuil de 10°C pendant 36 heures tandis que l'oxygène est transporté convenablement dans des véhicules répondant aux normes de sécurité afin de préserver la bonne qualité du produit et éviter un incendie.
Les établissements hospitaliers qui ont accès à Internet utilisent la technologie informatique tandis que les hôpitaux ruraux utilisent le code USSD pour passer leurs commandes.
Les hôpitaux peuvent également passer des commandes par appels téléphoniques car la société dispose de centres d’appels qui fonctionnent 24 heures sur 24 dans les trois pays où elle est présente – avec un effectif de plus de 160 agents qui fournissent non seulement du sang mais également de l’oxygène médical et des consommables médicaux à 1.200 établissements hospitaliers.
"Lifebank a veillé à ce que notre chaîne d'approvisionnement soit évolutive… et dès que nous avons constaté que nous connaissons bien les rouages, nous nous sommes également installés au Kenya, il y a un an maintenant. Par ailleurs, nous opérons en Ethiopie depuis quelques mois même s’il convient de souligner qu’il n’y a encore aucune annonce officielle" a déclaré Giwa-Tubosun.
Quand nous lancions Lifebank, précise-t-elle, notre principale difficulté fut le capital – qui est d’ailleurs le défi majeur de la plupart des entreprises.
Sans nul doute, le leadership de Giwa-Tuboson sur Lifebank – une entreprise basée sur la résolution d’un problème sociétal qui est la pénurie de sang et pour laquelle elle a veillé à ce qu’elle soit une entreprise solide/fiable pour les investisseurs – lui a valu de figurer parmi les six Innovateurs du Forum économique mondial en 2017, de remporter le Africa Netpreneur Prize de la Fondation Jack Ma en 2019 ainsi que le Global Citizen for Business Leader en 2020.
Toutefois, les capitaux directs fournis par des investisseurs, comme ceux perçus à travers la salle de marchés virtuelle de Prosper Africa (Prosper Africa's Virtual Deal Room https://prosperafrica.gov/) - la Salle des Marchés gérée par l'initiative du gouvernement américain qui vise à accroître le commerce et les investissements entre les pays africains et les États-Unis, où les investisseurs, acheteurs ou parties intéressées peuvent s'inscrire et examiner les accords sélectionnés d'une valeur comprise entre 1 et 100 millions de dollars - continuent d'être un coup de pouce pour les entreprises comme Lifebank.
"Vous savez, l’expansion nécessite énormément de capitaux. Comme tout le monde vous le dira et vous le savez, l’accès à ces investissements nous permet de faire cette expansion d'une manière raisonnable. Vous savez, nous avons pu nous associer à tous les types d'institutions pour disposer de capitaux propres, de capitaux d'emprunt, de subventions, de capitaux non dilutifs. Nous continuerons à servir, à nous engager et à être créatifs dans la construction de la bonne pile de capitaux afin d’assurer l’expansion que nous envisageons de réaliser," précise-t-elle.
L’infrastructure était également pour nous un défi de taille, un problème courant sur le continent.
LifeBank offre à tous les hôpitaux de son réseau des services continus 24/24. Nous sommes en mesure de fournir du sang sûr en cas d'urgence ou de non-disponibilité d'un groupe sanguin rare.
"Vous savez, les gens diront que lorsqu'une entreprise comme Amazon a été mise sur pied, elle a pu se connecter facilement à l'infrastructure mise en place pour le service postal américain, n'est-ce pas? Donc il n’était pas question pour Amazon de créer un système de livraison. Ils se sont tout simplement contentés de relier leur technologie à une infrastructure déjà existante. Mais pour ce qui nous concerne, pour offrir des services à l’échelle continentale, nous devons construire notre propre infrastructure car elle n'existe pas. Et c'est assez éprouvant pour une jeune qui essaie de créer une nouvelle façon de faire des affaires. Et c'est aussi très éprouvant pour votre capital", déclare Giwa-Tuboson.
Mais maintenant que la chaîne de distribution de Lifebank est déjà mise en place, elle est "durable et solide". Pour les défis futurs, nous devons veiller à disposer d’une équipe idéale de grande échelle afin de garantir le développement permanent de l’entreprise et mettre en place une chaîne de distribution complète de fournitures médicales à travers les marchés émergents.
"Mon engagement ne se limite spécifiquement pas aux femmes Nigérianes ou pas seulement aux femmes Africaines étant donné que le problème que nous cherchons à résoudre n’est pas propre à l’Afrique. Il s’agit d’un problème auquel tous les marches émergents sont confrontés."
Giwa-Tuboson souhaite que LifeBank continue de croître et de s'étendre à davantage de pays, à collaborer avec des dizaines de milliers d'hôpitaux et à s'installer en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud. Ils veulent rendre leur chaîne d'approvisionnement/de distribution plus efficace et saisir l'opportunité d'intégrer et de fabriquer une partie des produits qu’ils distribuent.
"L’entreprise souhaite mettre en place un marché très durable afin que LifeBank soit vue, à l’avenir, comme un guichet unique où tous les établissements hospitaliers pourraient trouver toutes les ressources dont ils auraient besoin", précise-t-elle.
Toutefois, à l’instar de beaucoup d’autres entreprises, Lifebank n’a pas échappé au choc causé par la pandémie de la Covid-19. Cependant, elle avait déjà commencé à fournir de l’oxygène médical une année avant que le virus mortel ne commençait à frapper.
"Heureusement pour le monde et pour nous aussi, Lifebank avait déjà commencé à travailler sur la production d’oxygène médical un an avant le déclenchement de la Covid-19. L’inspiration est venue du décès d’un médecin qui était en exercice dans un Etat très reculé du Nigeria et dont l’hôpital où il travaillait ne disposait pas d’oxygène médical. Je me rappelle encore, cette histoire m’avait bien secouée/affectée.
Lifebank s’engage à veiller à ce que nos services atteignent les personnes les plus vulnérables et à offrir une assistance aux patients à faible revenu qui n'ont pas les moyens de payer pour du sang et d'autres fournitures médicales essentielles au niveau des points de soins. BOAT prend en charge les frais pour des fournitures médicales essentielles (sang, oxygène, médicaments) en faveur des personnes qui n'en ont pas les moyens en collectant des dons d'entreprises privées dans le cadre d’une fiducie. La fiducie est une plateforme qui offre une visibilité totale sur la manière dont les fonds sont dépensés et relate l’historique des patients qui bénéficient de l’aide de BOAT – Vous pouvez la consulter à travers le lien https://boat.lifebank.ng/.
"Pour la distribution de l’oxygène médical, nous étions obligés de mettre en place une chaîne de distribution/d’approvisionnement semblable à celle que nous avions pour le sang. Donc quand la Covid-19 s’est déclarée, nous avions déjà noué des liens que nous devions simplement porter à l’échelle/faire évoluer pour aider notre pays ainsi que les autres pays à faire face à la pandémie."
En suite, Lifebank a pu nouer des partenariats avec les institutions pour s’assurer qu’il n’y ait pas de charges pour les patients atteints de Covid-19 "étant donné qu’il s’agit d’une entreprise assez onéreuse".
Lifebank a également saisi cette opportunité pour apporter des innovations dans la fourniture d’oxygène.
"Nous avons pu concevoir une technologie qui permet de faire des prévisions sur les besoins/demandes au niveau des établissements hospitaliers, des prévisions sur les besoins/demandes en oxygène des hôpitaux. Nous pouvions fournir plus de 1.000 bouteilles d’oxygène aux centres d’isolement ainsi qu’aux centres hospitaliers qui prenaient en charge les patients atteints de Covid-19", précise-t-elle.
Comme méthodes de livraison innovantes, ils utilisaient des drones pour la fourniture de produits médicaux essentiels même s’il convient de noter qu’ils ne faisaient pas recours à la technologie juste par plaisir.
"Nous n’utilisons pas des drones pour livrer n’importe quel produit. Nous pensons que des cas bien spécifiques nécessitent de recourir à des livraisons par drones, comme par exemple lorsqu’il ne reste pas beaucoup de temps au patient pour survivre. Il est alors souhaitable de recourir au moyen de livraison le plus rapidement, pour des endroits difficiles d’accès comme s’il y a une haute colline entre l’hôpital et le fournisseur ou s’il y a une rivière ou tout autre obstacle qui ne faciliterait pas l’accès d’un endroit précis," explique Giwa-Tubosun.
Lifebank a testé le concept en Éthiopie il y a deux ans. Ils sont maintenant en phase de renforcement de leurs capacités - "l'embauche de pilotes, l'installation de drones entre nos ports, pour atteindre les zones les plus reculées"; précise-t-elle.
"Nous souhaitons que notre infrastructure soit écologique et ceci nous pousse également à envisager à recourir à des drones. Nous cherchons aussi à étendre notre infrastructure ... en veillant à n’utiliser qu’une alimentation par batterie qui s’avère être plus rentable/efficace."
Cependant, Lifebank ne se limite pas à la technologie, à la fourniture, de façon efficace, de sang et d’oxygène.
Giwa-Tubosun prévoit de constituer la meilleure équipe possible de Lifebank au Nigeria, au Kenya, en Ethiopie et "à porter à l’échelle notre culture" pour qu’elle continue à se développer.
"Ainsi, je discute beaucoup plus avec les gens actuellement pour m’assurer que nous les encourageons assez, les motivons à assurer le développement de l’entreprise, et que la culture de Lifebank est très forte, pour, peu importe qu’on soit à Lifebank Kenya, Lifebank Ethiopie ou Lifebank Durban (Afrique du Sud), si vous voulez, que le sentiment/la sensation soit le/la même."
Il est évident que les discussions de Giwa-Tubosun sont surtout avec les investisseurs.
"Alors, nous cherchons toujours à déterminer quel est le capital qui nous convient mieux... Nous croyons que tout est une question d'échelle. Il s'agit de prouver ce modèle - de montrer que les jeunes Africains peuvent se rassembler et créer une entreprise qui puisse atteindre les coins les plus reculés et qui prenne de l'ampleur, n'est-ce pas? L'investissement nous donne cette capacité d'essayer de nouvelles choses, d'étendre notre innovation et de vraiment stimuler notre impact à travers le monde".
N’est-il pas vrai que ces types d’investisseurs ont leurs propres idées sur comment les entrepreneurs devraient paraître?
"Je demanderais aux investisseurs de regarder au-delà de ce qu’ils ont l’habitude de regarder. Qu’ils regardent ce que LifeBank a construit au cours des sept dernières années, à quel point elle s’est développé, quel modèle éprouvé elle est, et comment elle a assuré son expansion".
Giwa-Tubosun a remporté plusieurs prix internationaux pour son leadership et sa forte confiance en Lifebank. Par ailleurs, l’impact qu’elle a produit au Nigeria, au Kenya et en Ethiopie est aussi solide que sa conviction qu’il n’est qu’une question de temps et que LifeBank entendra parler d’elle à travers le monde.
"Vous savez, je pense, comme n’importe qui, que construire quelque chose de nouveau dans un marché comme l’Afrique, les gens diront que c’est assez difficile, n’est-ce pas. Et le fait d’être une femme, une mère, rend la tâche encore plus difficile, n’est-ce pas.. D’accord, je pense que ceux qui me suivent, c'est ça, parce qu'en plus de faire ce travail, de sauver des personnes, mettre en place la bonne chaîne de distribution/d'approvisionnement, de concevoir la technologie qui alimente l'avenir des soins de santé sur le continent, j'ai aussi besoin de montrer que les personnes comme moi peuvent faire des choses grandioses à l’échelle mondiale.
"Ceci nous permettrait alors d’avoir une masse critique de jeunes femmes, qu’elles soient des mères ou peut-être pas, qui vont nous ressembler, que nous pouvons, vous et moi, aider à trouver des solutions à des problèmes rencontrés au sein de leur communauté, parce que c'est comme ça qu'on change la monde. Et pour moi, il s’agit d’une source de motivation supplémentaire pour continuer à construire cette entreprise et servir d’exemple de ce qu’il est possible de faire lorsque nous travaillons ensemble.
"Il n’est juste pas question de sauver des vies. Nous voulons également sauver des vies de façon durable et c’est ce que nous essayons de faire", déclare Giwa-Tubosun.