Genève — Avant une réunion déterminante du Conseil exécutif de l'Organisation mondiale de la Santé qui se tiendra la semaine prochaine, les dirigeants qui ont examiné la santé financière de l'OMS expliquent pourquoi ses États Membres doivent régler ses problèmes de financement à long terme si l'on veut que le monde soit plus sûr et en meilleure santé.
Combien vaut notre santé ? Si l'on en juge par les indications que nous laisse la COVID-19, clairement pas assez.
Cela fait trop longtemps que cette triste réalité est passée sous silence et le monde entier peut désormais en contempler le prix.
Les avertissements qui se sont succédé pour renforcer les défenses de la communauté internationale contre des pandémies dues à de nouveaux agents pathogènes n'ont reçu qu'un soutien de façade, ce qui a eu pour conséquence de laisser le monde horriblement mal préparé pour résister à la déferlante de souffrance qui s'annonçait, il y a près de deux ans.
Le prix à payer pour cette impréparation est très élevé et continue de croître : plus de 5 millions de personnes ont perdu la vie et ce chiffre est en augmentation, tandis que des millions d'autres ont été infectées. Parmi les malades les plus graves, beaucoup, dans le monde, ne sont pas en mesure d'obtenir les soins dont ils ont besoin dans des hôpitaux mis sous pression.
Ajoutons à cela la COVID-19 de longue durée et une angoisse psychologique insondable, tant ont été nombreuses les personnes que la maladie a meurtries en leur infligeant une douleur qui a pris bien des formes, mais surtout, qui aurait pu être évitée.
Cette absence d'investissement dans la préparation et la riposte aux pandémies et plus généralement dans la santé de toutes et de tous a été le symptôme le plus flagrant de la façon chancelante dont la communauté internationale aborde depuis des décennies l'investissement dans la santé publique mondiale et dans la couverture sanitaire universelle.
À l'automne dernier, les dirigeants du G20 réunis à Rome ont doublé la mise, mais ils ne sont pas parvenus à combler les insuffisances du financement alloué à l'action nécessaire pour protéger le monde des pandémies, et plus particulièrement le financement qui permettrait à l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) de mener à bien sa mission aussi vaste qu'en pleine expansion : être le chef de file en matière de santé mondiale.
Nous nous réjouissons que les dirigeants de la planète aient reconnu que la santé du monde et celle de l'OMS sont liées et que l'objectif de lui garantir un financement pérenne n'est pas seulement urgent, mais qu'il est aussi réaliste et réalisable en 2022.
Les problèmes de financement de l'OMS sont loin d'être neufs et remontent à plusieurs dizaines d'années, laissant des traces marquantes. Ils sont symptomatiques d'une incapacité générale à investir suffisamment dans la santé publique mondiale. Cela doit s'arrêter sans plus attendre.
L'indépendance financière et opérationnelle de l'OMS n'a cessé de reculer ces dernières années. Quarante ans en arrière, l'OMS percevait 80 pour cent de ses ressources sous la forme de « contributions fixées », la cotisation variable que les pays versent pour être membres de l'Organisation. Ce revenu était prévisible et n'était pas fléché. Il pouvait servir à faire face à toute une série de problèmes sanitaires critiques, depuis les travaux scientifiques de base de l'OMS jusqu'à son rôle dans les situations d'urgence sanitaire. Le reste venait de contributions volontaires versées par divers bailleurs de fonds, gouvernements ou fondations, et allouées à des domaines spécifiques de la santé.
Or, aujourd'hui, les gouvernements apportent à peine 16 pour cent du financement de l'OMS par leurs contributions « à objet non désigné ». Le reste vient, dans son immense majorité, de contributions volontaires qui sont souvent assorties de conditions strictes et parfois restrictives, en général sur un cycle de deux ans.
Outre que cette pratique rend impossible toute planification à longue échéance, cela a eu pour conséquence d'affaiblir progressivement la capacité de l'OMS à faire face à la multiplication des tâches que les gouvernements – et donc leurs populations – exigent d'elle et dont ils ont besoin. Cela s'est traduit tout particulièrement par un sous-financement de la préparation aux situations d'urgence et de la lutte contre les maladies non transmissibles.
De plus, il ne s'agit pas seulement du volume des fonds que l'Organisation reçoit, mais aussi de la qualité des moyens fournis, et notamment la souplesse avec laquelle ils peuvent être employés et l'assurance qu'a l'Organisation de les recevoir. Plus ils sont souples et prévisibles, mieux ce sera.
Dernièrement, plusieurs examens indépendants de la riposte à la pandémie ont mis en évidence les besoins de financement de l'OMS, que scrutent désormais les gouvernements qui cherchent des solutions pour que l'OMS soit mieux à même de remplir la mission qu'ils lui ont confiée.
Tous les experts indépendants qui ont participé à l'évaluation des enseignements tirés de la pandémie de COVID-19 ont insisté auprès des États Membres de l'OMS pour qu'ils investissent dans son indépendance et dans son intégrité en augmentant de manière notable leurs contributions fixées.
Nous continuons de croire que le financement de l'OMS par des contributions fixées nettement revues à la hausse, à un niveau plus proche des 80 pour cent du début des années 1980, est la meilleure solution pour l'avenir. Cela étant, nous comprenons que la principale proposition examinée dans le cadre d'un groupe de travail dirigé par les États Membres consiste à faire passer la part des contributions fixées dans le budget de base des 20 pour cent actuels à 50 pour cent. Nous concevons bien également qu'il faille accorder du temps aux pays pour qu'ils adaptent leurs budgets et s'y préparent progressivement en apportant les changements voulus par étapes à partir de 2028.
Si elle était adoptée, cette mesure garantirait un financement plus prévisible pour les travaux de l'OMS en matière de préparation aux situations d'urgence, depuis l'action de base menée pour protéger les populations contre la maladie à virus Ebola jusqu'au renforcement des systèmes de santé dans les environnements vulnérables. Elle permettrait également à l'OMS d'investir à l'appui des pays pour les aider à se relever dans le sillage de la COVID-19 et de faire face aux épidémies de maladies chroniques non transmissibles, comme le diabète, les affections cardiaques et les cancers. Enfin, elle pourrait prévoir l'avenir, par exemple en s'attaquant aux menaces de plus en plus présentes que font peser les changements climatiques.
Les dirigeants du G20 ont également souligné le besoin d'une adaptation de l'OMS d'un point de vue financier en reconnaissant qu'il fallait la doter « de ressources financières adéquates et durables » pour assumer ses tâches de direction et de coordination de la santé mondiale.
S'il est une chose que la COVID-19 nous aura enseignée, c'est que nous devons complètement revoir la valeur que nous accordons à la santé. Les milliards nécessaires pour prévenir les crises sanitaires et y riposter ne sont rien à côté des milliers de milliards partis dans les faillites, les pertes d'emplois et les plans de relance qui sont le coût que l'économie mondiale doit payer en cas d'urgence sanitaire comme la pandémie de COVID-19.
Lorsque les pays investissent dans la santé, ils en tirent de formidables dividendes. Les nations qui allouent des moyens à la couverture sanitaire universelle et aux soins de santé primaires investissent dans le bien-être des enfants, des adultes et des personnes âgées en leur permettant d'aller à l'école, de rentrer sur le marché du travail et de rester en aussi bonne santé que possible. C'est sur cet investissement que repose la sécurité sanitaire au sens large.
Garantir la santé pour tous est la mission qui réside au cœur de chacune des actions de l'OMS. Cependant, pour remplir cette mission, l'OMS elle-même doit être en bonne santé financière. S'engager à pérenniser le financement de l'OMS revient à investir dans un monde plus sûr et en meilleure santé pour chacune et chacun d'entre nous.
Par Gordon Brown, Ambassadeur de l'OMS pour le financement de la santé mondiale et ancien Premier Ministre du Royaume-Uni ; Helen Clark, Coprésidente du Groupe indépendant sur la préparation et la riposte à la pandémie et ancienne Première Ministre de Nouvelle-Zélande ; Graça Machel, Cofondatrice de The Elders et ancienne Première Dame du Mozambique et d'Afrique du Sud ; Paul Martin, ancien Premier Ministre du Canada ; Ellen Johnson Sirleaf, Coprésidente du Groupe indépendant sur la préparation et la riposte à la pandémie et ancienne Présidente du Liberia ; Elhadj As Sy, Coprésident du Conseil mondial de suivi de la préparation et ancien Secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge.