La capacité de l'Afrique à contribuer à la paix et à la prospérité mondiales reste inexploitée. Depuis des générations, les Africains sont exploités, discriminés et systématiquement privés de leur liberté et de leurs richesses. Le résultat aujourd'hui, ce sont 92 millions d'enfants africains contraints à travailler, soit plus que dans le reste du monde réuni. Pour survivre avec leur héritage de pauvreté et d'instabilité, ils travaillent dans des conditions proches de l'esclavage. En Afrique, un enfant sur cinq est assujetti au travail des enfants.
La plateforme "Laureates and Leaders for Children" tire la sonnette d'alarme. Les lauréats du prix Nobel et les dirigeants politiques, religieux et moraux du monde entier qui la composent se sont unis pour parler d'une seule voix et exhorter les dirigeants mondiaux à prendre d'urgence des mesures afin de remédier à cette situation. À l'approche du sommet UA-UE, ils s'engagent dans leur déclaration "Justice for Africa's Children" (Justice pour les enfants d'Afrique) : « Nous, membres de Laureates and Leaders for Children, sommes aux côtés des enfants, des jeunes, des citoyens et des dirigeants africains pour défendre notre vision et notre responsabilité communes d'offrir à chaque enfant d'Afrique une enfance libre, sûre, saine et éduquée. Il est temps de rendre justice à tous les enfants d'Afrique. Il est temps de se tenir aux côtés de l'Afrique ». La communauté internationale ne peut plus fermer les yeux sur la souffrance de nos enfants.
Le nouveau et ambitieux partenariat Afrique-UE, qui devrait être scellé lors du sommet à venir, n'aura d'influence ou d'impact que s'il repose sur un engagement réel en faveur de l'égalité, du respect et de la responsabilité entre les deux parties. Or, ce n'est peut-être pas le cas aujourd'hui. Les pays européens, qui ont bâti une immense richesse en utilisant et en détournant les ressources des pays africains, investissent la majorité de leurs budgets dans des programmes de protection sociale pour leurs propres citoyens, mais n'allouent qu'une part minuscule de leur aide publique au développement à la protection sociale de ces pays d'Afrique. Cette situation est inadmissible au vu de l'immensité des richesses accumulées dans le monde au cours de la dernière décennie. De plus, leurs ressources financières limitées forcent les gouvernements et les organisations en Afrique à faire des choix injustes et difficiles en donnant la priorité à la survie de certains au détriment d'autres, et en reléguant au second plan la dignité humaine fondamentale résultant d'une protection sociale adéquate.
Aujourd'hui plus que jamais, il est évident que ce sont nos enfants qui subissent le plus durement les conséquences de l'absence de protection sociale. Alors que nous entamons dans une nouvelle année marquée par la pandémie dévastatrice de Covid-19, nous voyons comment les collectivités bénéficiant d'une protection sociale ont pu absorber une partie des dégâts de la pandémie et reprendre une vie proche de la normale. Des générations entières ont été condamnées à la misère extrême, aux conflits et à l'esclavage dans les pays à faible revenu.
Le travail des enfants ne constitue pas un phénomène isolé, mais la preuve de défaillances plus importantes dans nos priorités économiques, sociales et politiques mondiales. Le travail et l'esclavage des enfants ne sont pas seulement la conséquence de la pauvreté, des conflits, de l'analphabétisme et de la malnutrition, ils sont aussi la cause de la perpétuation de ces fléaux. Nous sommes témoins du conflit en cours dans la région du Tigré en Éthiopie et de l'arrêt de l'accès aux droits et à l'aide humanitaire qui en résulte, entraînant une vulnérabilité, une injustice et une instabilité durables pour les enfants, dont beaucoup sont au bord de la famine. Le thème de l'UA pour le sommet de 2022 étant "Renforcer la résilience en matière de nutrition sur le continent africain : Accélérer le capital humain et le développement social et économique", il faut absolument tenir compte du fait que 92 millions d'enfants africains au travail, ce sont 92 millions de sièges vides dans les salles de classe. 92 millions d'enfants qui ne bénéficient pas des programmes d'alimentation scolaire ni des dispositifs de santé et de nutrition. Il faut libérer ces 92 millions d'enfants aujourd'hui laissés pour compte et les intégrer afin qu'ils bénéficient des programmes gouvernementaux de protection sociale auxquels ils ont droit. Les efforts en faveur de la paix, de la stabilité et de la durabilité resteront vains si les générations futures qui en hériteront, et les poursuivront, ne sont pas en sécurité, éduquées ou n'ont pas les moyens d'agir.
Les allocations universelles et directes pour les enfants ont eu un impact immédiat et mesurable dans certains pays africains. Au Sénégal, par exemple, des programmes tels que les transferts monétaires axés sur les enfants pour réduire leur vulnérabilité, l'aide aux enfants des rues ou la gratuité des soins de santé pour les moins de 5 ans ont eu des répercussions tangibles sur les niveaux de pauvreté. Un impact similaire est observé dans d'autres régions du monde. En Inde, par exemple, le programme de repas scolaire "Midday Meal" a contribué à inscrire près de 100 % des enfants à l'école primaire. Grâce au programme "Bolsa Familia" du Brésil, qui a étendu les prestations en matière d'éducation et de santé aux enfants des familles défavorisées, les niveaux de pauvreté ont baissé de 13 % dans le pays. Les allocations offertes directement aux enfants et aux familles fonctionnent.
La solution réside donc dans la mise en place d'un mécanisme mondial de protection sociale qui prévoit une part directe et équitable dédiée aux enfants des pays à revenu faible ou intermédiaire. Ce mécanisme permettra de dépasser la relation traditionnelle donateur/bénéficiaire en créant une plateforme universelle qui facilite la coopération à long terme et la solidarité internationale. Cela nécessitera un partage généreux, ouvert et transparent des richesses et une représentation égale dans la prise de décision. Les pays riches ne peuvent plus prétendre à la solidarité ou à la coopération si leurs politiques et leurs actions ne le reflètent pas. Leur richesse a été créée en utilisant les terres, les ressources et les populations de l'Afrique. En cette période de crise, la justice pour les enfants d'Afrique ne signifie pas la charité. C'est un droit qui leur est dû depuis longtemps. C'est ce que le monde doit à l'Afrique.
Les enfants et les jeunes d'Afrique méritent les mêmes libertés et les mêmes chances que les enfants européens. C'est ce principe simple et non négociable qui sous-tend la demande de protection sociale universelle pour les enfants d'Afrique. Plus d'excuses.