Afrique du Sud: "Y a-t-il une complicité française" dans l'assassinat de Dulcie September?

L'affiche du film «Murder in Paris», du réalisateur Enver Samuel, autour de l'assassinat de l'activiste anti-apartheid Dulcie September à Paris en 1988.
interview

Il y a 34 ans, jour pour jour, la militante sud-africaine Dulcie September était assassinée à Paris. Elle était la représentante en France de l'ANC, le mouvement de libération de Nelson Mandela, alors que le régime d'apartheid était en vigueur en Afrique du Sud. Les auteurs du meurtre n'ont jamais été identifiés et la justice a clos le dossier.

Le 29 mars 1988, peu avant 10 heures, Dulcie September est abattue devant les bureaux de l'ANC dans le 10e arrondissement de Paris. Cinq balles tirées à bout portant. Dès le début de l'enquête, ses proches accusent les services secrets sud-africains.

Quelques années plus tard, un ancien chef des escadrons de la mort sud-africains avoue - devant la Commission Vérité et Réconciliation chargée de faire la lumière sur les crimes de l'apartheid - avoir commandité le meurtre de la militante. Il affirme que l'un des deux tueurs était un mercenaire français.

Aucun coupable ne sera jamais identifié par la justice française, qui en juillet 1992, a classé l'affaire sans suite. Depuis, la famille de la militante tente d'obtenir la réouverture de l'enquête. Par deux fois, la justice française a rejeté la demande.

Selon des journalistes néerlandais et sud-africains, Dulcie September enquêtait à l'époque sur les ventes d'armes françaises à l'Afrique du Sud, en plein apartheid et en violation de l'embargo international. Pour la militante anti-apartheid, Jacqueline Derens, amie de Dulcie September, celle-ci avait mis le doigt sur un sujet sensible et était devenue gênante non seulement pour le régime d'apartheid, mais également pour la France.

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" Murder in Paris "

À l'occasion de cette date anniversaire, le film Murder in Paris qui revient sur l'assassinat de Dulcie September a été projeté ce 29 mars à Arcueil, où vivait la militante. Projection pour la première fois en France, en avant-première et en présence de proches et du réalisateur de ce documentaire, le Sud-Africain Enver Samuel et dans lequel il soulève de nombreuses questions.

Enver Samuel : il n'y a toujours pas eu de justice dans cette affaire. Et nous espérons à travers ce film ouvrir les yeux du public sur ce qu'il s'est passé et sur la nécessité d'obtenir une justice. Cette démarche a déjà commencé avec la famille et les avocats français qui poussent pour la réouverture de l'enquête. Et nous espérons bien qu'un jour nous obtiendrons des réponses à : qui a tué Dulcie September et pourquoi ?

RFI : Justement, dans votre film, vous soulevez de nombreuses questions

Enver Samuel : La question la plus importante est pourquoi. Pourquoi Dulcie September a été tuée ? Mais cela conduit à d'autres questions... Est-ce qu'il ne s'agissait que d'un commando sud-africain ? Est-ce que d'autres acteurs étaient impliqués ? Est-ce qu'il y a une complicité française ? Je pense qu'aujourd'hui, toutes les preuves dans le film suggèrent qu'il y a eu connivence de la France. Mais toutes ces questions restent sans réponse.

En Afrique du Sud, nous avons eu notre Commission Vérité et Réconciliation, qui a essayé de soulever certaines questions, mais nous n'avons jamais vraiment eu de réponse. C'est pour cela que 30 ans plus tard, les familles cherchent toujours des réponses.

RFI : Est-ce que votre film a ouvert de nouvelles pistes ?

Enver Samuel : On s'est appuyé sur le travail de plusieurs journalistes, comme Evelyn Groenink qui a travaillé pendant 30 ans sur le sujet, ou le Sud-Africain Hennie van Vuuren et son livre Apartheid, les armes et l'argent. Ils posent de nombreuses questions : par exemple, la présence de peintres en bâtiment ce jour-là dans l'immeuble ? S'agissait-il d'une couverture pour le meurtre. Ce sont des questions que les avocats français des familles ont également soulevées et pour lesquelles il faudra qu'il y ait une enquête.

RFI : Donc dans votre documentaire, vous soulevez la question de l'implication française ?

Enver Samuel : Oui, c'est un sujet sensible. Que savait la France ? Les services de renseignement ? Nous avons essayé d'avoir des réactions françaises pour ce film ; mais à chaque fois, nous nous sommes heurtés à un mur. Ce documentaire touche à la question de l'implication française, mais jusqu'où et jusqu'à quel niveau ? Là nous n'avons pas de réponses.

RFI : Aujourd'hui, la famille tente d'obtenir la réouverture du dossier. Où en sont ils ?

Enver Samuel : Ca été long et difficile. Mais il y a des signes positifs. Quand le président français était en Afrique du Sud, l'année dernière, il a été interpellé sur le sujet, et il a répondu "nous allons regarder". Donc, c'est encourageant

RFI : Est-ce que vous pensez que votre film peut aider ?

Enver Samuel : Oui tout à fait, aujourd'hui il y a bien plus de gens qui connaissent Dulcie September qu'auparavant, ici en France, mais également en Afrique du Sud. Car son nom avait pratiquement été oublié. Et je pense que ce film a participé à faire connaître le nom de Dulcie September et son histoire au grand public.

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