Burkina Faso: Assemblée législative de transition - "Si on ne paye pas les députés, la qualité du travail s'en ressentira" (Mélégué Maurice Traoré, ex-président de l'AN)

interview

Ces dernières semaines, l'installation de la nouvelle Assemblée législative de la transition cristallise les débats au sein de la classe politique burkinabè et même de l'opinion publique.

Dans cette interview, l'ex-président de l'assemblée nationale sous la IVe République et spécialiste des questions parlementaires, le Dr Mélégué Maurice Traoré, fait sa lecture. "Il n'y a plus aujourd'hui dans le système politique contemporain un système qui peut se passer d'un organe où on débat même si on ne vote pas des lois " a-t-il confié.

L'Assemblée législative de la transition est pratiquement représentative, on y trouve des élèves, des agriculteurs, des commerçants, etc. En tant que spécialiste des questions parlementaires, que pensez-vous ?

C'est difficile d'apprécier comme on n'est pas dans une situation ordinaire, mais dans l'Etat d'exception. C'est un organe parlementaire, cette fois-ci, qu'on a voulu législatif, car on peut avoir un organe qui ne vote pas les lois. Nous avons eu à deux reprises des organes parlementaires avec des militaires, mais qui ne votaient pas des lois.

En 1966, ça été le comité consultatif au lendemain du 3 janvier qui a duré jusqu'en décembre 1970. C'était une Assemblée qui était là et qui débattait mais elle ne votait pas de loi. Tous les textes de loi lui étaient envoyés. De même quand les militaires ont repris le pouvoir le 8 février 1974, ils voulaient créer un parti unique qu'on appelait le mouvement pour le renouveau national (MONAR).

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Et sous le MONAR, il y avait un comité consultatif pour le renouveau, c'était l'Assemblée, elle ne votait pas des lois mais elle menait le débat. Le gouvernement leur envoyait les principales lois à prendre. On a déjà eu cette expérience. En 2014, il y a eu une insurrection et on a mis en place un Conseil national de transition et on lui a donné des pouvoirs législatifs. C'est la première fois qu'on avait des gens qui ne sont pas élus mais qui votaient des lois.

Et cette fois-ci, on a repris l'expérience manuelle en sachant que nous avions déjà fait cela en 2015. Une telle Assemblée, on ne peut pas la comparer avec une Assemblée nationale élue, c'est-à-dire une Assemblée basée sur le choix des citoyens. Ce qu'on a fait, c'est vraiment exceptionnel, ils ont été choisis par des groupes spécifiques mais ce n'est pas le peuple. Conséquence, si on apprécie cette Assemblée, il ne faut l'apprécier comme une Assemblée normale ordinaire mais elle va jouer son rôle parce que le gouvernement en a besoin.

Il n'y a plus aujourd'hui dans le système politique contemporain un système qui peut se passer d'un organe où on débat même si on ne vote pas des lois. Cela dit, la composition aurait dû être meilleure. Comme je le dis, on est en situation exceptionnelle. On ne sait pas sur quels critères de base ils ont été choisis. Dans certains cas, ils se sont basés soit sur l'âge, soit sur la jeunesse, soit sur les anciens ou ils ont joué sur l'équilibre.

Je crois que pour l'Assemblée cette fois-ci, il faut s'en tenir au travail qu'ils vont faire concrètement et c'est cela qu'on va juger. Pour moi, un étudiant à l'Assemblée, c'est de la rigolade. On peut être un étudiant et jouer un rôle mais pas celui-là. Le garagiste sait que ce n'est lui qui va fabriquer de bonnes lois. Il va exprimer une opinion, on va se baser sur son opinion et ça c'est déjà bien.

Certains voient d'un mauvais œil la présence de Luc Adolphe qui siège en tant que simple citoyen. Quel est votre avis ?

Je pense que c'est une fausse querelle. Certains se basent sur l'âge mais en matière parlementaire généralement, plus les gens sont âgés mieux ils sont valables. Dans les grands Parlements comme le congrès américain, vous ne pouvez pas faire grand-chose si vous n'avez pas un certain âge. Il vous faut 5 à 6 ans pour qu'on puisse vous confier la présidence d'une commission.

Certains aussi disent que Luc Adolphe Tiao a un dossier judiciaire, c'est vrai que les membres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré ont des dossiers en Justice, mais ils n'ont jamais été condamnés. Ce n'est pas parce que quelqu'un a un dossier en Justice qu'on peut l'empêcher d'être député. En plus il faut voir la qualité de l'homme et ce qu'il peut apporter à l'Assemblée.

Dans ce Parlement, ceux peuvent apporter quelque chose de sérieux, Luc Adolphe Tiao en fait partie. On ne va pas se priver de ça. En plus c'est son groupe qui l'a choisi. Je crois que nous devons voir ce qu'elle peut faire. Elle a des conditions pour réussir. Parmi ces conditions, il y a l'élection du président qui a été élu qui peut faire le travail.

Au vu de la composition de l'Assemblée, beaucoup sont inexpérimentés en matière parlementaire, l'expertise doit jouer un grand rôle. Tous les Parlements sont assistés par des experts. Notre Assemblée a besoin d'une bonne formation politique. Ici au centre parlementaire africain, nous le faisons pour des députés et des sénateurs qui viennent de divers horizons.

Il y a une polémique sur les émoluments des députés. Pourtant le comité ad hoc avait proposé que cela soit gratuit. Quel est votre commentaire là-dessus ?

L'expérience d'un Parlement qu'on ne paye pas. La qualité du travail s'en ressent toujours. On a déjà institué ce système en 1978, les députés n'étaient pas payés, et c'était écrit dans la Constitution. Mais on n'a pas pu appliquer cela très longtemps. Au bout d'un an, on a abandonné parce que ce n'était pas jouable. Les députés continuaient à faire leur travail normal tout en siégeant à l'Assemblée.

On a dû reprendre les textes pour leur donner des émoluments. Le problème c'est le montant sinon le principe est bon. On ne peut pas leur dire de faire le travail sans les payer. Maintenant c'est sur le montant que cela peut être compliqué parce que chaque pays a son système. Nos députés, sous la IVe République, gagnaient 300 000 à 400 000 F CFA. Actuellement les choses ont évolué jusqu'à 900 000 F CFA le mois.

Pour moi, ce n'est pas excessif quand je compare aux autres pays. Par exemple, au Sénégal les gens vont au gouvernement quand ils n'ont pas eu la place dans le bureau de l'Assemblée nationale. C'est parce qu'ils sont mieux payés. J'insiste sur la qualité du travail qu'on aura. C'est cela qu'il faut regarder. Je dis toujours que le problème du Burkina Faso, ce n'est pas la Constitution.

On peut faire la meilleure Constitution au monde, si les hommes qui l'appliquent ne sont pas bons, on va toujours piétiner. Notre vrai problème, c'est les gens qu'on place aux différents postes. Alors que nous avons une élite qui est très bien formée, malheureusement ce n'est pas de celle-ci qu'on tire les ministres et les députés. On a plein de professeurs d'université qui sont parmi les meilleurs d'Afrique. Mais on les retrouve très rarement dans le gouvernement. Ils ne veulent pas intégrer le gouvernement à cause de la manière dont celui-ci est géré.

Le président de l'Assemblée législative de la transition, Aboubacar Toguyeni, est-ce que vous le connaissez ?

Je ne le connais pas assez. Mais je suppose qu'il me connaît. Je ne peux pas beaucoup parler de lui parce que je ne le connais pas. Je sais qu'il est très travailleur, sérieux et rigoureux d'après ce qu'on m'a dit. Il faut lui faire confiance, car il a les capacités pour faire le travail. Tout dépendra de comment cela sera organisé autour de lui et si on lui laisse les mains libres.

En tout cas, il a une ligne de défense en tant que Président de l'Assemblée. Il ne dépend de personne, même le chef de l'Etat. Il faut qu'il se mette ça dans la tête. L'essentiel est que tu travailles en bonne entente avec le chef de l'Etat parce que c'est lui qui dirige le pays. Si vous avez cette intelligence des institutions, ça marche. Moi j'ai confiance qu'il peut faire le boulot.

Que pensez-vous du choix du président ?

Je ne sais pas comment il a été choisi, mais je sais qu'il était au PMK. J'ai cru comprendre qu'il était scout et s'il l'était, c'est forcément sous ma coupe parce que c'est moi qui dirigeais le mouvement scout pendant des années. La troupe scoute du PMK, je l'ai créée en 1971. J'ai une bonne opinion de lui, mais comment il a été élu, je ne le sais pas, car je n'étais là-bas. Je ne peux pas savoir comment il a été choisi. Nous sommes en Afrique même en Europe, c'est pareil, vous ne pouvez pas élire un président de l'Assemblée si le chef de l'Etat n'est pas d'accord avec vous.

Bien sûr, officiellement, celui-ci ne s'emmêle pas, mais franchement, le choix à ce niveau, il y a quand même quelqu'un qui arbitre toutes les institutions. D'après notre Constitution, c'est le président du Faso, donc c'est impensable qu'il ne donne pas son Ok. Officiellement, il ne peut pas le faire. Les gens ne le savent pas mais le président de l'Assemblée dans notre système a beaucoup plus de facilité pour gérer son Assemblée que le président du Faso. Je parle du fonctionnement financier parce que l'Assemblée nationale est indépendante.

La Cour des comptes n'a pas le pouvoir de la contrôler. Cela donne beaucoup de marge au président de l'Assemblée nationale. Il a une ligne qu'on appelle les interventions diverses, une somme d'argent, il ne peut pas la gérer arbitrairement. Il y a des règles à suivre mais avec celle-ci, il peut aider les députés à construire des CSPS et des écoles. C'est pour dire que la marge dont dispose le président de l'Assemblée est plus grande que celle du chef de l'Etat.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l'Assemblée législative de la transition ?

J'attends surtout qu'elle contribue à asseoir les bases de la restauration dont on parle. La restauration, on ne pas la faire même en cinq ans. Ce n'est pas une transition qui peut faire cela mais elle peut poser les bases et l'Assemblée est bien placée pour poser celles-ci. C'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de textes qu'il faut reprendre. La manière de gérer, il faut qu'on s'entende dessus. L'Assemblée peut jouer un rôle parce que c'est un espace de débats. Elle peut également créer des commissions, des groupes d'experts et une Task Force spéciale pour regarder la situation de notre pays.

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