Cote d'Ivoire: La chronique de Venance Konan - Du panafricanisme

La semaine dernière, l'on a célébré les cinquante ans du décès de Kwame Nkrumah, le premier Président du Ghana indépendant, considéré comme l'un des pères du panafricanisme. Nkrumah, arrivé à la tête de son pays en 1957, a été renversé par un coup d'État en 1966 et a fini sa vie en Guinée, il y a cinquante ans. Que reste-t-il du panafricanisme dont il rêvait ?

On a souvent opposé Nkrumah le panafricaniste à Houphouët-Boigny " le balkanisateur", parce que Nkrumah voulait l'Afrique unie tout de suite, tandis que Houphouët-Boigny disait qu'il fallait y aller étape par étape. Le Président ivoirien voulait que les nouveaux États que nous venions de former deviennent d'abord des États forts, solides, avant de songer à se mettre ensemble pour former une fédération ou un État unitaire. Au début de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, lors d'une visite mémorable de Nkrumah en terre ivoirienne, ce dernier et son homologue ivoirien s'étaient lancés un défi, à savoir lequel de leurs deux pays aura le plus avancé au bout de vingt ans. Qui a gagné le pari, qui l'a perdu ? Cela n'a plus d'importance. Nous sommes tous logés à la même enseigne du sous-développement et chaque pays connaît ses soubresauts, selon les hoquets de son histoire.

Globalement, disons que la Côte d'Ivoire et le Ghana boxent dans la même catégorie, l'un passant devant l'autre selon les jours. Qu'en est-il du panafricanisme ? Le tableau que nous avons sous les yeux est celui d'une Afrique plus que jamais morcelée. En une soixantaine d'années d'indépendance, on a vu beaucoup plus d'États se fracturer que s'unir : Éthiopie-Érythrée, Soudan-Soudan Sud par exemple. Et ils sont nombreux les pays où certaines populations veulent toujours se séparer des autres, comme on le voit au Mali, au Cameroun, en Éthiopie, au Sénégal.

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Il y a eu le cas du Nigeria et de l'actuelle République démocratique du Congo qui avaient connu des mouvements sécessionnistes matés dans le sang. Même là où des velléités de séparatisme ne se sont pas clairement manifestées, des conflits parfois très violents ont opposé des communautés bien distinctes, comme en Côte d'Ivoire par exemple ou au Mali, au Burkina Faso, au Nigeria. Sans oublier les fortes animosités, pour ne pas dire la haine raciale, qui existent entre communautés de différentes couleurs, comme on le voit entre Arabes et Noirs au sein de plusieurs États ou entre différents États africains et entre Touaregs et Noirs. Et que dire de l'apartheid qui excluait la majorité noire d'Afrique du Sud et de Namibie des droits les plus élémentaires ?

Pour revenir à l'unité de l'Afrique telle que vue par les pères de nos indépendances qu'étaient Nkrumah, Houphouët-Boigny ou Senghor, rappelons que ce dernier avait, avec le Président du Mali de l'époque, voulu créer la fédération du Mali qui regroupait le Sénégal et le Mali actuel que l'on appelait le Soudan français. Mais elle a tenu juste quelques jours. Houphouët-Boigny avait-il eu tort de vouloir aller à l'intégration africaine progressivement ? Je crois humblement, pour ma part, que vouloir aller à une Afrique unie dès nos indépendances était vouloir aller trop vite en besogne.

Nous oublions qu'avant d'être des États formés au forceps par les colonisateurs, nous n'étions, pour la grande majorité d'entre nous, que des poussières de micro États fondés, pour l'essentiel, sur les ethnies et que les grandes entités multi-ethniques regroupées en royaumes ou en empires étaient rares. Un État unitaire qui irait de Cap Bon en Tunisie au Cap de Bonne espérance en Afrique du Sud n'était-il pas une douce utopie ? Pour prendre l'exemple de la Côte d'Ivoire, au temps d'Houphouët-Boigny, nous nous enorgueillissions d'avoir jeté les embryons d'une nation ivoirienne. C'est-à-dire que le Lobi de Doropo, à la frontière burkinabé, se sentait plus proche du Kroumen de Tabou, à la frontière du Liberia, que de l'autre Lobi qui était de l'autre côté de la frontière. C'était du moins ce que nous croyions. Il a suffi qu'Houphouët-Boigny disparaisse pour que tout cela vole en éclats et que nous nous étripions entre sudistes et nordistes. Au Mali, les Touaregs veulent toujours leur État indépendant de celui des Noirs.

Au Cameroun, les Anglophones veulent aussi leur État indépendant. En Libye, on vend toujours les Noirs et dans l'est de la République démocratique du Congo, depuis plus de vingt ans, on n'a pas arrêté de massacrer les populations civiles. Devant tous les défis qui attendent notre continent, le panafricanisme aurait peut-être été la panacée à une bonne partie de ces maux, mais avouons que le chemin est encore très long.

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