Afrique: En quête d'alternatives nouvelles pour les systèmes politiques africains

9 Mai 2022
opinion

La démocratie est en crise. C’est une affirmation plutôt controversée qu’on peut soutenir par divers moyens. On peut défendre d’une part soutenir la thèse selon laquelle la mise en œuvre des principes de la démocratie est ce qui pose problème, tandis que ces principes sont des standards universels que certains gouvernants extravertissent.

D’autre part, il nous faut reconnaître que la démocratie telle que promue dans les pays africains au début des années 1990, à l’issue de la vague des conférences nationales, demeure un système politique à géométrie variable.  On le résume globalement à des dispositions certes logiques mais extrêmement simplistes de l’idée de la démocratie: limitation des mandats, élections régulières, alternance. Il en résulte que la mise en œuvre de cette démocratie peut être instrumentalisée. 30 ans après cette euphorie d’ouverture démocratique l’on constate, d’après le constat la plupart des intellectuels, qu’il y a eu des évolutions sans véritable changement c’est-à-dire une gesticulation institutionnelle qui consiste à leurrer des partenaires internationaux en créant des institutions démocratiques et en les vidant en même temps de leurs contenus.

Les critères formels peuvent aisément être remplis alors que les libertés des citoyens ne sont pas garanties, l’intérêt général n’est pas au centre des politiques publiques et le développement, que nous voulons ici assimiler à la délivrance de services aux citoyens et à la création d’opportunités professionnelles, ne connaît aucune avancée significative en Afrique de subsaharienne depuis 30 ans. Achille Mbembé affirme à titre d’illustration que “beaucoup de pays ont à peine retrouvé le niveau de richesse qu’ils avaient atteint dans les années 70”.

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On est en droit de se demander pourquoi l’Afrique demeure-t-il le terrain des inégalités croissantes, de la poussée des violences, de l’aggravation de la pauvreté alors certains de ces pays peuvent être considérés comme étant de bons élèves en ce qui concerne le respect des orientations des anciennes puissances coloniales et des institutions internationales en matière de construction d'État. Comment cela se fait-il que même les pays les plus cités comme modèle de démocratie  ne parviennent-ils pas à sortir leur épingle du jeu et finissent par engendrer de gros doutes dans la tête des citoyens?

La montée des contestations et la crise de confiance

L’histoire politique africaine est particulière et complexe du fait de la juxtaposition de divers ordres politiques (traditionnel, endogène et importé notamment). Cette juxtaposition s’est dans certains cas faite sur fond de violence, ce qui avait déjà engendré les premières tensions au moment de l’instauration de l’administration coloniale. Au lendemain des indépendances, par mimétisme institutionnel ses Etats ont copié et collé les systèmes et régimes importés. La politique en Afrique qui est longtemps restée l’apanage d’une élite privilégiée fait de plus en plus l’objet de vives discussions et de contestations.

Si nous passons les crises des années 1980 et 1990, on partira des émeutes de la faim au Cameroun (2008), le printemps arabe ayant ébranlé le Maghreb à la fin de l’année 2010 jusqu’aux récents coups d’Etat chaleureusement salués par les citoyens ouest-africains, en passant par les mouvements populaires Y’en A Marre du Sénégal (2011), le Balais citoyen du Burkina-Faso (2013) et #EndSars du Nigeria (2021), la contestation citoyenne et les discussions politiques ne font que monter en intensité, avec une grande variété de mouvements. La contestation s’est déportée dans les rues (mais également sur les réseaux sociaux) et est devenue violente.

La crise de confiance en l’élite politique s’est exacerbée et s’est particulièrement manifestée à travers la crise sanitaire mondiale mais aussi dans le cadre de discussion de sujets aussi sensibles que la sécurité et la souveraineté nationale. Cette dernière va justifier par exemple les coups d’Etat burkinabé et maliens que les citoyens ont accueilli très chaleureusement. On note un grand fossé entre la perspective de l’élite politique, les aspirations et la réalité des citoyens. Nous pouvons justifier à travers deux exemples que l’écart entre les conceptions du monde des deux parties est en effet patent. Au plus fort du mouvement #EndSars, le président de la République Fédérale du Nigeria a pris la décision le 5 juin 2021 de bannir Twitter sur tout l’étendue du territoire à l’issue de la suppression par Twitter d’un des tweets du Président taxé d’incitation à la haine parce que faisant référence à la guerre de Biafra qui a occasionné la mort d’un million de personnes.

Les réseaux sociaux et Twitter s’avèrent cependant être vitaux pour la grande majorité des urbains du Nigeria dont une très grande proportion de jeunes qui les utilisent en particulier pour la mobilisation dans le cadre du mouvement #EndSars qui devenait gênant pour la classe politique, ainsi que pour le commerce et le petit entreprenariat. La suspension de Twitter n’a été levée que le 13 janvier 2022. L’autre exemple constitue la situation de la fermeture depuis mars 2020 des frontières terrestres du Togo, du Ghana et de la Côte d’Ivoire avec pour raison officielle de limiter la propagation de la pandémie à COVID-19.

Cette situation qui perdure depuis près de deux ans, en ignorance totale de la souffrance des citoyens, limite fondamentalement la liberté de circulation des personnes et des biens au sein de la CEDEAO dont une réunion des ministres sectoriels tenue en décembre 2021 a recommandé la réouverture des frontières pour le 1er janvier 2022. Il n’en est toujours rien à la date de publication du présent article, alors qu’on ne démontre plus à quel point la vie de millions de citoyens dépend des échanges commerciaux et des allers et retours entre les différents pays de cette sous-région connue pour être la plus interconnectée de l’Afrique. Ces restrictions de déplacement ont eu, d’après la CEDEAO, des incidences sur les principaux secteurs économiques et perturbé les chaînes d’approvisionnement et l’accès aux marchés des PME surtout. L’impact sur le PIB des pays de l’espace s’en ressent d’ailleurs, avec environ 50 milliards $ de pertes entre 2020 et 2021.

L’appel à des utopies nouvelles

Il devient alors évident pour ce continent de se poser et proposer une alternative à ce système qui semble défaillant. Il faut panser et repenser la démocratie.

L’organisation PLACE for Africa, en considérant la déception et l’indignation d’une partie de la jeunesse africaine, a convoqué, en commémoration de la journée internationale  de la démocratie, des jeunes d’Afrique et de la diaspora à un concours d’essai autour du thème utopies des systèmes politiques en Afrique. Elle estime en effet, qu’il est temps que soit offert aux citoyens Africains de plus en plus d’espace d’expression permettant de rêver le devenir de leur réalité quotidienne. Il était question pour les compétiteurs de prendre position autour de la thématique : Utopie des systèmes politiques. Il s’agit donc, en référence à l’essai fondateur de Felwine Sarr, d’oser rêver une autre réalité et des avenirs possibles.

La lecture croisée des meilleurs essais permet de présenter les points ci-après qu’on peut considérer comme fondements de systèmes politiques répondant davantage aux aspirations des citoyens.

  1. La représentativité comme gage d’inclusion

Les contextes structurels actuels en Afrique ne permettent qu’à une certaine élite d’assurer les hautes fonctions politiques. Ces cercles fermés constitués, dans certains pays, de personnes dont la moyenne d’âge est de très loin supérieur à la moyenne d’âge dans le pays, et parfois éduquées dans une tradition très colonialiste de la gestion des affaires publiques, ne garantissent pas une gestion inclusive, étant donné l’écart important entre leurs perspectives et les aspirations des citoyens, jeunes, ouverts sur le monde moderne. Cette situation renseigne sur l’écart qui existe entre les décisions prises et l’adhésion de la population qui très souvent ne s’y retrouvent pas. Pour remédier à cet état de choses il est semble opportun qu’il faut  davantage de jeunes, de femmes et de citoyens ordinaires dans les instances de décision en vue de promouvoir une arène politique plus représentative avec prise en compte  de l’intérêt général.

  1. L’autodétermination

Un système qui favorise des ingérences récurrentes de puissances étrangères n’est pas démocratique. Un système démocratique tient sa légitimité du peuple et non de la validation de ses dirigeants par les puissances étrangères. On se souvient tous encore de l’annonce fracassante de la fin du CFA et du passage à l’Eco par Emmanuel Macron et Alassane Dramane Ouattara qui a surpris aussi bien les citoyens de la sous-région que les dirigeants des autres pays alors que la question était en cours de discussion au niveau de la CEDEAO. Nous ne prônons pas une gestion politique en autarcie mais une gestion éclairée par une vision endogène et affranchie, fondée sur les spécificités locales et des partenariats intelligemment choisis, un peu à l’image de Thomas Sankara qui avait certes de la sympathie pour le communisme mais était fondamentalement non-aligné parce que plutôt pro-Burkina-Faso, anti-impérialiste afin de s’affranchir du joug colonial et socialiste parce que véritablement engagé dans la lutte contre la pauvreté et la corruption et pour la fin des injustices sociales. Il s’agit d’un positionnement clair qu’il n’hésitait pas à partager avec ses homologues lors de rencontres internationales. L’arène politique africaine contemporaine a soif de positionnement idéologique affirmé.

  1. Restaurer la légitimité des dirigeants politiques

La légitimité de l’élite dirigeante ne tient pas qu’à la question des élections mais également à l’attitude de ceux-ci en matière de gestion des affaires publiques et vis-à-vis des citoyens. Comme le conférencier PLO Lumumba aime à le dire, la corruption a tué plus de personnes que les guerres civiles en Afrique. Il est temps que l’élite politique adopte une attitude de service, ce qui implique également la capacité à avoir l’humilité nécessaire pour comprendre la perspective des citoyens et de les traiter avec dignité et respect.

L’autonomisation des institutions de contre-pouvoir et une plus grande ouverture à écouter les citoyens accroîtraient par ailleurs la légitimité des systèmes politiques africains.

  1. Adapter la démocratie aux contextes locaux

La politique a été jusqu’ici l’apanage d’une élite et de quelques urbains en mesure de comprendre les discours politiques très rodés. Elle reste donc assez déconnectée de communautés parfois éloignées de la capitale. Il importe qu’en plus des institutions de contre-pouvoir, elle offre davantage de possibilités aux citoyens d’accéder aux discussions et d’y contribuer. La veille citoyenne, les consultations à divers niveaux des citoyens  et les rééditions de compte régulières correspondent tout à fait à cet effet. Cependant, ces dispositifs n’ont de valeurs que s’ils sont véritablement autonomes et pas instrumentalisés.

  1. La formation et la réflexion critique

Ce qui caractérise par ailleurs les systèmes politiques est le manque de formation politique pour les acteurs politiques (citoyens ordinaires inclus) et de remise en question des modèles employés. C’est à cette tâche que s’attèlent quelques rares think tank sur le continent et nous espérons que de plus en plus d’organisations s’y engageront. Cultiver les citoyens à travers l’éducation socio-politique permettra  de  raviver le sentiment d’appartenance à un État afin de créer des liens de fraternité entre ses populations et de réduire les formes plus violentes de contestations et les instrumentalisations idéologiques.

C’est la condition pour concevoir une politique, entendue comme façon de vivre en commun, qui soit adaptée à nos besoins et à notre temps.

  1. Une prise de conscience collective et individuelle comme gage de réussite

Le népotisme et le clientélisme ne permettent pas de promouvoir la transparence et le suivi des activités des gouvernants. Pour panser le système de gestion des Etats africains il est primordial d’établir des institutions indépendantes et inclusives afin de permettre aux citoyens de pouvoir s' y identifier. Ainsi, afin de sortir des considérations tribales, ethniques, claniques etc. les populations ont besoin de pouvoir digérer la démocratie moderne et l'adapter à nos systèmes traditionnels afin de permettre une véritable culture démocratique des hommes.

  1. Oser rompre avec les liens coloniaux et la balkanisation de l’Afrique

Plusieurs des maux dont est victime le continent africain remonte à sa dislocation en petits Etats par le colons sans prise en compte des différentes aspirations et liens sociaux sur les territoires à cette période. Aujourd’hui certaines velléités sécessionnistes et conflits internes  sont le produit de cette balkanisation (Burundi, Namibie, Cameroun  etc.). Si on considère que certains engagements sont irréversibles, il n’est pas exclu que les liens sociaux existants servent de moteur pour l’émergence de davantage de fraternité et d’union au plan panafricain. Les organisations sous-régionales devraient contribuer à l’atteinte de cette ambition et susciter une  dynamique de création d’idées susceptibles d’influencer la vision du monde sur les retombées positives de l’ouverture et de la mobilité plutôt qu’à renforcer l’affirmation des frontières.

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