Burkina Faso: Intérêts civils procès Sankara - Le franc symbolique pour les uns et jusqu'à 50 millions pour les autres

La tombe de Thomas Sankara, président révolutionnaire du Burkina Faso assassiné en 1987. Photo prise le 8 mars 2015.

Comme annoncé il y a deux semaines la Chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou a effectivement vidé sa saisine hier mardi 10 mai 2022 sur les intérêts civils relatifs au procès sur l'assassinat du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons d'infortune. Elle a déclaré partiellement fondées les réclamations formulées par les ayants droit de douze personnes tuées au Conseil de l'entente dans l'après-midi du 15 octobre 87 et condamné solidairement Compaoré Blaise et 10 autres à payer, à titre de dommages et intérêts, des montants allant du franc symbolique jusqu'à 50 millions de F CFA par ayant droit.

"Statuant publiquement, par défaut à l'égard de Compaoré Blaise et de Kafando Tousma Yacinthe, contradictoirement à l'égard de Diendéré Gilbert, Bélemlilga Albert Pascal Sibidi, Démé Djakalia, Ilboudo Yamba Elysée, Ouédraogo Nabonssouindé, Ouédraogo Tibo, Palm Mori Aldiouma Jean-Pierre, Sawadogo Idrissa et Tondé Ninda dit Pascal, en matière criminelle, sur les intérêts civils et en premier ressort : rejette... " C'est en ces termes que le président de la Chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou, Urbain Méda, a introduit la décision de la chambre. Durant la trentaine de minutes qui a suivi, l'assistance était tout ouïe à sa lecture. Si l'on peut faire l'économie des questions de forme, somme toute importantes, il est à retenir que dans le fond, la Chambre a déclaré partiellement fondées les réclamations formulées par les ayants droit de feu Sankara Noël Isidore Thomas et 11 autres personnes tombées le 15 octobre 87 au Conseil de l'entente. Les personnes qui ont été reconnues coupables au pénal doivent payer solidairement 1 franc symbolique à Sermé Mariam (veuve), Philippe et Auguste Sankara (fils du défunt), Pascal, Valentin, Paul, Florence, Colette, Pauline, Odile, Blandine et Lydie Sankara en guise de réparation du préjudice moral. Nous vous proposons en encadré les indemnisations dues aux différentes familles des victimes du 15-Octobre.

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L'Etat n'aura pas son 1,145 milliard

Alors que l'Agent judiciaire de l'Etat avait réclamé 1,145 milliard de francs CFA comme reflétant tous les préjudices qu'il dit avoir subis du fait de cette affaire, les juges l'ont simplement débouté au motif que ses demandes aux fins de dédommagement étaient mal fondées. La chambre a également rejeté, les considérant mal fondées, la demande relative à la restitution des biens de feu Thomas Sankara et celle portant délivrance de certificat de décès conforme aux causes du décès. Compaoré Blaise et les 10 autres ont par ailleurs été condamnés à payer 1 franc symbolique aux avocats des ayants droit de feu Thomas Sankara et à ceux de cinq autres victimes inscrits au barreau du Burkina, 40 millions de francs CFA aux avocats étrangers de la famille Sankara et 2,5 millions à l'avocat des ayants droit de Bationo Emmanuel. L'Etat burkinabè, lui, a été appelé en garantie des condamnations pécuniaires prononcées au profit des ayants droit des victimes des évènements d'octobre 1987.

Au terme de la lecture du verdict et le parquet militaire, n'ayant pas de réquisitions particulières, le juge Méda a levé l'audience sur le coup de 10h30.

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

Akodia Ezékiel Ada

et Roukiétou Soma

Encadré :

Voici les réparations civiles aux différentes familles

Ayants droit de feu Gouem Abdoulaye (6 personnes) : 15 millions de francs CFA chacun ;

Ayants droit de feu Soré Paténéma (3 personnes) : 20 millions chacun ;

Ayants droit de feu Sawadogo Noufou (2 personnes) : 2,5 millions chacun ;

Ayants droit de feu Kompaoré Bonaventure (3 personnes) 15 millions de francs CFA chacun, outre celle de 2,5 millions de francs CFA à Kompaoré Clémence ;

Ayants droit de feu Somda Der (7 personnes) : 15 millions chacun ;

Ayants droit de feu Bationo Emmanuel (4 personnes : : 20 millions chacun ;

Ayants droit de feu Saba Christophe (6 personnes) : 20 millions chacun ;

Ayants droit de feu Kiemdé Frédéric (2 personnes) : 50 millions chacun pour réparation confondue des préjudices moraux et économiques outre la somme de 2,5 millions à Kiemdé Gompoko ;

Ayants droit de feu Bamouni Babou Paulin (3 personnes) : 40 millions chacun pour réparation confondue des préjudices moraux et économiques ;

Ayants droit de feu Ouédraogo Walilaye (3 personnes) : 2,5 millions chacun ;

Ayants droit de feu Savadogo Hamado (2 personnes) : 30 million chacun pour préjudices moraux et économiques, outre 2, 5 millions de francs à 4 autres personnes.

Source : Extrait du jugement du Tribunal militaire

Encadré 2 :

Restitution des biens et correctif du certificat de décès de Sankara

"Nous déplorons la décision de la Chambre"

(Me Bénéwendé Stanislas Sankara)

"Les avocats inscrits au barreau du Burkina Faso ont estimé qu'ils n'avaient pas besoin d'être rémunérés pour le combat judiciaire qu'ils ont mené dans le dossier du président Thomas Sankara. Ils ont donc décliné le paiement d'honoraires dans ce dossier. Pour eux, c'est leur contribution patriotique au dénouement de ce dossier. Par contre, les conseils étrangers qui sont inscrits dans les barreaux de France et du Canada ont exposé des frais (ndlr : déplacements, hôtel, frais de séjour) et souhaité que ces frais soient remboursés à titre forfaitaire (ndlr : à hauteur de 50 millions de francs CFA). Dans son verdict, la Chambre a accordé 40 millions de francs à l'ensemble de ces avocats étrangers et je tiens à préciser que ce n'est pas pour chaque avocat. C'est bien à l'ensemble des avocats des barreaux étrangers et 2,5 millions de francs pour celui inscrit au barreau du Canada.

Concernant la restitution des biens de Thomas, nous déplorons que la Chambre n'ait pas accédé à cette requête. S'il faut faire appel sur ce point, avec la famille Sankara, nous allons aviser. Sinon c'est un préjudice qui est objectif. Mais la Chambre en a décidé autrement et nous en prenons acte.

Nous constatons aussi que la juridiction a rejeté l'émission d'un certificat de décès conforme aux faits. Est-ce que cela est dicté par le fait que celui-là même qui était poursuivi a été purement et simplement blanchi ? Je n'en sais rien (ndlr : le médecin militaire Alidou Jean Christophe Diébré a été relaxé des faits de "faux en écriture publique"). Il faut que nous ayons les commentaires de la décision pour savoir le motif ".

Encadré 3

Karfa Gnanou, Agent judiciaire de l'Etat (AJE)

"Nous sommes satisfait du verdict"

Si l'Etat avait plaidé pour que la Chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou le reconnaisse comme victime et par conséquent a réclamé plus d'un milliard en guise de dédommagement dans l'affaire Sankara et autres, le verdict n'a pas été ainsi rendu mais il y a de quoi se réjouir, a confié Karfa Gnanou, l'Agent judiciaire de l'Etat. En effet, l'AJE justifie cette satisfaction par le fait que tout d'abord la Chambre a reconnu à travers sa décision le droit à l'Etat de se constituer victime dans cette affaire. En outre, le plus important, selon lui, c'est que l'Etat ne soit pas considéré comme civilement responsable comme l'avaient souhaité les parties civiles. Mieux, dira-t-il, l'Etat n'a pas été condamné solidairement avec les accusés ; il a simplement été appelé en garantie de l'éventuelle inexécution du paiement des dommages et intérêts par les condamnés. Cela est très important car si l'Etat avait été condamné solidairement, celui-ci allait simplement prélever directement le montant des dédommagements sur son patrimoine sans tenir compte des personnes condamnées ; quitte à ce qu'il le récupère en se tournant plus tard vers les condamnés, a-t-il-expliqué. Et d'ajouter qu'il appartiendra aux bénéficiaires de la décision, lorsque celle-ci sera définitive, de démontrer que les condamnés sont défaillants et que de ce fait l'Etat doit assurer le paiement des différents montants dus. Interrogé sur la possibilité d'interjeter appel, Karfa Gnanou a indiqué qu'étant donné que la décision de la Chambre de première instance n'est pas définitive, l'Etat, pour l'instant, va s'en contenter et l'examiner.

Encadré 4

Passer à la caisse, ce n'est pas pour demain

Si le verdict relatif aux dommages et intérêts vient de tomber, tout n'est pas gagné pour les familles des victimes qui ont obtenu, sur le papier, la réparation des préjudices moraux et économiques. En effet, selon Me Julien Lalogo, un des avocats des parties civiles, vu que les condamnés ont fait appel de la décision au pénal, il faut que la Chambre d'appel du tribunal militaire tranche avant qu'on parle d'exécution de la décision en matière de réparation. Mais malgré l'appel des condamnés, la décision de la Chambre de première instance pouvait être exécutée provisoirement si ladite Chambre avait ordonné "l'exécution provisoire", comme l'avaient demandé les ayants droit de feu Emmanuel Bationo. Du coup, il va falloir attendre le jugement en appel avant d'espérer toucher le moindre kopeck en guise de dédommagement.

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