Centrafrique: Procès des criminels de guerre - La CPS joue sa crédibilité

Cour pénale spéciale (CPS) de la RCA
analyse

Issa Sallet, Tahir Mahamat et Ousman Yaouba ; tels se prénomment les premiers prévenus de la Cour pénale spéciale (CPS) créée il y a sept (7) ans pour connaitre des graves violations des droits humains commises en République centrafricaine depuis 2003.

Accusés de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, les mis en cause qui sont d'anciens miliciens du groupe " Retour, Réclamation et Réhabilitation " (3R) comparaissent devant ce tribunal hybride composé de magistrats locaux et internationaux.

Les juges disposent, à cet effet, des rapports de l'ONG Human Rights Watch qui accusent le trio d'avoir participé au massacre de 46 civils dans deux villages de la province de Poua, dans le Nord-Ouest du pays.

En attendant de suivre le déroulement et l'épilogue de ce procès qui sitôt ouvert, a été reporté, l'on peut déjà se féliciter de sa tenue car il constitue un important jalon dans la quête de la fin de l'impunité pour les bandes criminelles qui se sont livrées et continuent de le faire, à cœur joie, aux massacres de leurs propres frères.

Ce procès confirme les capacités des Etats africains à juger sur leur propre sol, les auteurs d'atteintes graves aux droits humains

L'ouverture de ce procès confirme ainsi ce dicton populaire qui dit que " quelle que soit la durée de la nuit, le jour finit toujours par se lever ".

Le procès est aussi à saluer car il a une forte teneur pédagogique, surtout dans le contexte actuel de la République centrafricaine où les mêmes marchands de la mort continuent de semer la désolation dans des régions entières du pays.

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Il constitue donc un avertissement sans frais pour tous ceux qui ont tourné le dos à la République, préférant le chaos des armes à l'ordre et à la paix. Mais ce dont il faut surtout se féliciter est que ce procès confirme les capacités des Etats africains à juger sur leur propre sol, les auteurs d'atteintes graves aux droits humains et de crimes de guerre.

En s'inscrivant dans la même dynamique que les Chambres extraordinaires africaines qui avaient mené le procès de l'ex-président tchadien, Hissène Habré, à Dakar, il constitue un début de réponse à la problématique des poursuites menées en Afrique par la Cour pénale internationale (CPI), accusée de ne juger que des criminels africains.

L'on peut espérer que ces deux expériences constitueront une jurisprudence africaine qui permettra, dans les années à venir, de mieux prendre en charge les questions de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

Mais s'il faut se réjouir du jugement des trois accusés, qui d'ailleurs ont été livrés à la CPS par leur chef, l'on ne peut s'empêcher de nourrir quelques inquiétudes. La première des inquiétudes est relative à la crise de confiance à laquelle est confrontée la CPS.

Non seulement elle est accusée de manque de transparence dans les dossiers dont elle s'est saisie, mais elle suscite beaucoup d'interrogations quant à son indépendance réelle au regard des nombreux mandats d'arrêts non appliqués.

On peut se demander si toute la vérité sera dite dans cette affaire

Le cas le plus emblématique est celui du ministre de l'Elevage, inculpé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité et mis sous mandat de dépôt. L'homme sera finalement exfiltré de prison par les autorités puis rétabli dans ses fonctions et même décoré.

Et son cas, loin d'être isolé, cache mal celui de nombreux autres détenus libérés en raison des délais réglementaires qui étaient forclos. C'est dire si la CPS joue toute sa crédibilité dans ce premier procès qui, pourtant, doit être une étape décisive dans la réponse judiciaire à la crise politique qui secoue la République centrafricaine.

L'autre grosse inquiétude est que ce premier procès ressemble à un procès par procuration. Ceux que l'on traine aujourd'hui devant les tribunaux, ne sont que des lampistes alors que les gros poissons qui ont été les commanditaires et donneurs d'ordres, échappent, pour l'instant, aux rets de la Justice. Il s'agit notamment des anciens présidents qui sont les véritables chefs de guerre, en l'occurrence François Bozizé et Michel Djotodia.

Dans ces conditions, l'on peut se demander si toute la vérité sera dite dans cette affaire et par conséquent, si les véritables coupables seront punis.

Cela dit, l'on peut malgré tout souhaiter que cette Cour unique en son genre parce qu'étant la seule au monde à juger des crimes lors d'un conflit toujours en cours, réussisse.

Même si l'on ne peut compter sur la coopération des autorités centrafricaines qui semblent montrer toute leur mauvaise volonté à arrêter et livrer les grandes figures politiques mêlées à tous ces crimes, on peut, tout au moins, espérer que les trois prévenus, pour ne pas couler seuls, délient leur langue.

Ce faisant, ils rendront service à la Justice en donnant des témoignages clés pour confondre leurs mentors qui veulent se jouer d'eux. Mais ils se rendront surtout service eux-mêmes en soulageant leur propre conscience de ces lourdes atrocités.

Mieux, ils se rachèteront sans doute auprès de leurs victimes qui, sans oublier tout ce qu'elles ont enduré dans leur chair, peuvent leur accorder le pardon.

Enfin, ils rendront surtout service au peuple centrafricain pour lequel leurs témoignages feront l'effet d'une véritable catharsis sociale qui ouvrira la porte à la difficile réconciliation nationale dans le pays.

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