Congo-Kinshasa: Grands Lacs d'Afrique - L'Envoyé Xia appelle à préserver les acquis et à plus d'efforts pour davantage de progrès

20 Mai 2022
interview

Lors de sa dernière intervention devant le Conseil de sécurité à New York l'Envoyé spécial des Nations Unies pour la paix dans la région des Grands Lacs a fait part d'une dynamique encourageante malgré l'insécurité dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Nous avons profité de son passage au Siège de l'ONU pour le recevoir dans nos studios et lui demander de nous expliquer quels sont ces acquis, comment les préserver, et de nous parler de la gestion des ressources naturelles et de la situation des femmes dans la région.

ONU Info : Vous avez souligné les avancées en matière de dialogue, de coopération, d'une volonté de s'attaquer aux causes profondes de l'instabilité dans la région des Grands Lacs d'Afrique et vous appelez à consolider les acquis. Pourtant l'on a vu également la recrudescence des violences et des exactions-- je pense aux M23, CODECO, ADF...De quels acquis parlez-vous concrètement et comment les consolider ?

M. Xia : Effectivement il y a des acquis. Mais aujourd'hui on a sur la base de ces acquis quelques évolutions inquiétantes. Je suis d'accord avec vous.

D'une manière générale, la situation sécuritaire dans la région des Grands Lacs reste fragile. C'est la une réalité. Les activités des groupes armés sont en augmentation depuis un certain temps dans l'Est de la République démocratique du Congo, ainsi que dans la région. Dernière évolution, des éléments du M23 on lancé une série d'attaques dans la province du Nord Kivu. Tandis que les Forces démocratiques alliées (ADF) et la Coopérative pour le développement économique du Congo (CODECO) continuent de faire peser de graves menaces. En outre, des attaques visant des agents de l'État et des civils ont été enregistrées au Burundi, en RDC et en Ouganda.

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En réponse, les pays de la région ont considérablement intensifié leur coopération intrarégionale en matière de sécurité pour répondre à la persistance de l'insécurité.

Au niveau bilatéral, les armées nationales de la RDC et de l'Ouganda ont lancé en novembre dernier des opérations militaires conjointes contre les ADF dans l'est de la RDC. Ces opérations se poursuivent toujours.

Au niveau multilatéral, l'année dernière, cinq pays de la région, à savoir le Burundi, la RDC, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, ont mis sur pied le Groupe de contact et de coordination afin de mettre en œuvre de manière coordonnée des mesures non-militaires en complément aux efforts militaires dans la lutte contre les groupes armés illégaux.

Mon bureau soutient à la fois le Groupe de contact et de coordination et sa branche technique, la cellule opérationnelle.

Enfin le 21 avril, le Burundi, la RDC le Kenya, le Rwanda et l'Ouganda ont convenu à Nairobi de déployer une force régionale dans l'Est de la RDC, pour engager le troupes armées qui résistent à l'appel à participer au dialogue politique, dans le cas des groupes locaux, ou pour ce qui concerne les groupes armés étrangers de désarmer et de retourner sans conditions dans leur pays d'origine.

Ces exemples illustrent les progrès significatifs réalisés dans le renforcement de la coopération en matière de sécurité dans la région des Grands lacs. Et donc les acquis sont là. Il est temps de les préserver et de faire davantage d'efforts pour arracher plus de progrès.

C'est vrai que l'on constate une coopération accrue, qu'on prône à la fois le militaire et non militaire, entre les chefs d'Etat, des pourparlers même avec des groupes armés -- est-ce suffisant ?

Une coopération suffisante ou insuffisante, d'emblée je dois dire que les efforts de coopération qu'ils soient aux niveaux bilatéral et multilatéral, ces efforts devraient toujours être mesurés en tenant compte du nombre et de l'importance des enjeux et des défis et aussi à la hauteur des attentes, à la hauteur de la région des Grands lacs, qui aspire à un environnement de paix et de sécurité mieux assuré.

Ce que nous constatons c'est que la coopération tant au niveau bilatéral que multilatérale que nous observons dans la région est un pas dans le bon sens. Et donc aujourd'hui on a toujours une évolution favorable. C'est même une chance que ces pays de la région parviennent à mettre ensemble des moyens militaires et sécuritaires pour combattre un ennemi commun, à savoir les multiples groupes armés qui écument l'Est de la RDC.

Nous avons foi en la capacité des dirigeants de la région ainsi qu'en leur volonté d'aller résolument vers la paix. Les nouvelles initiatives que nous observons donnent espoir pour le retour d'une paix durable dans la région.

La forte participation de haut niveau au 10ème sommet de l'Accord-cadre tenu le 24 février dernier à Kinshasa ; les mini-sommets de Nairobi organisés les 8 et 21 avril sous la présidence du Président Uhuru Kenyatta ; les pourparlers de paix en cours à Nairobi entre la RDC, l'Ouganda, le Rwanda, et le Burundi ; ainsi que les délégations de groupes armés, sont autant d'illustration de cet espoir que nous encourageons. Et ce que nous allons faire au niveau de notre Bureau c'est de ne ménager aucun effort pour encourager accompagner et appuyer les pays de la région des Grands Lacs pour une meilleure perspective de paix de sécurité et aussi de développement.

En fait tous les groupes armés sont désormais impliqués ?

Oui

Les ressources naturelles de la région profitent souvent aux groupes armés...Où en sommes-nous quant à l'Accord de Khartoum et la chaine d'approvisionnement des minerais évoquée en octobre ? A-t-il été possible d'avancer dans le contexte des crises et les aléas sécuritaires ?

L'exploitation et le commerce illicites des ressources naturelles continuent de profiter aux forces négatives constituant ainsi une des causes profondes de l'instabilité politique et des conflits qui continuent encore d'endeuiller l'Est de la RDC et la région.

L'engagement des Nations Unies sur ce dossier remonte à 2000, avec la Résolution 1291 par laquelle le Conseil de sécurité a créé le Groupe d'experts dont le 1er rapport publié en 2002 établit le lien étroit entre le flux d'armes, l'exploitation illicite des ressources naturelles et la poursuite du conflit. Ce constat reste, hélas, encore valable aujourd'hui !

Plus récemment, le Conseil de sécurité a appelé mon Bureau et la MONUSCO (Mission des Nations Unies en RDC) à collaborer avec toutes les parties prenantes, afin de parvenir à une solution politique pour mettre un terme aux flux transfrontaliers de combattants armés, ainsi qu'à l'exploitation et au commerce illicites des minerais.

L'atelier de haut niveau de Khartoum sur les ressources naturelles que mon Bureau a co-organisé avec la CIRGL (Conférence internationale sur la région des Grands Lacs) en août-septembre 2021, a été une étape importante de ce processus qui a permis d'arriver à un consensus de toutes les parties prenantes et une feuille de route claire sur les actions prioritaires à mener pour couper graduellement le lien entre ressources naturelles et le financement des groupes armés.

La CIRGL travaille d'arrache-pied là-dessus. Mon Bureau travaille en étroite collaboration avec la CIRGL et d'autres acteurs sont aussi plus mobilisés que par le passé, pour assurer une meilleure gestion responsable et transparente des ressources naturelles. Je pense à ce séminaire OCDE-CIRGL la 15eme édition en mode virtuel. Et donc toutes ces initiatives c'est à nous de les mettre en valeur pour faire émerger une synergie d'efforts. C'est avec une synergie d'efforts que l'on arriverait à assurer une meilleure gestion des ressources naturelles.

Qu'en est-il des marchés destinataires ? Y-a-t-il eu des avancées pour permettre de bien identifier l'origine des minerais et des ressources naturelles dans les produits finaux ?

L'une des démarches en cours c'est de créer des occasions pour réunir tous les acteurs concernés dans cette longue chaine autour des ressources naturelles, de l'amont jusqu'en aval, à partir des minerais : la transformation, le raffinage, le transfert de produits semi-finis, finis et, après, jusqu'au pays d'utilisation, de consommation.

L'objectif c'est de mettre sur la table les parts de responsabilité qui reviennent à chaque acteur et sur cette base comment mettre un système de responsabilisation de tous les acteurs.

A quelques occasions, j'ai cité des exemples réussis comme le processus de Kimberley. Je pense que nous devons nous inspirer de ces expériences réussies pour voir comment mettre au point un mécanisme de responsabilisation des acteurs qui réponde à la réalité de la région des Grands Lacs.

Vous citez l'adhésion de la RDC à la CEA comme facteur favorable à l'autonomisation des femmes dans la région. Alors quand l'on sait qu'elles sont les premières victimes des exactions des groupes armés et le temps que cela exige pour s'en remettre--quelles sont vos attentes pour elles vis à vis de cette nouvelle appartenance de la RDC a la Communauté d'Afrique de l'Est ?

Le Conseil consultatif femmes, paix et sécurité pour la région des Grands Lacs a félicité la République démocratique du Congo pour son implication au sein de la Communauté d'Afrique de l'Est le 21 avril.

Le Conseil regroupe en son sein les Nations Unies, le Ministère du genre, famille et enfants de la RDC, le Bureau de l'Envoyé spécial, la Commission de l'Union africaine pour les femmes, paix et sécurité, les coprésidents de FemmesWise Africa, et les Représentants de la plateforme des femmes de l'Accord-cadre.

Le Conseil suggère que la dimension genre soit prise en compte.

Dans le cadre des consultations en cours à Nairobi, le Conseil a invité ainsi les acteurs concernés à faire participer les femmes à ces initiatives importantes de consolidation de paix, afin que les doléances des femmes et filles congolaises soient réellement prises en compte et que leurs contributions soient pleinement intégrées au programme d'activités régionales du dialogue et de réconciliation communautaire, de bien-être social.

À l'issue du 10e sommet de l'Accord-cadre, tenu le 24 février dernier à Kinshasa, les chefs d'État des pays signataires s'étaient engagés à soutenir la promotion de la participation des femmes dans les processus politiques, à prendre les mesures nécessaires pour lutter contre les violences faites aux femmes et filles en situation de conflit, conformément aux objectifs de l'agenda 2030 des Nations Unies et de l'agenda 2063 de l'Union africaine.

Soyez assuré que dans le courant de l'année la politique genre égalité homme-femme sera toujours un axe prioritaire des actions dans mon bureau, cela en pleine coordination avec les autres acteurs.

Et une autre conclusion du dernier sommet de l'Accord-cadre, c'est que prochainement, à chaque sommet il y aura une évaluation des efforts accomplis dans le cadre de l'application de la politique genre. Et donc il y a des évolutions encourageantes.

Cela permettra justement de constater concrètement ce qui se fait et comment cela évolue ?

J'avoue qu'entre la réalité et les attentes, l'écart est toujours très grand, mais ce que nous ne cessons de faire c'est d'encourager, d'appuyer les pays de la région des Grands Lacs à traduire leur volonté, leur déclaration politique en action concrète.

Il y aura prochainement une réunion des ministres de la Justice dans le cadre du réseau de coopération judiciaire des pays de la région des Grands Lacs. C'est l'occasion, bien sûr, de parler de la bonne justice, de la bonne gouvernance - pour parler aussi de l'impunité. Et je pense que sur le plan politique, les pays de la région des Grands Lacs sont déterminés dans la lutte contre l'impunité, dans la protection des droits des femmes et des jeunes filles. Et c'est à nous de les encourager et après de les accompagner.

ONU Info : Quelles vont être vos prochaines démarches et vos priorités ?

Il y a beaucoup d'engagements dans les mois, dans les semaines à venir.

Je vais m'atteler à la mise en œuvre du plan d'action de la stratégie des Nations Unies pour la région des Grands Lacs. Aussi, je vais poursuivre mes bons offices dans la région pour soutenir les initiatives de paix en cours, tout en veillant au rétablissement de la confiance entre des pays de la région et en me joignant aux efforts des autres partenaires.

Nous veillerons tout particulièrement au maintien de l'élan de coopération que nous observons ces derniers jours entre les pays de la région. Là-dessus, j'aimerais insister une fois de plus, cet élan favorable, très fort, donné par les 2 derniers conclaves organisés grâce à la persévérance du Président Kenyatta. Les deux conclaves suivis de ce processus de dialogue politique, entre le gouvernement de la RDC et les groupes armés, c'est une évolution très encourageante. Au niveau des Nations Unies, au niveau de notre bureau, nous avons déjà fourni un service technique pour favoriser le déroulement de ce processus politique.

J'ai déclaré l'ouverture dans mon Bureau à d'autres demandes pour voir dans quelle mesure, sur le plan politique d'abord et après, sur le plan technique et logistique, on pourrait appuyer ce processus de Nairobi et aussi tous les engagements, toutes les démarches utiles à un environnement de paix de sécurité mieux assuré dans la région des Grands Lacs.

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