Sénégal: Ni Barça ni barsax" à l'Ucad - Ousmane Dia sculpte l'émigration clandestine

Mercredi dernier, l'artiste-sculpteur Ousmane Dia a organisé le vernissage de son œuvre " Ni Barça Ni Barsax ", à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). L'espace s'est vite transformé en agora, où les étudiants ont manifesté un charmant intérêt aussi bien devant les thématiques de l'œuvre que face à l'œuvre elle-même. La sculpture s'inscrit dans le programme " Doxantu ", dans le cadre de la 14ème édition de la Biennale de l'art africain contemporain.

À la faveur du programme inédit " Doxantu ", inscrit dans la 14ème édition de la Biennale de l'art africain contemporain, l'œuvre sculpturale " Ni Barça ni Barsax " trône désormais à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Pour la postérité. Elle est ancrée dans le rond-point carrefour qui mène à la Faculté des sciences et techniques, à la Faculté des sciences juridiques et politiques, à la Faculté de médecine et à la Bibliothèque centrale.

Autre fait des moins anodins, la sculpture se trouve au milieu des statues (en chantier) du cinéaste Ousmane Sembène et du philosophe populaire wolof Kòcc Barma. La ligne de ces monuments relie la bibliothèque à l'océan Atlantique. Toute une symbolique de laquelle on pourrait voir un certain réveil culturel et une conscience patrimoniale intarissable à laquelle on amène les étudiants à se familiariser.

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Comme le suggérait le parrain de l'université, c'est un ensemble d'outils et de symboles qui devraient inspirer les étudiants à s'armer de connaissances jusqu'aux dents afin de prendre leur destin en main. C'est aussi le propos du sculpteur sénégalo-suisse, Ousmane Dia, auteur de l'œuvre en question. Comment la sculpture est-elle faite ?

La barque en fer perd sa proue dans le piédestal, qui renvoie à l'océan. Des statuettes anthropomorphes en fer gravitent autour de la pirogue. Elles se noient dans les eaux, et s'abandonnent à la détresse des naufragés. Elles signifient tous ces jeunes qui périssent en mer en cherchant à atteindre l'Europe. Ce fameux Eldorado ! Dans le naufrage, deux rescapés sont épargnés. Ils se dégagent du lot et se placent tout en haut de la proue qui émerge. Le premier rescapé pointe son bras rouge vers l'Atlantique, l'autre indexe le continent. L'auteur de cette sculpture partage les responsabilités. Il dénonce cet Occident assassine et raciste qui laisse engloutir dans ses mers l'infortunée et désespérée jeunesse africaine, autant qu'il dénonce les sombres dirigeants locaux qui pillent les ressources et ne réfléchissent pas à des politiques alternatives et rédemptrices.

" Il est clair que la solution de notre réussite globale se trouve au Sénégal, en Afrique. Il suffit que nous en soyons conscients, que nous ouvrions les yeux et osions les sacrifices qu'il faut effectivement engager pour notre développement ", dispense l'artiste basé en Suisse, au milieu de dizaines d'étudiants.

Au cours de ce vernissage, plusieurs de ces groupes d'étudiants vont se succéder sous la tente. Qui pour échanger avec l'artiste-sculpteur, qui pour inspecter avidement l'œuvre placée à quelques mètres de là, d'autres pour juste apprécier la musique de Robert Lahoud. En effet, le musicien s'occupait de l'animation musicale avec un batteur de calebasses acoustiques, un flûtiste traditionnel et un koriste, tous de talent certain. Leur performance a eu l'heur d'exciter la curiosité et les personnes du public estudiantin qui s'est vite massé sur les lieux. C'était aussi le but de la localisation de cette installation artistique.

Transmission:

Cependant, la transmission ne s'est pas faite tranquillement. Quoiqu'enseignant, Ousmane Dia a beaucoup transpiré devant les étudiants. Notamment certains qui se voyaient grands théoriciens et libres doctrinaires. Comme cet étudiant chétif, lunettes correctrices, dressé comme un chef de meute au milieu de ses camarades, qui porte la réplique à Ousmane Dia dans un français qu'il voulait apparemment châtié. Tandis que l'artiste voulait lui indiquer des voies pratiques et intellectuelles pour une réussite sociale et matérielle, l'étudiant prenait avec véhémence le contrepied des arguments du Sénégalo-suisse.

L'étudiant reniait, en fait, la légitimité de son vis-à-vis qui aurait réussi de l'autre côté et revenait leur faire la leçon et les empêcher de tenter l'ailleurs. Le sculpteur le comprend, baisse d'un ton, tient l'épaule du jeune étudiant et amorce la délicatesse.

Ousmane Dia lui dit qu'il comprend bien qu'il soit vexé de l'entendre sermonner les étudiants. Il précise ensuite qu'il ne leur interdit pas de partir. " Moi, j'ai muri avec les voyages et les découvertes. Mais je veux juste que tu te demandes qui va mener notre émergence si tous nos jeunes partent. D'ailleurs, toi et moi avons l'opportunité de voyager régulièrement. Mais qui pense vraiment à ces milliers de jeunes désespérés qui tentent l'émigration clandestine avec tous les risques alors qu'ils sont nos bras valides ?

Je ne reste pas dans mon confort et vous demande de rester ici et vous battre, non. Je pense tout le temps à rentrer, mais nous devons travailler ensemble pour faire du Sénégal le cadre idéal pour nous et vous. C'est possible ", se décharge Ousmane Dia, dans un ton plutôt conciliant. L'étudiant se détend et acquiesce. Les autres osent des questions en s'intéressant plus à la démarche d'Ousmane Dia. Ce dernier ôte ses lunettes et boit deux gorgées d'eau.

Saisir la fonction de la culture:

Outre les étudiants, certains professeurs et des personnels de l'Ucad s'arrêtent quelques moments pour observer cette " œuvre invitée " de leur univers quotidien. Le Ministre du Tourisme, Alioune Sarr, s'invite lui aussi en surprise à la fête. Sans protocole, il est descendu de sa voiture et s'est mis devant l'œuvre sculpturale, rejoignant le Recteur de l'Ucad qui était arrivé quelques minutes auparavant. Après une visite guidée de l'artiste, le Ministre a témoigné sa joie de constater l'Université recevoir une œuvre d'art de cette envergure.

Cela, selon lui, permet aux étudiants de comprendre la culture comme un support majeur du développement. Il a remercié l'artiste et l'Université de l'avoir en vérité aidé, " car c'est ce genre d'initiatives qui anime le tourisme, qui va toujours chercher l'authenticité et les éléments patrimoniaux ".

À son tour, l'artiste a dit son bonheur de voir un membre du Gouvernement comprendre ainsi la démarche. Ousmane Dia y voit une lueur d'espoir car, dit-il penser encore, les autorités peinent à saisir la réelle fonction des arts et de la culture dans la construction d'une nation prospère.

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