Sénégal: Initiative du plasticien Viyé Diba - Manifa, un espace dédié aux cultures contemporaines

L'artiste plasticien Viyé Diba vient d'achever la construction de son espace culturel dénommé Manifa. Un bâtiment sur trois niveaux, entièrement dédié aux cultures contemporaines, situé à Scat Urbam, près de l'ex-collège Yavuz Selim.

L'inauguration aura lieu ce dimanche 22 mai, en marge de la Biennale de Dakar. Rencontre avec l'initiateur de cet espace qui se veut un lieu de productions, d'incubation, de recherches, de formation et d'échanges.  Avec sa couleur ocre, ses ornements typiquement africains et son architecture singulière, le bâtiment sur trois niveaux fait penser aux célèbres édifices de Tombouctou ou de Ségou, au Mali. L'espace Manifa, que vient d'achever l'artiste plasticien Viyé Diba, est visiblement d'inspiration soudano-sahélienne, comme le reconnaît son initiateur fortement marqué par d'anciens édifices visités lors d'un voyage à Ségou, il y a deux ans.

" J'ai été impressionné par cette architecture et cela m'a influencé dans la réalisation de la façade ", nous explique-t-il en cet après-midi du mercredi, dans le calme des nouveaux bâtiments qui sentent la peinture fraîche et le ciment. Il s'est aussi inspiré des vieilles demeures de Gorée, du point de vue de la couleur, et de quelques éléments du patrimoine colonial du quartier dakarois de la Médina.

L'espace dispose de trois niveaux (dont une terrasse aménagée) avec une dizaine de chambres dotées de toilettes, ainsi que des espaces d'exposition, de réunion, de production, d'une salle audiovisuelle et d'un atelier polyvalent. Ce projet qu'il vient de concrétiser, après une dizaine d'années de gestation, est un vieux rêve. Il le définit comme une Maison des cultures contemporaines dédiée aux expressions plurielles où viendront s'éclore des talents, où des artistes confirmés montreront leurs œuvres et où des intellectuels discuteront des enjeux d'un monde en pleine mutation. Ce sera un lieu de productions, de rencontres, d'incubation, de plaidoyer, de recherches, de formation et d'échanges sur les arts et la culture. "

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Cet espace n'est pas une galerie, même si elle va exposer des œuvres. Nous allons privilégier la recherche, mais aussi la connexion avec les populations, particulièrement les jeunes, les femmes, les personnes handicapées et tous ceux qui s'intéressent aux arts ", explique Viyé Diba.

Jonctions entre intectuels et artistes:

Selon lui, la culture est quelque chose de très sérieux et ce sont les peuples qui en sont dépositaires. " Elle englobe l'économie car toute économie sérieuse obtient sa légitimité de la culture qui pose les premières réponses face aux questions que se posent les hommes ", analyse-t-il. En choisissant l'expression mandingue Manifa pour baptiser son espace, il immortalise le nom d'un personnage important dans sa vie et met en exergue la notion d'opulence car le terme renvoie à la récolte et au riz.

" J'ai choisi ce nom pour montrer que le lieu est un espace qui va œuvrer pour susciter le développement, l'opulence et la force de caractère ", poursuit-il. Pour rendre l'espace Manifa dynamique, Viyé Diba a mis sur pied l'association Synergie contemporaine qui va réfléchir sur des projets. Une direction artistique, une cellule administrative, un conseil d'orientation et des intellectuels vont plancher sur un programme annuel et déterminer une feuille de route. " L'administration va établir la programmation des activités, leur mise en œuvre, la recherche de partenariats et le suivi. Nous ferons une jonction entre le monde intellectuel et l'univers artistique car chacun a tendance à rester dans son coin ", souhaite Viyé Diba.

À ce propos, il s'inspire de l'expérience des pays anglophones où les lieux de formation sont installés au cœur des universités, ce qui crée une proximité entre artistes et intellectuels. Dans des pays comme le Nigeria et le Ghana, qui disposent de nombreux professeurs officiant en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les idées circulent ainsi plus facilement. " C'est tout à fait le contraire dans les pays francophones où on ne produit pas assez d'idées pour qu'elles puissent circuler ", déplore-t-il. Au sein de l'espace Manifa, va se créer une chaîne de solidarité entre les artistes, la production des idées et leur circulation.

L'initiateur et ses collaborateurs veulent en faire un lieu de conseil en direction des municipalités, Ong et pouvoirs publics afin de mieux élaborer des politiques culturelles. " Nous allons en faire un espace d'incubation et d'identification des jeunes talents afin de les aider à éclore très vite. Nous nous sommes rendu compte qu'on perd trop de temps dans la construction des carrières et Manifa va être un lieu de promotion et d'échanges d'expériences ouvert aux apports extérieurs ", confie-t-il.

Des artistes et intellectuels vont y débattre de problématiques telles que la destruction du patrimoine à l'image des vieilles maisons de la Médina menacées de disparition. Un fait que déplore Viyé Diba car il trouve lamentable le fait de s'attaquer aux vestiges du passé dakarois. " Il n'y aura plus d'articulation entre les générations. C'est une catastrophe de détruire ces vieux bâtiments, ces mosquées qui existent depuis l'époque d'El Hadj Malick Sy (guide religieux de la Tidjaniya). On a l'impression que ceux qui font ça ne savent pas que ces bâtiments sont des livres d'histoire ", regrette-t-il. Il propose la création de programmes pour enseigner aux élèves l'histoire de ces vieux quartiers.

À son avis, de tels bâtiments devraient être consacrés comme des musées et l'Etat doit s'opposer à leur vente, quitte à trouver un arrangement avec les propriétaires car c'est une page importante de notre histoire qui est en train de disparaître. " En Europe, personne ne touche aux bâtiments de la vieille ville. Si l'on n'y prend garde, nous risquons d'avoir à Dakar des quartiers sans âme implantés au milieu de nulle part, comme s'ils étaient tombés du ciel ", avertit-il. Au niveau de Manifa, des questions de ce genre seront abordées car, pour Viyé Diba, l'art n'est pas uniquement une accumulation de couleurs, mais des questionnements sur le vécu, le présent et une projection sur l'avenir.

L'idée d'une nation devenue réalité:

Le premier événement que va abriter l'espace est une exposition " Off " dans le cadre du Dak'Art 2022 avec comme commissaires Ousseynou Wade, ancien secrétaire général de la Biennale, et la journaliste Oumy Régina Sambou. Une expo dont le thème est le chiffre 12. Ce chiffre représente tout un symbole pour Viyé Diba. D'abord en ce qui concerne la gestation de Manifa, une idée qu'il avait eue en 2010 et dont la concrétisation s'est faite en 2022, soit 12 ans plus tard.

La deuxième raison est cette belle victoire remportée par le Sénégal, cette année, lors de la Coupe d'Afrique de football. " Une victoire qui n'est pas anodine car l'entraîneur Aliou Cissé rappelait que les Lions ont gagné au Cameroun, sacré 5 fois, et devant l'Egypte championne d'Afrique à 7 reprises, ce qui aboutit au chiffre de 12. La troisième raison est qu'au retour des Lions, il y a eu un accueil exceptionnel de tout un peuple qui s'est transformé en 12ème Gaïndé.

" J'ai demandé à 12 artistes, parmi lesquels Fatou Kandé Senghor, Mamadou Ndoye Douts, Mbaye Babacar, Mansour Ciss Kanakassy, Abdoulaye Ndoye, Moussa Tine... , de décortiquer ce qui se cachait derrière cette atmosphère. Subitement, l'idée d'une nation est devenue une réalité. Tout le monde a oublié ses problèmes et chacun s'est impliqué dans cette victoire avec sa spécificité ", dissèque Viyé Diba.

Il croit ferme que ce phénomène n'est pas anodin et il est important de s'y appesantir. Ce n'était pas que du football ! Des jeunes ont marché des dizaines de kilomètres, durant sept à huit heures. " L'espace et le temps se sont pliés pour laisser la place au seul objectif d'accompagner les joueurs à travers les rues de la capitale.

Cela pose un problème de fond car le plus important, ce ne sont pas les obstacles, mais d'avoir un objectif et se mobiliser pour l'atteindre ", explique-t-il. Il lui vient à l'esprit cette réflexion du philosophe français Maurice Merleau Ponty qui disait que percevoir c'est construire le monde selon les projets du moment, c'est aussi agir soi-même.

Cet accueil des Lions lui rappelle la victoire de Me Abdoulaye Wade lors de l'élection présidentielle de 2000. En compagnie d'un ami, il avait marché de son domicile des Hlm Grand Yoff au Point E où habitait l'opposant historique. " Nous avions parcouru des kilomètres sans ressentir aucune fatigue, pourtant nous n'étions pas si jeunes ", se souvient-il. Selon lui, cette victoire n'est pas que du football car ce sport a suscité une ferveur et entraîné une dimension jamais imaginée, c'est-à-dire une capacité pour un peuple de surmonter ses difficultés et d'être une sorte de surhomme poursuivant un seul objectif. " Une nouvelle ère est en train de s'ouvrir pour le Sénégal et nous devons nous demander ce que nous allons en faire.

À travers l'exposition, nous posons une question existentielle : la victoire et après ? Que va-t-on faire de ce triomphe, de cette formidable mobilisation d'énergies dans le contexte d'un monde post-Covid qui se cherche et qui fait face à l'incertitude ? Un monde où aucun pays, y compris les plus développés, n'a plus le monopole de l'avenir ", ajoute Viyé Diba. Face à ces questionnements, il estime que notre pays est à la croisée des chemins. Dans quelle direction va-t-on s'engager ? Devra-t-on marquer un temps d'arrêt pour réfléchir sur les futures orientations ?

L'un des objectifs de l'exposition " 12 " est de poser cette problématique et d'essayer d'y trouver des réponses. Selon Viyé Diba, la chance des arts plastiques est d'être une discipline de recul et de distance qui n'est pas dans l'instant. Les artistes ont un temps d'analyse et de proposition qui constitue leur force. " Notre restitution prend du temps, mais cela nous permet de poser les bonnes questions ", affirme-t-il. Et il est d'avis que l'avenir de la création est dans l'interdisciplinarité et la transdisciplinarité.

La notion d'artiste change de nature à chaque étape du progrès et la création devient un processus de partage d'expérience qui met en scène des idées, devient plus humaine et sociale. Il perçoit les arts comme des points focaux qui prolongent nos organes. " Une culture n'est grande que si elle peut développer les Africains, sinon elle devient une berceuse pour nous endormir. Les Africains ont besoin d'avoir un caractère fort. Nous sommes de plus en plus bâillonnés et il est temps d'être nous-mêmes. Tous les peuples ont connu la domination, mais l'ont intégrée dans leur quotidien pour mieux la dépasser ", explique-t-il.

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