Afrique: Sidi Ould Tah, Directeur général de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) - « Il est important d'établir des partenariats entre pays africains et les capitaux arabes »

Sidi Ould Tah, Directeur général de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA)
30 Mai 2022

La 54ème session de la Conférence des ministres (CoM2022) que la Commission économique africaine (CEA) a tenue les 16 et 17 mai 2022 à Dakar s'est refermée en sonnant la révolte qui milite pour une réforme de l'architecture financier mondial devant prendre en compte les préoccupations de l'Afrique. Rencontré dans les coulisses de la Conférence, M. Sidi Ould Tah, Directeur général de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) appuie ce plaidoyer du Président en exercice de l'Union africaine, Macky Sall, par ailleurs chef de l'Etat du Sénégal. Dans cet entretien accordé à allafrica.com, le patron de BADEA appelle à plus d'investissements dans le développement des chaînes de valeur afin de promouvoir les petites et moyennes entreprises en Afrique avec un accent particulier  sur l'entrepreneuriat des jeunes et des femmes.

La 54ème session de la Conférence des ministres (CoM2022), porte sur le thème « Financer la relance de l'Afrique : Trouver des solutions innovantes ». Que vous inspire ce thème choisi pour ce rendez-vous de Dakar?

Cette rencontre de Dakar est un rendez-vous particulièrement important pour plusieurs raisons. Le Sénégal assure la présidence de l'Union africaine. Le Sénégal est aussi un pays pivot dans la région et il est résilient. Donc cette rencontre de Dakar est multidimensionnelle.

Le thème est extrêmement important pour l'Afrique. Comme vous le savez, le monde était sur le point de sortir de COVID-19 après plus de deux ans. Même si la pandémie n'est pas terminée des lueurs d'espoir étaient là mais subitement la guerre en Ukraine est venue assombrir les horizons.

Dans ce contexte multidimensionnel où les crises se superposent avec l'inflation mondiale qui commencent à prendre une propension inquiétante et avec aussi le relèvement des taux d'intérêt, il était important que les ministres des finances et du plan se rencontrent pour discuter des voies et moyens pour faire face à ces multiples risques.

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Il était aussi important que des échanges se fassent entre les décideurs africains et leurs partenaires au développement, en particulier les banques de développement dont la BADEA. C'est un rendez-vous extrêmement important avec un discours d'ouverture fort, prononcé par le président Macky Sall.

Cette adresse portait beaucoup d'idées importantes et faisait un diagnostic sans complaisance de la situation mais qui aussi offrait des pistes de solutions pour le continent africain et ses partenaires.

Les séances de travail et les sessions qui ont suivi, ont aussi  permis de passer en revue non seulement les principales questions d'actualité mais aussi les enjeux du continent africain notamment sur des questions liées aux changements climatiques, les financements verts. Par ailleurs, des enjeux stratégiques mondiaux et la place de l'Afrique dans l'échiquier mondial ont été évoqués.

Il a été exigé une réforme de l'architecture financière mondiale. Comment appréhender un système bancaire qui va réellement prendre en compte les préoccupations des pays africains et permettre l'atteinte des objectifs de développement?

Je pense que le Président Macky Sall a attiré l'attention sur une question d'importance cruciale. Il est un fait que les Institutions de Breton Woods ont été créées dans un contexte particulier, à la sortie de la deuxième guerre mondiale, donc il y a plus de 70 ans.

Le monde a changé. L'Afrique a beaucoup changé et elle n'a pas été présente lors de la création de ces institutions internationales. Aujourd'hui, avec une place prépondérante, il est dit que c'est le continent du présent et de l'avenir de l'humanité.

Donc il est extrêmement important que l'Afrique trouve la place qu'elle mérite dans le cadre de la structure financière internationale. C'est un plaidoyer du Président Macky Sall, en sa double qualité de Président du Sénégal et de Président en exercice de l'Union africaine, que nous devons tous porter et qui devrait avoir son écho là où il se doit.

Aujourd'hui, quel est le rôle qu'une institution comme la BADEA compte jouer dans cette dynamique ?

La BADEA est l'une des institutions multilatérales les plus actives sur le continent africain. Elle vient d'avoir, au mois de février dernier, sa première notation souveraine de (AA2 ) avec des perspectives positives.

Dans le cadre de l'action de la BADEA, en concertation surtout avec ses partenaires du Groupe de coordination arabe, elle joue un rôle prépondérant pour catalyser des ressources financières pour contribuer à la relance économique de l'Afrique. Elle va continuer aussi sa mission historique de partenaire au développement pour la réalisation des Objectifs de développement durable  mais aussi de l'agenda 2063  de l'Union africaine.

Plus que jamais la BADEA est plus qu'engagée à mobiliser davantage de ressources. Au mois d'avril dernier, elle a bénéficié d'une augmentation de son capital décidée par ses actionnaires de manière unanime. Mais aussi forte de sa notation d'excellente qualité, la BADEA est en mesure de mobiliser des ressources sur des marchés de capitaux à des taux très abordables et mettre ces ressources à la disposition des pays africains.

Au-delà de la mobilisation de ressources financières, la BADEA  joue aussi un rôle de catalyseur des investissements arabes vers le continent. Aujourd'hui, il est extrêmement important d'établir des partenariats gagnant-gagnant entre les pays africains et les parties prenantes du monde arabe pour développer des chaînes de valeur agricoles, les infrastructures, les secteurs productifs et d'une manière générale, l'Afrique.

Ce rôle, la BADEA entend le jouer pleinement et nous pensons que cela contribuera à augmenter le flux des investissements directs étrangers en Afrique et de manière à mieux contribuer à financer le gap sur le plan des infrastructures mais aussi à donner une très forte proportion au développement des chaînes de valeur pour que l'Afrique puisse créer de la valeur ajoutée et créer des emplois pour les jeunes et les femmes.

Lors de la rencontre de la CEA à Kinshasa, la BADEA était fortement impliquée dans cette initiative de mettre en place une unité de production de batterie électrique. Quelles sont autres grands projets sur lesquels l'institution que vous dirigez travaille pour le développement de l'Afrique ?

La BADEA est particulièrement intéressée par le développement des chaînes de valeur d'une manière générale. Donc elle était partie prenante dans la réalisation de l'étude de Bloomberg qui avait permis de mettre en exergue la compétitivité de la production des batteries et véhicules électriques à partir de la République Démocratique du Congo. Mais elle est déjà engagée avec des investisseurs arabes pour qu'elle puisse contribuer au financement de cette industrie.

Au-delà, elle examine avec plusieurs pays d'autres chaînes de valeur, en particulier, des chaînes de valeur agricole. Dans le domaine du cacao, nous avons des discussions assez avancées aussi bien avec le Ghana qu'avec la Côte d'Ivoire pour que la BADEA contribue de manière beaucoup plus significative au développement des chaînes de valeur du cacao.

Dans le cadre du coton, nous travaillons aussi avec la FAO pour le développement des chaines de valeur en Afrique de l'Ouest.

Nous sommes aussi en train d'examiner le développement des chaines de valeur dans la filière anacarde.

Nous sommes aussi ouverts à d'autres opportunités pour le développement de chaînes de valeur qui constitue l'un des quatre piliers de la stratégie BADEA 2030.

Quel schéma l'Afrique doit mettre en œuvre pour mieux réussir le pari de la mobilisation des ressources domestiques qui est présenté comme levier essentiel dans le financement de la relance?

Au-delà des ressources qui peuvent être mobilisées sur la scène internationale à travers les marchés des capitaux mais aussi à travers les partenaires au développement, il est indispensable pour chaque pays de pouvoir mobiliser aussi ses ressources internes.

Je pense que l'exemple cité par le président Macky Sall est édifiant en disant que le Sénégal a pu multiplier par 2,5 les recettes douanières et celles fiscales. Je pense que cet exemple s'applique à tous les pays africains. Je pense que la mobilisation des ressources est un impératif de développement.

Elle permet de rassurer les partenaires et contribue à renforcer la capacité de négociation du pays. Je pense que tous les pays sont encouragés à prendre des mesures nécessaires pour mobiliser davantage de ressources intérieures.

Avec le renchérissement des cours des matières premières, l'augmentation des coûts de la logistique due aux perturbations des chaînes d'approvisionnement internationales, les tensions inflationnistes ne sont pas là pour faciliter le rôle des gouvernements. Ce qui a amené d'ailleurs certains gouvernements à réduire la fiscalité douanière pour éviter un renchérissement très fort des produits importés.

Je pense que si on arrive à dépasser cette conjoncture, la trajectoire de la mobilisation des ressources intérieures devrait reprendre et continuer pour que les pays africains puissent élargir l'espace fiscale nécessaire pour le financement des activités liées particulièrement aux secteurs sociaux, les filets de sécurité et autres activités.

Aujourd'hui, quelle est la proportion des investissements arabes en Afrique ?

Au niveau de la BADEA, nous travaillons actuellement sur deux indicateurs principaux  : d'une part les flux commerciaux entre la région arabe et l'Afrique. Cela va permettre de quantifier les importations africaines d'origines arabes et vice versa.

Et d'autre part, les flux d'investissement. C'est un travail qui nécessite la collecte de beaucoup de données et la définition d'un certain nombre d'objectifs. Ce qui va permettre de mesurer la contribution de la BADEA dans le développement économique de l'Afrique. Le moment venu, nous allons partager les informations avec le grand public.

Un dernier mot à l'endroit des gouvernants et de la jeunesse africaine ?

Je salue les efforts particuliers qui sont en train de donner leurs fruits. Aux jeunes africains, je leur dirai que la Banque arabe pour le développement économique en Afrique et tout le Groupe de coordination des institutions financières arabes font de la question de la jeunesse est une priorité absolue.

Nous sommes en train de travailler sur la coalition globale pour l'appui à la micro et petite entreprise avec un focus particulier sur les jeunes et les femmes. Dans les mois et semaines qui viennent, la BADEA va faire des annonces importantes relatives à l'autonomisation des jeunes et des femmes en promouvant leu entrepreneuriat.

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