Ile Maurice: Barlen Pyamootoo - "J'en parlerai toujours, de ces gens de peu"

Il flotte "une forte odeur d'herbe". Parfum d'innocence et de naïveté d'un personnage principal encore mineur, flairé par des trafiquants de drogue. Direction Monterey, le nouveau roman de Barlen Pyamootoo. L'ouvrage est paru le 13 mai aux Éditions de l'Olivier.

Monterey, c'est l'histoire racontée à la première personne de Nick Armando. Il échoue trois fois aux examens de fin de cycle primaire, "malgré les coups de bâton". À 13 ans, il travaille dans la boutique de son père. C'est, pour lui, "trois années à m'ennuyer ferme". Sa passion, c'est le métier de tôlier. "Je m'éclatais quand je débosselais, soudais, ponçais, planais, mastiquais, marouflais."

Ce métier-passion lui fait croiser la route de trafiquants de drogue. Il deviendra un membre du cercle vicieux. "Je me suis beaucoup renseigné auprès d'une personne que je connais très bien", explique Barlen Pyamootoo à propos des coulisses de ce roman. "C'est de la documentation, mais de l'invention aussi." Licence poétique baignée d'empathie pour "ceux qui glissent, vont de l'autre côté. À un moment donné, ils sont perdus, ils font de vraies conneries, alors qu'ils auraient pu suivre une autre voie. Mais qu'est-ce qu'on peut y faire ?" se demande l'auteur.

Le roman dépeint un univers pas si glauque. La solidarité, par exemple, y est présente. Quand Caïman, l'un des trafiquants, fait travailler Nick, mais refuse de le payer, les autres - Rouillé, Gros Dodo, entre autres - se mobilisent pour le forcer à donner au personnage principal l'argent qu'il lui doit. Pour Barlen Pyamootoo, ce sont des "bandits à l'ancienne". Des gens avec un code d'honneur et le sens de la parole donnée. "Pas comme les bandits modernes, sanguinaires. Ils ont un peu de classe."

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L'atout de Nick, qui est encore mineur quand il débarque à Bidwell, c'est qu'il "ne se mêle pas de leurs affaires. Il ne porte aucun jugement sur ce qu'ils fabriquent". Nick finit par avoir dans sa panoplie de caïds le goût des bijoux en or, surtout les chaînes et les bagues. "Pour eux, c'est un investissement", note Barlen Pyamootoo.

Les robes usées de la mère de Nick, les sous-vêtements qui partent en lambeaux de sa petite amie, Linda. Autant d'images pour dire la misère dans Monterey. "J'en parlerai toujours, de ces gens de peu, comme je disais dans Bénarès. Ceux qui n'ont pas été à l'école." Barlen Pyamootoo pense à sa propre mère qui n'a pas été à l'école. Pour autant, la misère n'est pas une façon pour l'auteur de dédouaner ses personnages. "Je suis aussi inspiré par le cinéma italien des années 1950-1970. On dit toujours de ces films qu'il y a un oeil qui pleure et un autre qui rit. Comme dans Bénarès. La prostitution des jeunes c'est grave, mais on rit de temps en temps."

Arrêté une nuit de Saint-Valentin, le roman se termine avec la sortie de prison de Nick. Sortir de prison signifie-t-il que Nick sort de l'univers du trafic de drogue ? "C'est là que le démon s'est manifesté", écrit Barlen Pyamootoo. Ce n'est ni une rédemption ni une condamnation qu'il nous livre. "Ce n'est pas un livre sur le trafic de drogue", affirme l'auteur. En confiant : "J'ai des amis flics, j'espère qu'ils ne vont pas lire le livre." Monterey nous montrant aussi des policiers corrompus, ceux qui prélèvent leur part dans les cargaisons de drogues saisies et qui font eux-mêmes du trafic de stupéfiant.

Géographie romanesque: ce qui lie monterey à Trou-d'Eau-Douce

Si Monterey est une ville californienne, où "les sentiers descendent en pente douce jusqu'à la mer", la géographie dessinée dans le roman fait penser à Maurice. Nick Armando, le personnage principal, passe de Monterey, sa ville natale, à Bidwell et Fulton. Mais il y a des choses dans ces villes qui nous sont tellement familières. Comme la scène d'ouverture où le grand-père de Nick l'emmène à l'école sur le porte-bagage de sa bicyclette.

"Cela doit être une superposition de mon imaginaire. Peut-être que Monterey, Bidwell et Fulton c'est Trou-d'Eau-Douce, Centre-de-Flacq et Rose-Hill." L'ambiguïté contribue à l'atmosphère du roman.

Pourquoi ne pas avoir situé le roman à Trou-d'Eau-Douce, Centre-de-Flacq et Rose-Hill ? Barlen Pyamotoo explique : "J'avais envie de créer des endroits imaginaires. Si j'écris sur Flacq, il faut que je sois précis." Impossible d'y faire pousser un "bâtiment de dix étages". Comme littérature est liberté, il a choisi un nom de lieu réel, et puis, "je me suis dit, 'fais ce que tu veux'".

Quelle est la part du voyage chez Barlen Pyamootoo ? Lui qui nous a fait faire Le tour de Babylone. Roman paru aux Éditions de l'Olivier en 2002. "Le voyage est un thème que j'aime beaucoup. Quand j'écris, je connais la destination mais je ne sais pas par où passe le voyage. C'est en écrivant qu'on commence à comprendre."

Qu'a-t-il compris en écrivant Monterey ? "À chaque fois, il y a comme une formule rhétorique que j'emploie beaucoup. Dans certains romans comme Whitman, ça a pu être la gradation vers l'horreur." Dans Monterey, "par moments, c'est le langage des adolescents. C'est la figure de l'hyperbole, de l'exagération qui revient".

Références littéraires: adoration pour le roman noir américain

Est-ce que "Monterey" est le second roman américain, après "Whitman" paru aux Éditions de l'Olivier en mai 2019 ? En 2012 - déjà dix ans - Barlen Pyamootoo avait passé six mois en résidence d'écriture aux États-Unis. D'abord à l'Iowa International Writing Program, puis à Pittsburg. "Non, on ne peut pas dire ça", explique l'auteur. Il professe cependant une "adoration" pour le roman noir américain. Citant des auteurs comme Dashiell Hammett et David Goodis. Barlen Pyamootoo confie que "la prochaine fois, je vais écrire un livre qui va se passer vraiment à Maurice. J'ai envie d'y être très réaliste".

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