Niger: lla Kané (chargé de communication du PFAN) à propos des conséquences du changement climatique au Niger - "Nous sommes face à un phénomène qui n'a pas de solution miracle"

interview

Tous les pays monde ressentent les effets du changement climatique. Mais, si les pays développés ont les moyens et souvent la technologie qu'il faut pour développer leur résilience, ce n'est pas le cas pour les pays africains. La situation est encore plus grave pour les pays sahéliens déjà handicapés par la nature. Dans cet entretien réalisé en marge de la COP15 des Nations unies, sur la lutte contre la désertification et la sécheresse, tenue du 9 au 20 mai, à Abidjan, M. Illa Kané, chargé de communication du Projet Financement de l'Adaptation au Niger (PFAN), explique comment ce pays sahélien et pauvre (un PIB par habitant de 661 dollars en 2021 selon la Banque mondiale), subit de plein fouet le phénomène.

Pouvez-nous nous présenter le projet Planification et Financement de l'Adaptation au Niger ?

C'est un projet financé par le Fonds mondial pour l'environnement (FEM), à travers le PNUD, qui intervient dans 7 communes de 3 régions du Niger. Il a été lancé en 2021. C'est un projet mis en œuvre dans le cadre de l'adaptation du secteur de l'eau au changement climatique. Des études ont démontré que les 7 communes d'intervention du projet sont très vulnérables au changement climatique. Notamment, en ce qui concerne l'accès à l'eau des populations et même des animaux. Donc le projet a été initié pour venir en appui aux populations de ces différentes communes, afin qu'elles puissent accéder à l'eau potable pour la consommation humaine, à l'eau pour la consommation des animaux et pour le maraichage. Nous avons prévu un certain nombre d'ouvrages physiques, notamment des mini adductions d'eau potable pour la consommation humaine et des forages pour la consommation des animaux et le maraichage. C'est un projet pilote qui va durer 5 ans. Nous avons plus de 200 communes au Niger. Il est évident que si les résultats de cette première expérience sont concluants et probants, qu'on puisse avoir soit le FEM ou d'autres partenaires pour toucher le maximum de communes. Car le Niger est un pays très désertique qui subit de plein fouet les différentes manifestations du changement climatique. C'est donc un pays qui a besoin d'être appuyé par rapport à un secteur aussi sensible que celui de l'eau.

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Comment se manifeste le changement climatique au Niger et ses impacts sur la population ?

Pratiquement, l'essentiel des manifestations du changement climatique se retrouve au Niger. Vous avez d'abord la sécheresse. Les 2/3 du pays sont désertiques. Il y a aussi les fortes chaleurs. Le Niger est le pays où il fait le plus chaud en Afrique de l'ouest. Nous avons des températures qui caracolent autour de 50 degrés, avec toutes les conséquences que vous pouvez imaginer. Notamment la montée de certaines maladies, liées à la chaleur. Telles que la tension pour les personnes âgées. En 2010, nous avons connu de fortes chaleurs qui ont entrainé des dizaines de morts rien qu'à Niamey, la capitale. Cela est assez inquiétant. Nous avons les inondations. C'est un peu paradoxal qu'on parle de sécheresse et d'inondations. Les inondations sont dues au fait que de plus en plus, les pluies se concentrent sur une période bien donnée. A l'époque, nous avions une saison des pluies qui s'étalaient sur 3 mois : de juin à septembre. Aujourd'hui, c'est pratiquement un mois voire un mois et demi. Et nous avons des pluies qui sont très fortes, qui provoquent des inondations. L'autre aspect des changements climatiques au Niger, c'est la pression sur les ressources naturelles. Avec l'avancée de la sécheresse, les gens sont en train de s'attaquer aux petites forêts qui nous restent pour les besoins ménagers et de construction. Cela, sans compter la dégradation des terres elles-mêmes. La conséquence est que de plus en plus, la production agricole est en train de baisser. Là où le paysan avait l'habitude de récolter 4 à 5 tonnes, aujourd'hui, c'est très difficile de récolter 2 tonnes. Tout cela est en train de provoquer d'autres situations. Notamment l'exode rural. Si vous faites un tour dans votre capitale économique, Abidjan, vous allez constater qu'il y a une forte communauté nigérienne. Beaucoup de personnes sont arrivés ici (Abidjan) malheureusement suite à de mauvaises productions agricoles. C'est donc vous dire que de manière générale, nous avons toutes les manifestations du changement climatique au Niger.

Récemment le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a dressé une liste des pays menacés par l'insécurité alimentaire, donc de famine, dans la bande du Sahel. Le Niger en fait partie. La menace est-elle réelle ou c'est un peu exagéré ?

Le CICR n'a pas véritablement tort. C'est une situation que, même au niveau national, les autorités ont reconnue. Des rapports ont démontré que des millions de Nigériens sont menacés par l'insécurité alimentaire. Le fait est que nous sommes en train d'aller dans une période assez difficile que nous appelons période de soudure. C'est période qui précède un peu la saison des pluies, donc la saison agricole. C'est une période où véritablement les gens souffrent beaucoup. Car tout ce qu'ils ont produit l'année dernière a été consommé. On prépare donc la nouvelle saison agricole. Mais, le plus souvent le paysan n'a plus rien dans le grenier. C'est donc une situation réelle que nous n'avons pas besoin de cacher. Effectivement, en termes d'insécurité alimentaire, le Niger est un pays très menacé dans le Sahel.

On imagine bien qu'à part votre projet, d'autres initiatives sont en train d'être prises pour y faire face...

Oui. Effectivement, le pays ne se contente pas de regarder la situation. Des appels ont été lancés à l'endroit de la communauté internationale. Avant que nous ne venions à la COP15 ici à Abidjan, il y a un certain nombre de manifestions d'intérêt qui ont été observées au niveau de certains partenaires. Nous pensons qu'avec tout ce que le gouvernement a fait comme plaidoyer, les aides nécessaires seront apportées aux populations dans le temps.

En tant que membre d'un organisme qui intervient sur le terrain, quelles sont les solutions que vous préconisez ?

Les solutions sont de plusieurs ordres. La plus importante à notre avis est une bonne sensibilisation de la population pour pouvoir s'adapter. C'est un peu ce que nous faisons avec le PFAN et même d'autres projets. Nous sommes face à un phénomène qui n'a pas de solution miracle. On ne peut que s'adapter. Aujourd'hui, dans le domaine du changement climatique, il a été démontré qu'on n'a pas de solution comme une maladie qu'on va traiter en se rendant à l'hôpital. Ce sont donc des options de solution d'adaptation que les gens doivent trouver. Les populations sont en train d'être sensibilisées afin qu'elles comprennent que la situation a changé. Je vous ai dit que de 3 mois de pluie nous sommes passés à 1/2 mois. Nous sommes donc obligés de trouver des solutions à ce genre de situation. Savoir quelle technique trouver pour produire durant ce laps de temps.

Comment ?

Les populations ont également des solutions. Mais, pour améliorer davantage leur résilience, nous leur proposons le recours aux semences améliorées. Puisqu'à l'époque c'était des semences traditionnelles qui s'étalaient sur le temps de la saison des pluies. Donc entre 3 à 4 mois. Aujourd'hui que nous avons compris que les choses sont en train de changer, on sensibilise la population pour aller vers des semences beaucoup plus résistantes à la sécheresse et beaucoup plus précoces en terme de production. On a des semences qui durent tout au plus 2 mois, du semis jusqu'à la récolte. Nous sensibilisons donc les populations à l'usage de ces semences. Après l'agriculture, l'élevage est la deuxième activité des populations au Niger. Là aussi, nous sensibilisons les éleveurs sur la nécessité de ne pas trop stocker des animaux qu'ils ne pourront pas nourrir pendant la sécheresse. S'il y a des périodes de longue sécheresse qui se profilent, on alerte les éleveurs afin qu'ils essayent de vendre une partie de leurs cheptels, pour pouvoir payer de la nourriture pour elles-mêmes et en même temps éviter de pertes inutiles en bétail. Car une sécheresse peut décimer tout un troupeau. Donc s'ils prennent le soin de vendre une partie de leurs troupeaux, le peu qui restent, ils peuvent facilement les nourrir. Il y a aussi la récupération des terres dégradées dans les zones très menacées. Les populations plantent des arbres pour pouvoir fixer le sol. A ce niveau, ce sont beaucoup plus les femmes et les jeunes qui sont utilisés. Cela pour non seulement protéger leur environnement mais aussi pour avoir des ressources. Ce sont des personnes qu'on emploie pendant un à deux jours pour fixer les arbres et qui en retour sont payés. Le pécule qu'elles gagnent leur permet de mener des activités génératrices de revenus.

Vous optez pour cette cible parce que le changement climatique n'est pas vécu de la même façon par les hommes, les femmes et les jeunes ?

Tout à fait. Chez nous, il y a beaucoup de facteurs socioculturels qui font que les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes chances. Cela, notamment en termes d'accès à la terre et à certains travaux. Ce qui fait que ce sont les femmes et les jeunes qui souffrent le plus du changement climatique. Les hommes ont la possibilité de se déplacer pour aller en exode. Les femmes sont obligées de rester sur place pour gérer la situation, le temps que le mari ne revienne. Vous comprenez que quand il n'y a rien à manger, elles sont beaucoup plus vulnérables. C'est une donnée qui est connue et dont tiennent compte tous les projets mis en œuvre dans ce cadre. Les femmes et les jeunes sont priorisés. Car ce sont les personnes les plus exposées aux conséquences du changement climatique.

 A cette 15ème conférence des parties sur la désertification qu'est-ce que vous êtes venu faire concrètement ?

Nous pouvons même dire que cette COP 15 sur la désertification est la COP du Niger. Comme nous l'avons signifié un peu plus haut, le Niger est un pays dont les 2/3 du territoire sont désertiques. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que nous sommes venu à cette conférence. Bien évidemment, nous sommes venu exposer nos préoccupations en termes de sécheresse et notre expérience dans la lutte. Notamment, les techniques de reboisement et de récupération des terre. Nous sommes venu également voir les expériences des autres pays qui peuvent être dupliquées chez nous. Cependant, il y a plus important. Le Niger a manifesté son intérêt d'accueillir la COP 17. Notre président était là au début des travaux. Il a rencontré le président de la Conférence à qui il a exprimé l'intérêt du Niger à accueillir la 17ème conférence qui aura probablement lieu en 2026, étant donné, que l'évènement est organisé tous les deux ans. On attend de voir comment les choses vont se passer.

En attendant le verdict, un rapport est dressé à la fin de cette COP15. Quelles sont vos attentes à ce niveau ?

Nous attendons beaucoup d'engagements formels. Nous avons assisté à d'autres conférences sur d'autres conventions. Le plus souvent ce sont des engagements théoriques que les pays notamment industrialisés prennent. Nous souhaitons que tous les engagements qui seront pris à cette COP 15, soient suivis d'effet. Que les financements qui ont été annoncés soient concrétisés pour que les pays touchés puissent mettre en œuvre leurs politiques. C'est donc un appel à l'action. Nous n'avons pas besoin de discours. Il faut aller à l'action, puisque la situation sur le terrain n'attend pas. Elle est même en train de se dégrader.

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