Ile Maurice: Amélia Lakrafi - "J'ai préféré l'efficacité à la visibilité"

Députée sortante de la 10ᵉ circonscription des Français établis hors de France, elle se représente aux élections prévues les 12 et 19 juin. Dans le cadre de sa campagne, elle était de passage à Maurice cette semaine. L'occasion de parler de son programme mais aussi de faire le bilan de son mandat écoulé...

Notre dernière rencontre remonte à 2017, quand vous faisiez vos premiers pas en politique active. Depuis, vous avez été élue et vous vous représentez aux législatives. Que s'est-il passé pendant ces cinq ans ?

Beaucoup de choses ! Je siégeais trois semaines par mois à la Commission des Affaires étrangères car c'est là que le travail concernant les Français vivant hors de France se fait avant d'arriver à l'Assemblée. Ces sessions étaient très utiles à mes compatriotes de 49 pays. Puis, je consacrais une semaine aux voyages. Je faisais deux à trois pays à chaque fois pour un contact direct avec les Français. Un peu moins pendant le Covid. À chaque déplacement, il y avait des réunions publiques ; ensuite, je m'entretenais à chaque fois avec 10 à 12 personnes individuellement pour prendre connaissance de leurs problèmes et y trouver des solutions.

Venons-en au concret. Quand je suis arrivée, les gens se plaignaient de grosses difficultés pour toucher leur retraite. Il faut envoyer un certificat de vie et, si la personne a travaillé dans plusieurs secteurs, elle devait envoyer le document à chaque caisse de retraite. Nous avons réussi à tout regrouper ; désormais, il suffit d'un seul envoi à une seule caisse. Ou encore les démarches d'état civil : tout a été dématérialisé pour éviter des déplacements au consulat. Vu de France, ces changements sont peut-être insignifiants, mais pour ceux vivant à l'étranger, c'est un soulagement.

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Mais il n'y a pas que du rose. Les Français de l'étranger ne peuvent plus avoir de résidence principale en France sans se faire imposer...

Cela changera très prochainement. Lorsqu'un Français établi hors de France a un bien dans son pays, il paye la taxe d'habitation car sa maison est considérée comme une résidence secondaire. Il y a eu cinq ans de négociations et nous avons réussi à avoir l'accord du président. Cela figurait d'ailleurs dans son programme électoral pour avoir un statut fiscal hybride entre la résidence principale et secondaire...

Avez-vous des dates ?

... Ce sera une résidence de repli. Je pense que ce sera mis en place en 2023. Maintenant que l'accord a été obtenu, il faut négocier avec le ministère des Finances pour connaître le montant de la détaxe. Dire qu'elle sera de 100 % serait une fausse promesse. Je demanderai 50 %. Mais le projet ne s'arrête pas là. Il y a aussi les aides aux rénovations. Dans le grand plan de transition écologique, il y a des aides pour isoler les maisons et appartements. Je trouve injuste que les Français de l'étranger n'y aient pas accès pour leurs biens en France. Imaginons un bloc de 10 appartements, dont un appartient à un expatrié. Pourquoi n'aurait-il pas les mêmes aides que ses voisins ?

Lors de notre dernière rencontre, vous aviez dit que l'éducation était l'une de vos priorités. Mais il y a eu une baisse du financement de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE)...

C'est plus complexe. En juin 2017, il y a eu effectivement une baisse de 33 millions d'euros. Cependant, il faut savoir que cette baisse était prévue dans le Budget de 2016, donc du précédent quinquennat. Mais fin 2017, nous avons réinjecté la même somme dans l'AEFE pour que les finances soient comme avant. Il est vrai que depuis longtemps, ce budget a eu tendance à baisser, mais nous l'avons sanctuarisé. Il n'y aura plus de surprises. D'ailleurs, je maintiens que l'éducation reste une priorité. Emmanuel Macron veut doubler les élèves dans les lycées français à l'étranger et, à cet effet, il y aura 1 000 nouveaux détachés de plus. C'est important pour le rayonnement de la France aussi. Pendant la pandémie, nous avons versé plus de 100 millions d'euros aux lycées pour qu'ils ne ferment pas.

Une autre doléance récurrente des Français de l'étranger est l'accès aux soins en France. Difficulté pour avoir la carte vitale, période d'attente de trois mois avant d'être éligible aux remboursements...

Un projet de loi est en préparation depuis quatre ans pour y remédier. Mais tout d'abord, laissez-moi vous expliquer quelque chose. Il est difficile de faire comprendre à l'opinion publique française qu'une personne qui n'a jamais travaillé, ni payé d'impôts en France puisse bénéficier du système de santé, surtout qu'il y a la fausse perception que les expatriés sont tous des nantis. Mais revenons au projet de loi. Elle concerne les personnes âgées, vulnérables ou atteintes de maladies lourdes ; elle sera prise en charge sans conditions. Quant à la période d'attente de trois mois, toutes les assurances ne la pratiquent pas, mais il m'est arrivé d'intervenir auprès de celles qui adhèrent à ce principe dans des cas urgents, un accouchement, par exemple. Puis, nous travaillons aussi pour que tous les Français de l'étranger aient un numéro de sécurité sociale.

Parlons maintenant des élections prochaines. En 2017, vous aviez été élue avec plus de 60 % des voix, mais il y avait aussi un très fort taux d'abstention. Vous avez pris des mesures pour le réduire ?

Absolument. J'ai communiqué massivement sur les réseaux sociaux. Puis, j'ai une newsletter que j'envoie à tous les Français enregistrés auprès des consulats. Pendant cinq ans, j'en ai envoyé une tous les mois. J'ai un taux d'ouverture de 30 %, ce qui est bien mais qui veut aussi dire que 70 % des Français de la circonscription ne savent pas ce qui se passe. Puis, vous savez, il y a aussi la perception que les élections législatives ne les concernent pas.

Or, il y a 1,6 million de Français enregistrés dans les consulats ; mais selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, il y en a environ 3,6 millions. Si la totalité de ces Français étaient enregistrés, vous imaginez ce qu'on aurait pu faire ? Nous aurions deux fois plus de moyens et d'argent. Plus les électeurs sont nombreux, plus nous aurons du poids. Et s'enregistrer ne veut pas dire adhérer à un parti ! Si aucun programme n'arrive à convaincre, il y a le vote blanc. L'important est d'être nombreux.

En plus de l'abstention, il y a aussi la montée de l'extrême droite à Maurice...

C'est inquiétant, mais pas tant que cela. Les personnes qui vont vers l'extrême droite ne sont pas forcément racistes. Ce choix peut aussi exprimer un ras-le bol. Emmanuel Macron était présenté comme un sauveur, et lorsque c'est le cas, il y a forcément des déçus. Il ne faut pas oublier qu'il y a eu aussi le Covid. Deux ans de pandémie, ça fait mal. Il y a eu des confinements, une récession. Cela m'agace d'entendre dire "Oui, mais le Covid a bon dos". Non, le Covid n'a pas bon dos, mais ce virus a fait basculer nos vies.

Quand on a tout perdu, qu'on a été confinés à répétition ; que la déprime s'installe, cela entraîne forcément une déception. Et juste avant la pandémie, il y a eu la crise des gilets jaunes. En gros, cela a fait trois ans de crise pour le président. Mais malgré tout cela, il ne faut pas oublier qu'il y a un bilan solide. La France est le pays avec le moins de fermeture d'entreprises pendant la crise sanitaire car nous les avons soutenues. Nous sommes aussi le pays qui a attiré le plus d'investissement étranger direct. Le chômage n'a pas été un sujet de la campagne de 2022 car il n'a jamais été aussi bas. Tout cela, ce sont les fruits des réformes entamées depuis 2017. On ne peut pas dire qu'on est déçu de tout.

La déception vient peut-être du choix des candidats pour le nouveau gouvernement ? On peut parler du cas Damien Abad ?

Je suis d'accord qu'un ministre doit avoir un casier judiciaire vierge. C'est le cas pour les chauffeurs de taxi et les infirmiers ; cela doit donc l'être pour les ministres et tous les élus, qu'ils soient députés, maires et autres. Dans le cas de Damien Abad, si les faits s'avèrent, ce sera dramatique et il faudra qu'il parte. Mais je ne le connais pas, et ce n'est pas au tribunal populaire de le juger ! Il y a la présomption d'innocence ; laissons la justice se prononcer. Je vous rappelle que même moi, j'ai été accusée d'être agent double, terroriste et islamiste.

Revenons à vous. Vous avez souvent été critiquée d'être une élue de la majorité et donc, vous votez toutes les lois, même celles qui vont à l'encontre des Français de l'étranger...

Je suis effectivement une députée de la majorité. Cela implique de tout faire pour que le programme pour lequel j'ai fait campagne devienne une réalité. Faire le contraire serait malhonnête. Je suis loyal envers le gouvernement et le programme. Mais il n'est pas vrai de dire que j'ai tout voté. Par exemple, le projet de loi visant à supprimer les lignes aériennes là où il existe des trains qui reliaient les lieux en trois ou quatre heures. Je pense à une famille qui a fait 10 heures d'avion de plus avec des enfants. Vous pensez qu'elle veut prolonger le trajet de quatre heures alors que l'avion prend une demi-heure ? J'ai été très critiquée par les écologistes, mais je n'ai jamais été contre l'écologie punitive. Je me suis abstenue quelquefois. Cela envoie un message particulier : je suis fidèle au gouvernement, mais pas d'accord sur un point précis.

Ensuite, mon travail se fait dans l'ombre, sous le radar. Je me suis battue et j'ai obtenu une garantie de 160 millions d'euros pour les entrepreneurs français à l'étranger. Mais c'est évidemment le ministre de l'Économie qui a porté l'amendement. L'amendement porte son nom et pas le mien ; car je me suis dit que si c'est lui qui le présente, il y a bien plus de chances qu'il passe. J'ai toujours travaillé comme ça. Mon nom ne figure pas sur les lois, mais cette méthode est bien plus efficace que d'avoir plein de propositions déposées, mais jamais votées. Je préfère l'efficacité aux key performance indicators et autres statistiques.

Le mot de la fin ?

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