Ile Maurice: Pride Month - Quand un acte d'amour consentant peut vous mener en prison

La dernière ligne droite a été franchie cette semaine pour les cinq contestataires de la constitutionnalité de l'article 250 du Code pénal condamnant la sodomie entre adultes consentants.

La peine pour ce délit est un emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans. Courir le risque de passer cinq ans de sa vie derrière les barreaux pour avoir aimé une personne, qui partage les mêmes sentiments, c'est aberrant. Bien que peu de personnes aient été poursuivies sous cet article d'un autre siècle, le fait qu'il soit présent dans le Code pénal constitue une épée de Damoclès sur la tête des homosexuels et des couples hétérosexuels pratiquant la sodomie d'un commun accord.

Les plaignants ayant déposé en Cour suprême en novembre 2021, les trois premiers jours de la semaine écoulée ont vu les soumissions de leurs avocats, soit Me Gavin Glover, Senior Counsel, pour Ridwan Ah Seek, lundi et mardi, qui est soutenu par le Collectif Arc-en-Ciel, et Mes Priscilla Balgobin et Emmanuel Lutchmun de Dentons (Mauritius) LLP, mercredi, pour Najeeb Ahmad Fokeerbux, Vipine Aubeeluck, Jürgen Soocramanien Lasavanne et un autre jeune, qui sont épaulés par la "Young Queer Alliance."

Ridwan Ah Seek sans fard

Avec son look d'adolescent branché, son verbe facile dans un français impeccable et ses bonnes manières, Ridwan Ah Seek est l'archétype du gendre rêvé. Or, il n'épousera jamais votre fille car il est homosexuel. Cet homme de 32 ans explique qu'on ne découvre pas son homosexualité un matin, au réveil. C'est un processus graduel. C'est d'abord une révélation diffuse qu'on a du mal à accepter vu que ce n'est pas la norme. On se cherche longuement et une fois que l'on s'est trouvé et que l'on s'est fait à l'idée qu'on est émotionnellement et sexuellement attiré par une personne du même sexe, il faut l'assumer. S'il respecte l'opinion d'autrui qu'il conçoit différente de la sienne, il n'a pas compris la contre-manifestation de la Marche des Fiertés en 2018, ni la violence dans les commentaires, qui se sont exprimés par la suite sur les réseaux sociaux. C'est ce qui l'a poussé à contester la constitutionnalité de l'article 250 du Code pénal.

%

A ses yeux, ce qui se passe dans une chambre relève de l'intimité et ne devrait pas être considéré illégal quand il y a amour, consentement et respect. Pour lui, il s'agit avant tout d'une question de droits humains. L'article 250 ne lui permet pas, à ce jour, d'être un citoyen à part entière de la République de Maurice. Voici Ridwan Ah Seek, plus connu comme Ryan, sans fard. Et aussi sans filtre.

Ridwan vient d'un milieu modeste. Sa mère, qui a longtemps travaillé comme machiniste, est de foi catholique et son père, un policier fraîchement retraité, suit l'islam. Il a une grande sœur. Il avoue avoir été toujours plus proche de sa mère que de son père. Il a fréquenté la Mohunlall Mohit Governement School à St Pierre et il a ensuite été scolarisé à l'Eden College de Rose-Hill. Vers l'âge de 12-13 ans, il réalise que ses copains sont attirés par les filles mais lui pas.

Il ne ressent rien mais ne se met pas martel en tête. Or, vers l'âge de 14-15 ans, les choses se précisent au fond de lui. Il se sent émotionnellement attiré par les garçons. "Cela m'a fait peur. Je me suis posé des tas de questions, me demandant ce qui m'arrivait et ce qui se passait en moi. Je trouvais les filles attirantes certes mais pas de la même façon que les garçons. J'éprouvais une attirance émotionnelle envers les garçons."

Il regardait, par exemple, les matchs de football à la télévision pas pour le sport mais pour certains joueurs qu'il trouvait mignons. Comme cette attirance persistait, il s'est dit que quelque chose n'allait pas chez lui mais ayant une certaine maturité, il s'est aussi dit qu'il allait se donner le temps de comprendre ses sentiments et émotions avant d'en parler. Et comme un de ses copains de classe était ouvertement gay, cela l'a indirectement rassuré. "Je me suis dit que peut-être que je n'étais pas seul."

Comme il n'est pas tout à fait sûr de son orientation sexuelle, il sort avec des filles. Ce ne sont des amourettes. Et si dans sa tête, il pense à passer à l'acte, il refuse "d'utiliser les filles comme cobaye pour savoir quelle est mon orientation sexuelle et ce que je veux." Le tumulte en lui est si fort qu'il se dit qu'il va vivre chaque relation au présent, sans se poser de question. Et puis, à cette époque, l'internet n'est pas si répandu qu'aujourd'hui et il n'y avait pas Facebook. "De nos jours, tu peux aller sur Google pour savoir ce qui se passe en toi, comprendre ce que tu ressens mais à l'époque, il n'y avait pas ça."

Certitude

Il est fixé vers l'âge de 17-18 ans. C'est à ce moment-là qu'il réalise qu'il est gay. Il a un premier copain qu'il voit en cachette. Comme il ne sort pas beaucoup à l'époque, Ridwan et son ami se voient le samedi après ses cours de First Aid. "On traînait dans Rose-Hill". Mais il n'y a aucun geste de tendresse en public entre eux. "Je suis libéral dans ma tête mais pudique dans mon comportement. Je n'allais pas gâcher un moment sympathique à deux par un geste qui aurait attiré des commentaires désobligeants." Cette relation est de courte durée.

Comme matières d'études en Form VI, il opte pour la comptabilité, les Business studies et le français. Il est studieux. Il a pas mal d'amis transgenres et la chose ne choque pas sa mère. A un moment, Ridwan a un gros coup de cœur pour un garçon avec qui il chatte. "Mes sentiments étaient très forts", si bien que lorsqu'il se fait larguer sept mois après, il est déprimé. Il noie son chagrin dans l'alcool et en rentrant à la maison, il avoue à sa maman qui voit bien que quelque chose ne va pas, qu'il est attiré par les garçons. "Même si cela lui a fait un petit choc, elle est restée calme et m'a dit qu'on en reparlerait le lendemain. Ce qui est bien c'est qu'elle ne m'a pas mise à la porte. Nous n'en n'avons pas vraiment reparlé le lendemain car pour elle, la vie privée d'une personne la regarde. Du moment que je suis heureux, c'est ce qui compte pour elle."

Le Collectif Arc-en-Ciel (CAEC) organise tous les deux mois des soirées pour personnes gay et la première fois qu'il y va, il a 19 ans. On est en 2009. "C'était l'unique soirée où les lesbiennes et les homosexuels se lâchaient. Et quand je dis 'lâchaient', cela ne veut pas dire des soirées débridées mais simplement des soirées où des personnes du même sexe pouvaient danser ensemble sans choquer quiconque. On pouvait y être soi-même dans la grande famille LGBTQIA+."

La même année, il obtient un emploi au sein d'une banque internationale où il travaille encore. En 12 ans, il a grimpé les échelons et est aujourd'hui Client Service Officer. C'est aussi en 2009 qu'il participe pour la première fois à la Marche des Fiertés à Rose-Hill. Et c'est non sans une certaine appréhension. "J'avais un peu peur du regard des autres car c'est une chose que de participer à des soirées gay en milieu fermé et une autre que de s'afficher publiquement dans les rues de Rose-Hill avec des personnes LGBTQIA+. Mais il y a chez moi un Natural Drive qui m'a fait me dire qu'il fallait que j'assume et je me suis super amusé. C'était en quelque sorte faire mon Coming out officiel."

Il s'achète un ordinateur et en 2010, il ouvre un compte Facebook. Il ignore encore à ce moment-là qu'en acceptant un Friend request d'un garçon que cela va déboucher sur une grande histoire d'amour. Leur première rencontre se fait autour d'un déjeuner. Ridwan, dont le retard est apparemment légendaire, arrive au restaurant trois heures après l'heure fixé du rendez-vous. Son ami l'a attendu. En sus de l'attirance physique et émotionnelle, ils se trouvent d'autres atomes crochus et entament une relation, qui va durer, tenez-vous bien, dix ans.

Le CAEC a beau essayer de le recruter comme membre mais lui veut rester bénévole. Il aide d'ailleurs en tant que tel lors de plusieurs activités et aussi pour les Marches des Fiertés. Il met deux ans avant de rejoindre cette association en tant que membre du conseil d'administration et vice-président d'abord puis comme président de l'association entre 2017 et 2018. Il vit bien son homosexualité, d'autant plus que sa maman et son entourage le soutiennent. Et même s'il n'affiche pas son homosexualité au travail car il est pour un compartimentage entre ses vies personnelle et professionnelle, sa direction soutient le mouvement LGBTQIA+.

Des regards autres

Mais depuis qu'il paraît souvent dans les médias au nom du CAEC, il note parfois des regards désobligeants à son égard. "Des tas d'hommes pensent qu'être gay, c'est juste sexuel et cela signifie que je suis un garçon facile. Pas du tout. Je suis humain comme n'importe quelle personne hétérosexuelle. Il ne faut pas m'enlever ma dimension humaine. Certains pensent qu'un homosexuel est attiré par tous les mecs. Ce n'est pas vrai. Un hétéro n'est pas attiré par toutes les femmes que je sache. C'est pareil pour moi. J'ai des goûts et des préférences. La part vraiment blessante chez les gens, c'est quand ils associent homosexualité avec perversité. Là encore, on me nie ma dimension humaine. Non, l'homosexualité n'est pas une mode non plus. Nous sommes nés homosexuels comme les autres sont nés hétérosexuels. Et nous avons droit à la même protection et aux mêmes libertés que n'importe quel citoyen, n'importe quel être humain. Surtout, le droit d'aimer."

C'est la contre-manifestation de la Marche des Fiertés à Port-Louis en 2018 et les commentaires subséquents sur les réseaux sociaux, qui vont faire son chemin dans sa tête et l'inciter finalement à contester la constitutionnalité de l'article 250 du Code pénal. "Cette Pride cancelled m'a fait très mal. Et j'ai eu encore plus mal quand j'ai vu les commentaires des gens, du genre 'bann cochons, bisin bril zot, pendi zot', 'bisin touy zot'. Au fur et à mesure que je lisais, j'étais choqué et je me refermais sur moi. Mais à un moment, j'ai arrêté de lire ces commentaires et je me suis dit qu'il fallait que je reprenne sur moi. Je me suis dit que si je respecte les opinions contraires, pourquoi ne respecte-t-on pas les miennes et pourquoi tant de violence ? J'ai réalisé qu'en tant que personne, j'en ai marre de vivre avec une menace sur ma tête et c'est là que j'ai décidé de contester la section 250 du Code pénal."

Son avocat, Me Gavin Glover, Senior Counsel, a logé l'affaire en octobre 2019 et Ridwan a témoigné en Cour suprême devant les juges en novembre 2021. "C'était dur de témoigner, d'avoir à étaler ma vie privée. J'avais des mixed feelings. J'avais autour de moi certaines personnes qui n'arrêtaient pas de me féliciter en me disant que j'allais entrer dans l'Histoire. Mais pour moi, entrer dans l'Histoire n'était pas important. C'était la cause qui importait, la menace qui pèse sur moi et les autres homosexuels, l'inégalité de traitement et la violation de nos droits humains fondamentaux. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que la relation anale est une des façons d'exprimer l'amour comme les hétéros expriment leur amour par la pénétration vaginale." Et puis, ajoute Ridwan, quand deux personnes s'aiment, ce qu'elles font relève de l'intime et "ce qui se passe dans une chambre ne concerne personne d'autre qu'elles. Cela ne devrait pas être considéré illégal quand c'est fait avec sentiment, consentement et respect. Nous avons droit à notre vie privée." Il a trouvé les juges de la Cour suprême qui entendent son cas "très à l'écoute". Mais il ne peut dire dans quel sens penchera la balance de la justice. "Nous savons que la bataille n'est pas terminée."

Aux homosexuels et aux personnes LGBTQIA+ qui ont du mal à s'assumer, il leur conseille d'avoir confiance en eux. "Il faut commencer par s'aimer soi-même et ne pas penser que l'on est une bête de foire et que l'on vit dans le péché. Il faut être honnête et franc envers soi. Et puis, si l'on veut faire avancer la cause, il faut s'y mettre main dans la main pour arriver un jour à changer les mentalités... "

Dans les soumissions légales mercredi : Les quatre plaignants disent que la section 250 du Code pénal affecte tous les aspects de leur vie

Ils sont quatre jeunes diplômés de moins de 35 ans - le plus jeune ayant 25 ans mais il en avait 23 au moment de sa comparution -, à avoir évoqué ouvertement leur homosexualité et bisexualité devant la Cour suprême.

C'était le 6 septembre 2019. Trois d'entre eux sont des fonctionnaires. Ce sont Najeeb Ahmad Fokeerbux, détenteur d'un Master in Business Administration avec spécialisation en administration publique obtenu avec distinction, Vipine Aubeeluck, détenteur d'une licence en microbiologie obtenue avec Honours et qui boucle son Master in Business Administration en spécialisation générale, Jürgen Soocramanien Lasavanne, détenteur d'une licence en sociologie obtenue avec Honours et qui complète son Master en Public Policy and Administration et un graphiste designer détenteur d'un diplôme en Art et Design, qui entame une spécialisation de niveau plus élevé en graphisme. Deux de ces jeunes sont en couple depuis maintenant sept ans.

Les quatre plaignants ont raconté aux juges de la Cour suprême comment la section 250 du Code pénal affecte tous les aspects de leurs vies en tant que personnes homosexuelles et bixesuelles car elles vivent dans un état permanent de peur et ont expliqué que cette section les empêche de vivre leur vie pleinement et de s'exprimer.

Citoyens de deuxième zone

Dans leur plainte réclamant une révision constitutionnelle, ils disent que la section 250 n'a pas sa place dans une île moderne et démocratique comme Maurice. Selon eux, les personnes LGBTQIA+ devraient bénéficier de la même protection dont jouissent les autres citoyens comme la protection contre la discrimination et qu'ils devraient jouir de la même liberté d'expression et du même droit à la vie privée que ces derniers.

Cette section 250, affirment-ils, est contraire aux valeurs démocratiques et traite les personnes LGBTQIA+ comme des citoyens de deuxième zone. Ensuite, ils estiment que le maintien de cette section dans le Code pénal n'est pas justifié quand l'acte concerne deux adultes consentants.

Les plaignants ont donc demandé aux juges de faire une déclaration selon laquelle l'orientation sexuelle fait bien partie de la définition "sexe" figurant dans les sections 3, 3(a) et 16 de la Constitution de Maurice, de statuer que la section 250 du Code pénal est anticonstitutionnelle et qu'autrement de déclarer que la section 250 du Code pénal ne s'applique pas aux actes consensuels de sodomie commis entre deux adultes consentants.

Leurs avocats, Mes Balgobin et Luchmun de chez Dentons (Mauritius) LLP, aidés par Me Sandy Bhaganooa de l'étude franco-mauricienne LCMB basée à Paris, ont déposé leurs soumissions devant les juges mercredi. Ces derniers devraient rendre leur jugement dans quelques mois.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.