Cameroun: Pettite tournée dans la ville de Bafia par l'écrivain Calvin Djouary

Le Cameroun est un pays de vieilles villes, chaque département possède sa cité coloniale. Ce qui attire l'esprit dans ces agglomérations, c'est leur nombre et leur variété ; on pourrait écrire pour chacune de ces villes une histoire politique, économique, amoureuse, ecclésiastique, et quelque fois littéraire. Mais toutes ces villes ne sont pas des villes qu'on regrette quand on sort de leur espace, parce que la splendeur qui les rendait monumentales s'est évanouie avec le temps.

C'est le cas de la ville de Bafia. Une ville large comme un stade de rugby. L'origine du nom a une résonnance insolite : un chasseur retournant de la chasse est interpellé pour désigner le lieu, pensant qu'on lui demande son nom, il prononce une onomatopée où le son " Bofia " résonne dans les oreilles du colon. Ce dernier transcrira en Bafia, plus retentissant et plus mélodique. La ville de Bafia était née ce jour-là dans la bouche d'un chasseur rentré bredouille.

Je suis arrivé pour la première à Bafia en 1974 pour des congés de Noël, j'étais au jardin d'enfants. Il n'y avait presque pas d'électricité. Deux ans plus tard, j'y suis retourné presqu'ébloui, je dirai même fasciné par le décor qu'elle avait pris. Il y avait la lumière partout, des boulangeries étaient alignés, des cafés dorés, des routes goudronnées, les bureaux administratifs entourés de parcelle verte, le lycée était classique, sur le plan sportif, Bafia club avait une réputation des tombeurs des grands et ce jour-là, l'équipe chérie de la ville avait battu aigle de Nkongsamba, ville en direction de laquelle j'étais en partance. Dans les années 80, la ville va sombrer, je dirai même s'agoniser comme une tortue, animal redouté de tous les MBamois.

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La ville sera abandonnée, et l'administration ne viendra chercher que les jeunes capables de faire l'armée ou la police, car les Mbamois, dodus comme ils le sont souvent, ont été les bras séculiers de l'armée de métier. La ville a été envahie par les ruches d'abeille, et nids d'hirondelle, certains endroits par les herbes ou la poussière boueuse. L'admiration sans borne que j'avais pour cette ville de Bafia et ses trésors d'espérances avaient disparu. Bafia s'était endormie dans un sommeil de coma. Partout il y avait des souffrances, des misères, les maisons vétustes, on aurait dit des anciens champs de bataille.

Une plongée dans le temps ; pour un scientifique aujourd'hui, s'installer dans un endroit comme celui-là est un suicide scientifique. Comment un tel patrimoine n'est pu être conservé. Quand tu demandes à un autochtone pourquoi Bafia n'évolue pas ? Il rit et te demande allons au centre, c'est pour prendre un coup. La cathédrale qui était le joyau architectural est longtemps restée comme une vieille grand-mère fatiguée de porter son fagot de bois. Pourtant, quand nous étions petits, il n'y avait pas un endroit comme la cathédrale. Elle était une débauche de mosaïque dorée. On se retrouvait pour un soleil plus doux ; toute la ville y assistait à la messe. Le dimanche à la sortie de l'église c'était l'effervescence. C'était un plaisir de venir voir monseigneur. La fatalité viendra même s'ajouter à ce malheur de la ville en frappant notre cher Monseigneur.

Non loin de là, au milieu d'une prairie s'élève le stade municipal. Dans le temps, ce stade avait une colline. Pour marquer un but, l'attaquant devait la contourner avant d'apercevoir le dernier défenseur ; il choisissait alors le bosquet pour appliquer son tir qui pouvait détruire les poteaux en bois de l'époque. Le gardien de Bafia club à l'époque était de petite taille, 1m58 environ, mais il avait des envolées et plongeons qui émerveillaient, toujours quand le ballon était déjà passé.

C'est sur ce stade que j'ai vu pour la première fois aigle de Nkongsamba évoluer contre Bafia club qui l'avait gagné par un but à zéro. La plupart des joueurs de ce club avaient des gris-gris à l'intérieur des chaussettes. Le gardien entouré les siens au tour des reins. Le public y participait dans cette imagerie populaire, mais c'est aussi cette année-là qu'ils vont descendre en deuxième division pour ne plus jamais remonter. Il fallait parler Bafia pour jouer dans Bafia Club ; c'est pourquoi les meilleurs joueurs Vuté comme Benjamin Mée et Daniel Niwané n'ont jamais été recrutés alors qu'ils étaient les meilleurs dans tout le Mbam dans les années 70. On dirait que le malheur de la ville est arrivé avec la descente de leur club fétiche, depuis ce temps, la ville est comme descendue aux enfers. Cette contrée a pourtant formé les plus grands intellectuels de notre pays.

Au centre administratif la grosse statue du lion symbole de l'honneur cher à tous les Bafia, absorbe petit à petit ses propres dents ; sa langue rouge visible de loin sourit comme cet animal qui se moque du chasseur qui l'a raté. Rien dans la ville ne rappelle l'apanage souvenir, le gothique flamboyant dont la terre Mbamoise s'essayait. Le petit stade des minimes où se jouaient les championnats de vacances, est le dépotoir des passants dans la nuit. L'école normale abandonnée dans les forêts du quartier Ndengué est le petit coin des amoureux perdus.

Le grand quartier du plateau toujours couvert de rouge réapparaît, pendant que Laplée est demeurée le coin des joueurs de damiers ; assis sur un banc à longueur de journée, ces paysans prennent le Matango en parlant des exploits de Thomas Nkono. L'idole de tous les Mbamois. Le grand baobab du quartier Godon terrassé depuis le passage du goudron était le lieu des retrouvailles de l'enfance joyeuse. Ce grand arbre était comme le gardien et l'excellent monument qui donnait du vent et de la paix à tout le quartier. La mairie majestueuse, donne le ton de ce que la ville rêve d'être avec cette montée de colline si harassante. On arrive dans les bureaux en sueurs. Mais depuis quelques années, la vieille ville s'est relevée.

Au long des ruelles, s'étalent les échoppes et les logements splendides. Il a fallu du temps pour voir la nouvelle équipe dirigeante de la ville revoir les beaux jours pour la sortir de sa torpeur et goûter le charme de ses jardins où fleurissent les fleurs multicolores, éloignant les époques mélancoliques de ses vergers abandonnés. Le lycée classique autrefois vénéré, créé par une élite de classe exceptionnelle n'est pas encore tombée, mais il est difficile de s'imaginer ce que ce lycée était il y a 40 ans ; une fois les portails franchis, l'atmosphère est irréelle, elle affiche des chiffres records d'amertume dans les regards des enseignants et des élèves.

Le grand marché qui servait de gare routière revit son effervescence d'antan. Le promeneur est frappé par la richesse et la pureté des styles de vie qui reprend merveilleusement. Les taxis ont repris vie dans la ville, et le soir la fête dans les bars. Aux alentours de certains quartiers, on compte de nombreux cimetières de voitures, des douzaines de carcasses plus imposantes. Elles sont entassées à perte de vue. La nuit, le centre-ville est mouvementé, mais dans les quartiers c'est le silence ; seuls quelques aboiements pas si lointains indiquent qu'on n'est pas seul.

Cette charmante cité, qui a pourtant une puissante vue du ciel:

s'inscrit dans la grande aventure des échanges marchands qui se nouent et qui concentrent une civilisation métissée composée des personnes venues de Donenkeng I.Egona I.Goufan I.Goufan II.Ngomo.Nyambaye. Omeng. Taro. Hauts lieux légendaires de la débrouillardise, poumon de l'économie populaire, espace historique et culturel très prisé par les riverains, ces petits villages se sont vidés en un clin d'œil au fil des années pour les grandes villes à la recherche d'un travail hypothétique.

Le quartier Dengue, le carrefour où le célèbre maître Zimbo, venait s'extasier est désert ; ces artères autrefois grouillant de monde dès les premières heures de la journée, jusqu'à la nuit tombante se retrouvent aujourd'hui vidées de toute présence humaine avant même le crépuscule. Ce carrefour, qui mène jusqu'au centre administratif, était le champ Élysée du Cameroun.

Les services de la voirie très rares, ignorent complètement ces espaces situés à un jet de pierre de l'hôpital. Il ne reste que ces herbes nauséabondes que propagent des cadavres des rats. Les détritus mêlés aux alluvions drainées par les pluies qui s'éternisent tellement sur la chaussée que des plantes sauvages, de la mauvaise herbe arrivent à pousser à l'asphalte. A peine Bafia se relève qu'elle veut retomber dans sa maladie d'antan.

Mais pour être honnête, elle n'est plongée dans un état critique comme celui des années 90. Cette ville, est bien partie pour être la quatrième ville du Cameroun à cause de sa géographie et son espace luxuriant. Le retour des voitures jaunes rappelle les projets florissants de la cité.

C'est pourquoi nous dirons que Bafia avance, ce n'est plus une ville au cœur de l'impasse ; quand on y arrive, on comprend qu'il y a un espoir de changement ; on est vraiment impressionné par la volonté de bien faire, c'est une ville qui a repris ses chansons, elle travaille, elle gonfle, elle s'enfle, elle danse sa danse Bafia et grâce à Mbam'art, elle a retouché son ciel flamboyant.

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