Ile Maurice: Le Budget, soupape sociale

Sur la forme et sur le fond, le ministre des Finances sera suivi de près cet après-midi. Comment va-t-il jongler avec le Consolidated Fund et le Capital Fund afin de réconcilier les revendications citoyennes, tout en respectant les consignes des institutions internationales, qui sont inquiètes par notre trajectoire économique ?

En juin 2020, quelques mois après le début de la crise sanitaire, l'express écrivait ceci pour le premier Budget de Renganaden Padayachy :"Que son discours du Budget soit en français ou en anglais, ce n'est pas cela qui compte. Ce qui importe, c'est que ses mesures, en ce temps de crise, parviennent à redonner du peps à l'économie et confiance aux investisseurs et partenaires sociaux.

Les temps et les lois ont changé durant ces dernières semaines : avec le coronavirus qui a plongé le monde entier dans un chaos inimaginable et inimaginé et la manne financière (de Rs 158 milliards) provenant de la Banque de Maurice, le ministre des Finances peut se permettre des mesures fortes et innovantes afin de relancer les secteurs du tourisme, des services financiers et de la construction, tout en favorisant l'émergence du développement durable, des énergies renouvelables, de l'économie bleue et de l'agriculture raisonnée. Le tout dans une double stratégie nationale de relance et d'adaptation au changement climatique, l'autre enjeu occulté, ces temps derniers, par leBlack Swan qu'est le Covid-19."

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Mais, depuis, la situation économique s'est corsée.

À la crise sanitaire - qui a provoqué une contraction inédite de 15,2 % en 2020 par rapport à 2019 - est venue se greffer la guerre en Ukraine, qui provoque une augmentation des prix des denrées de base sur le marché mondial

Pandémie et guerre, deux mots que nous entendrons souvent aujourd'hui lors du troisième Grand oral de Padayachy. Certes, les deux facteurs exogènes pèsent lourd dans la balance nationale, mais on ne devrait pas pour autant oublier nos gaspillages et pillages de l'argent public, comme révélés de manière répétée par la presse, le Bureau de l'Audit et le Public Accounts Committee (au sein duquel siègent des élus de la majorité). La vérité, c'est que l'économie donnait des signes d'essoufflement depuis 2015 au moins, en termes d'endettement en hausse, de croissance en baisse et de balance commerciale problématique.

Padayachy a essayé de masquer le tableau en appelant son ami Seegolam à la rescousse. Résultat des ponctions gouvernementales : la Banque centrale dépend largement d'une roupie dévaluée pour générer des surplus et des réserves, quitte à doper l'inflation. Et quand la roupie s'apprécie, c'est le bilan financier de la Banque centrale qu'il faut alors... masquer ! Fait notable : depuis 2014, la roupie s'est dépréciée de 40 % vis-à-vis du dollar.Cela pèse lourd dans le panier du consommateur d'un pays qui ne produit pas grand-chose, même pas des bicyclettes.

Outre l'économie, et ses indicateurs macroéconomiques (dette publique, déficit budgétaire, balance commerciale), l'exercice de cet après-midi devrait surtout se focaliser sur les liens sociétaux, afin de soulager la tension du contexte social - avec une aide ciblée aux plus démunis qui sont durement frappés par une inflation à deux chiffres. Avec les récentes hausses successives des prix de certains produits de première nécessité, la hausse des tickets d'autobus et la majoration des prix des carburants et des médicaments, et bientôt de la facture du CEB, on constate un appauvrisse- ment certain de la population sur le terrain.

C'est pour cela qu'on s'attend à un ciblage à visage humain : lancer une vraie Solidarity Tax,réserver la pension universelle à ceux qui sont vraiment dans le besoin, protéger l'emploi (au lieu de tenter de préserver tous les emplois) tout en boostant la productivité, et créer de nouveaux piliers économiques, s'armer contre le changement climatique en réduisant nos importations de produits pétroliers. La proposition d'Anthony Leung Shing d'augmenter la TVA sur les voitures et bijoux de luxe est intéressante car elle permet, en sus d'augmenter les revenus de l'État, de réduire les inégalités entre ceux qui s'enrichissent et ceux qui s'appauvrissent.

Dans le ciel mauricien, il y a quand même une embellie sur le plan touristique. Même si on n'est pas sûr d'atteindre le million de touristes en 2022, les arrivées en hausse ap- portent des devises et remontent le moral.

Dans quelques heures, l'on verra si Padayachy peut passer des théories internationales aux réalités mauriciennes, en construisant des ponts pour une nation solidaire et solide. Le Budget 2022-2023 sera forcément social (pour éviter la crise qui couve dans la rue - peut-être que Maurice va suivre la Grande péninsule en baissant elle aussi les prix des produits pétroliers) et politique, car les prochaines élections peuvent intervenir n'importe quand, entre maintenant et 2024, surtout si le pouvoir veut éviter une raclée dans les villes...

PS :L'économie étant à genoux et la colère citoyenne à son paroxysme, grandement à cause de l'immobilisme du gouvernement face aux cas de torture policière qui remontent à la surface, il faut impérativement réduire les dépenses publiques afin de contenir le déficit budgétaire et la dette publique. Voici, à nouveau, huit principales coupes budgétaires afin que le gouvernement réajuste son train de vie princier :

1) Réduire de moitié le nombre de ministres et diminuer drastiquement le nombre de conseillers dans les ministères. Il faudrait aussi troquer les limousines des ministres qui car- burent aux énergies fossiles contre de petites voitures hybrides, respectueuses du changement climatique et de son impact sur un petit État insulaire comme Maurice.

2) Éliminer tous les organismes parapublics où l'on case des candidats battus ou petits mignons/petites copines du régime au pouvoir. On a suffisamment de fonctionnaires, qui sont d'ailleurs plus compétents que les apparatchiks des partis, pour faire le boulot.

3) En finir avec les grasses pensions à vie des anciens présidents, vice-présidents, PM, ministres, députés. Il y en a qui touchent concomitamment une pension de vieillesse avec leurs pensions diverses.

4) Couper tous les fees des hauts fonctionnaires ou advisers qui vont chauffer les boards des compagnies étatiques et paraétatiques. Certains protégés du système siègent sur plus de neuf conseils d'administration tout en cumulant leurs responsabilités au sein de leur ministère respectif.

5) Intégrer les doublons genre MBC et Government Information Service ou IBA et ICTA afin de réduire le personnel pléthorique et les dépenses salariales et fringe benefits.

6) Stopper les subventions aux socioculturels. Ces regroupements ethniques empêchent l'émergence du mauricianisme et bouffent l'argent de tous les contribuables, y compris ceux qui ne se sentent pas concernés par les associations socioculturelles.

7) Introduire la taxe rurale afin que villes et villages soient sur un pied d'égalité fiscale. Cette mesure, qui remettra la NRPT au goût du jour, fera rentrer des sous dans les caisses vides du gouvernement, même si elle risque de froisser la hindu belt.

8) Continuer à échanger via Zoom, WhatsApp et Skype et renoncer aux voyages officiels, qui sont coûteux. Depuis le premier lockdown, c'est un fait : toutes les réunions ou conférences peuvent être suivies à distance. On ne risque pas de choper un variant ou la variole du singe. Mais on économisera énormément en billets d'avion et surtout en PER DIEM !

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