Pour l’ambassadrice d’Afrique du Sud auprès des Nations unies, « notre destin est étroitement lié à la santé de l’océan »
L’Afrique du Sud est connue dans le monde entier pour ses espèces terrestres emblématiques que sont les éléphants, les girafes ou encore les lions. Le pays compte plus de 290 parcs de conservation et abrite près de 300 espèces de mammifères, environ 860 espèces d’oiseaux et 8 000 espèces de plantes.
Ses eaux recèlent une vie foisonnante, du grand requin blanc à l’hémichordé, un invertébré ressemblant à un ver que l’on ne trouve que dans les eaux sud-africaines et qui pourrait changer la donne dans la lutte contre le cancer. L’Afrique du Sud dispose de l’une des plus grandes zones économiques exclusives au monde, dans laquelle vivent environ 15 % des espèces marines du monde. C’est aussi dans ses eaux que se déroule la plus grande migration annuelle de la planète, la course annuelle des sardines (sardine run).
L’Ambassadrice Mathu Joyini, la première femme à occuper le poste d’ambassadrice et de représentante permanente de l’Afrique du Sud auprès des Nations unies, se bat pour que la science et l’équité restent au cœur du traité international des Nations Unies sur la haute mer, dont les négociations arriveront bientôt à terme.
Cette interview a été éditée pour plus de clarté et de concision.
Q : L’Afrique du Sud est entourée par trois océans : l’océan Atlantique Sud, l’océan Indien et l’océan Austral. Comment cela a façonné vos opinions personnelles et votre interaction avec l’océan ?
R : J’ai grandi dans un village en Afrique du Sud loin de la côte, donc l’océan était un mystère pour nous. J’y pensais comme un endroit où on va pour s’amuser, un endroit où l’on va juste pour s’émerveiller. Par chance, mes parents ont rapidement décidé de nous emmener en voyage à Durban, je devais avoir à peu près six ans à l’époque. Pour une fille venant d’un petit village, l’excitation d’aller voir l’océan pour la première fois et de réaliser à quel point il était vaste a fait de ce voyage un moment mémorable. C’était tellement bien que mes parents ont prévu un autre voyage au Cap l’année suivante, pour que nous puissions de nouveau voir l’océan. Avec un littoral de 3 000 kilomètres, j’ai vite réalisé à quel point l’océan est important pour notre existence et les différentes façons dont il contribue à l’économie et à la prospérité de l’Afrique du Sud.
Q : L’Afrique du Sud a été le premier pays d’Afrique à célébrer la Journée des aires marines protégées (AMP), le 1er août dernier. Cet événement vise à sensibiliser le public à l’importance des AMP dans la protection des communautés côtières, dont la survie dépend de la prospérité des océans. Pourquoi pensez-vous que cela est important ?
R : L’Afrique du Sud, en particulier notre législation nationale et nos institutions de recherche, a une longue tradition de protection et de respect de l’environnement. C’est notamment le cas des océans et des forêts, mais aussi des paysages autochtones. Et nous travaillons dur - et avons eu beaucoup de succès - pour nous assurer que la science éclaire les politiques environnementales, car notre santé et notre avenir en dépendent. Ainsi, sachant que le destin de l’Afrique du Sud, et du reste du monde, est étroitement lié à la santé de notre océan, nous avons célébré la journée des AMP en août dernier. Il était essentiel pour nous d’expliquer au monde entier qu’il est possible de protéger l’océan pour qu’il nous protège lui aussi, et que les AMP constituent un des meilleurs moyens d’y parvenir.
Plus important encore, ce qui se passe en haute mer a un impact sur nos pêcheurs et pêcheuses. Ces communautés ont déjà perçu une raréfaction de la vie marine fournie par l’océan. Et nous avons la chance d’avoir encore, par exemple, le sardine run qui est une merveille de la nature. Il se reproduit tous les ans, et nous l’attendons avec impatience.
Mais rien n’est acquis, et nous faisons déjà face à de grandes difficultés. Il suffit de regarder ce qui se passe le long du littoral de Durban pour comprendre que nous devons adhérer à certains principes et mettre en œuvre les politiques mises en place. Sinon, les ressources naturelles et les moyens de subsistance des communautés côtières seront en danger. J’imagine que pour la majeure partie du continent africain, si l’on observe et écoute avec attention, on voit les menaces pour nos côtes et la vie marine.
Q : Nous nous trouvons à un moment charnière des négociations sur l’accord visant à protéger la biodiversité dans les eaux au-delà de la juridiction nationale, la partie de l’océan qui se trouve en dehors de la juridiction d’un pays, également connue sous le nom de haute mer. En fait, le dernier cycle de négociations pour un traité sur la haute mer - qui protégerait la biodiversité marine dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale, également connu sous l’abréviation BBNJ - devrait avoir lieu cette année. Pour vous, quels sont les enjeux des négociations à venir ?
R : La plupart des gens s’accordent à dire que la régulation de l’océan doit être basée sur des connaissances solides, acquises par des méthodes scientifiques et approuvées par un examen par les pairs avant publication. On observe toutefois une multiplication des appels à prendre en compte les données issues d’autres sources, notamment les connaissances traditionnelles des peuples autochtones et communautés locales (IPLC), ainsi que les connaissances locales des praticiens, de la société civile et du secteur privé. C’est là un point important des négociations. Mais il y en a d’autres.
Par exemple, il est nécessaire d’élaborer un cadre plus robuste de développement et de mise en œuvre des évaluations de l’impact environnemental (EIA) dans les zones ne relevant d’aucune juridiction nationale et de créer un processus clair pour ces évaluations, qui prenne en compte le changement climatique et les impacts cumulatifs.En outre, des réglementations régissant l’accès aux ressources génétiques marines (MGR) sont nécessaires pour les zones situées au-delà de la juridiction nationale, ainsi que le partage des bénéfices résultant de leur utilisation, en particulier lorsqu’il s’agit de développer de nouveaux médicaments, par exemple. Nous ignorons la valeur économique de ces ressources génétiques, mais il y a déjà eu des discussions nourries sur le déséquilibre entre pays développés et en développement concernant la recherche marine et l’utilisation des ressources génétiques marines pour le développement de produits.
Q : Vous avez évoqué le rôle des connaissances traditionnelles des peuples autochtones et des communautés locales dans la mise en place d’un cadre de gouvernance mondiale pour la protection de la haute mer. Pourquoi est-ce important?
R : La science est importante, mais la technologie l’est aussi, car elle est un catalyseur et nous aide à accomplir beaucoup de choses. Pour autant, en fin de compte, même avec la technologie, ce qui compte le plus, ce sont les personnes. Ces personnes englobent nos peuples autochtones et locaux qui vivent dans les zones côtières depuis des années et connaissent ces régions dans leurs moindres détails. Ces communautés ont établi des relations séculaires et profondes avec la nature, et veillent à ce qu’elle continue de prospérer pour les générations à venir. Il est donc vital de trouver des moyens créatifs de fusionner la science avec ces systèmes de connaissances qui fonctionnent depuis des siècles.
Q : Vous êtes la première femme sud-africaine ambassadrice auprès des Nations Unies et défendez l’équité tout au long de votre carrière. Quel rôle joue cette valeur dans les négociations ?
R : Il est majeur. Pour que ce traité soit mis en place efficacement, nous devons nous pencher sur la question du financement et des ressources. Du point de vue de l’Afrique du Sud et du Groupe africain des Nations unies, l’accès équitable aux ressources génétiques marines doit rester un point central des négociations. Actuellement, la plupart des pays en développement ne sont pas en mesure d’accéder à ces ressources en raison d’un manque de moyens financiers ou de capacités techniques.
Pour remédier à ce déséquilibre, le Groupe Afrique propose un processus et une structure pour garantir que la mise en œuvre tienne compte de l’équité lorsqu’il s’agit d’accéder aux RGM, mais aussi pour le partage des avantages, en particulier lorsqu’il s’agit des pays les plus développés.
Nous croyons fermement que ce mécanisme devrait être soutenu et jouera un rôle déterminant pour garantir que les nations africaines et les autres pays en développement soient en mesure de participer pleinement à la mise en œuvre du nouveau traité sur la haute mer.
Q : D’autres sujets importants pour votre pays et la région africaine doivent-ils encore être traités au cours des négociations ?
R : Premièrement, il est important que nous mettions à disposition des informations sur le processus BBNJ, y compris des moyens de garantir que les délégués puissent clairement comprendre les enjeux étant donné la nature hautement technique des négociations. Dans un deuxième temps, je crois fermement qu’il y a une opportunité pour nous de prendre du recul et de mieux appréhender les catégories de besoins des pays en développement, qui doivent être pris en compte pour s’assurer de leur pleine participation aux négociations. Enfin, le financement est essentiel pour s’assurer que les pays en développement se dotent des capacités nécessaires à une mise en œuvre efficace de l’accord.