Sénégal: La danse au Sénégal, quelle identité ?

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La communauté internationale a célébré la danse le 29 avril 2022, la direction du Grand Théâtre National Doudou Ndiaye Coumba Rose du Sénégal n'a pas voulu être en reste et a tenu à magnifier la discipline dans sa double dimension théorique et pratique. L'occasion m'a été ainsi offerte de participer à un panel dont le thème était : La danse au Sénégal : quelle identité ? Pour avoir échangé avec les danseurs et observé l'évolution de la discipline, la réflexion qui va suivre va porter sur les valeurs que véhiculent les danses.

En tant qu'élément identitaire et une des plus grandes composantes du patrimoine culturel africain on pourrait se demander quelles sont ces valeurs ? Commençons par préciser ce qu'est la danse en citant le chorégraphe ivoirien Alphonse Tierou auteur de plusieurs ouvrages sur la danse africaine : " Les Africains écrit-il ont une culture de la danse. Tout leur univers est imprégné de danse. Tout leur environnement déborde de rythmes. En Afrique, la danse occupe de multiples fonctions. Elle est prière, séduction, passion, thérapie et divertissement. Elle se déroule partout " fin de citation.

D'après cette définition l'auteur est sensible à la danse et au fait qu'elle traverse la vie de l'africain, elle peut compléter le point de vue de Senghor qui lui montre le caractère sacré. La danse selon lui, c'est un rituel pour entrer en relation avec l'invisible et même pour créer le visible.

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Et des danseurs Senghor dit " la danse est pour le negro africain le moyen le plus naturel d'exprimer une idée, une émotion ... . " ainsi la danse en tant que langage symbolique le plus complet nous révèle notre identité d'homme , mais encore notre identité d'homme dans sa relation à l'autre dans la communion.

Au Sénégal comme partout en Afrique elle accompagne toutes nos cérémonies et dans sa diversité ; chaque ethnie a ses danses enracinées dans le terroir avec leur identité propre. Nous pouvons citer parmi tant d'autres la danse Pitam et Mblim chez les sérères, le Sabar chez les Wolof, la danse Wango chez les Hal pular, le Diambadong et le King-Dong chez les Mandingues. Toutes ces danses du terroir forment le lot de danses traditionnelles, ancestrales ou danses sacrées dont l'origine remonte loin dans le temps.

Dès leur accession à l'indépendance nombre de pays d'Afrique ont créé des Ballets pour montrer, diffuser et valoriser ces danses qui sont l'expression de notre identité. Le chorégraphe guinéen Keita Fodeba a été le créateur des 1ers ballets en 1958 avec la particularité à mettre en scène nos danses.

Il leur a donné le nom de Ballet africain. Selon la coutume, ces danses se déroulaient sur la place du village et le public était en cercle autour de l'espace de danse participant à la danse en communion avec les musiciens et les danseurs. Ce changement d'espace par rapport à la tradition a soulevé des critiques virulentes des européens à l'époque.

Ces derniers étaient imprégnés de l'esprit des expositions coloniales organisées en Europe à la fin du 19eme et début du 20eme siècle et reposant sur une idéologie colonialiste et raciste à partir desquelles le stéréotype et le préjugé " le noir a le rythme dans le sang " a été largement diffusé à travers l'Europe.

Dans un article intitule " La danse africaine et la scène " Keita Fodeba en réponse à cette critique a défendu vigoureusement l'authenticité de nos danses qui ne relevaient pas du folklore ni de l'exotisme et posait aussi le problème de l'identité.

A les considérer de plus près, ce qui caractérise ces danses traditionnelles, c'est leur proximité aux sources de notre patrimoine. Elles servent aujourd'hui encore d'inspiration à tous les danseurs qu'ils soient danseur traditionnel, danseur contemporain ou adepte des danses urbaines, d'où la richesse et la vitalité de nos danses.

Ces danses existent et sont menacées de disparaitre si on ne les conserve pas ou si on s'y intéresse pas et en cela on rejoint la préoccupation de André Malraux qui lors du festival mondial des arts negres en 1966 disait : " L'Afrique a changé la danse dans le monde. Mais elle a possédé un autre domaine de danse, sa danse séculaire ou sacrée. Elle est en train de mourir, et il appartient aux gouvernants africain de la sauver,,,,, "

Le festival mondial des arts negres organisé à Dakar en 1966 a été l'occasion de montrer la richesse et la variété de nos danses traditionnelles, par la présence de troupe de danses d'une cinquantaine pays d'Afrique noire, du Maghreb, de la RAU actuelle Egypte, des caraïbes, du Brésil, et de la Modern Dance des Etats unis à travers la prestation de " American negro dance company " de New York.

Nous constatons aujourd'hui au Sénégal une passion, un engouement pour la danse qui me semble être le résultat de notre politique culturelle. Celle-ci repose sur les deux piliers qui sont l'enracinement dans nos valeurs et l'ouverture aux autres ; c'est ce qui illustre l'identité culturelle qui est à la fois affirmation de soi et ouverture à l'autre et à l'universel. Cette relation intrinsèque à l'autre permet d'éviter le repli, l'enfermement sur soi, et la dilution dans l'universel ce que présente Aimé Césaire comme deux façons de se perdre.

Pour illustrer ce binôme de la politique culturelle j'ai choisi de citer le projet de Senghor qui a créé Mudra Afrique avec Maurice Béjart en confiant la direction à Germaine Acogny. Cette institution avait pour mission de créer de nouveaux pas de danse, une danse negro africaine inspirée de nos valeurs tout en s'ouvrant à la modernité. Cette nouvelle gestuelle permet d'exprimer par la danse tout ce que nous ressentons par le rythme et l'émotion. Le rythme qui engendre de l'émotion. Ce couple caractéristique de la danse africaine proprement dite, que Senghor définit par le parallélisme asymétrique.

Quelles sont les valeurs qui caractérisent nos danses ?

C'est avant tout le sens de la vie. Vivre c'est créer. C'est aussi le sens de l'humain : sensibilité, affectivité, sensualité. Senghor disait : " En Afrique noire on ne danse pas pour se livrer à des prouesses physiques, mais pour signifier quelque chose. Quand je suis allé annoncer à ma mère que j'avais été reçu au baccalauréat, elle ne m'a pas embrassé, elle n'a rien dit ; elle s'est mise à danser... "

C'est également la spiritualité, car la danse à ses origines est en relation avec l'absolu, la transcendance d'où l'affirmation de soi, l'ouverture à l'autre. Toutes ces valeurs forment le patrimoine qu'il est indispensable de connaitre et sont aussi importantes les unes que les autres pour marquer et préserver l'identité de nos pratiques dansées.

Dans un contexte de mondialisation ou la valeur marchande de la culture repose sur le modèle américain ayant tendance à s'imposer à tous au mépris des cultures particulières, les valeurs que véhiculent nos danses africaines constituent un véritable antidote, contre une mondialisation qui ignore l'humain. Elles méritent notre attention, méritent d'être conservées pour être proposées aux autres.

Ces valeurs sont aussi valables pour les autres formes de danse que sont la danse contemporaine et les danses urbaines dont les adeptes s'inspirent des danses traditionnelles pour enrichir l'expression de leur technique, et créer de nouveaux gestes de danse. Nous pouvons faire le constat que depuis que ces danseurs sénégalais et africains se sont rapprochés des sources et de la tradition ils ont connu un succès dans les différents Battle.

Cette marque identitaire de nos danses a donné des résultats à travers le monde nous en avons pour preuve le succès de notre Ballet national La Linguère depuis les années 60 à nos jours et de celle qui fut sa " sœur " La Sira Badral tout en lui servant aussi de vivier. La consécration de Germaine Acogny directrice de l'Ecole des Sables a qui " le lion d'or de la danse 2021 de Venise " a été décerné. Il y a également les différentes participations de nos danseurs de Hip hop dans les Battle internationaux auréolés de succès.

Parmi eux, celle qui se distingue, j'aimerai citer Khoudia Touré danseuse chorégraphe auto entrepreneuse et Co fondatrice du projet de formation en danses urbaines Sunu Street ; elle a remporté des prix dans plusieurs compétitions internationales de renom dont " Just debout Summer Dance forever. Ce qui est un fait encourageant pour les filles.

Dans la sous-région les pays qui ont glane des succès sont également restés près des sources africaines, de la tradition et nous pouvons citer la Cote d'Ivoire, le Mali, le Burkina Faso qui possède l'une des meilleures plateformes en danse contemporaine.

En conclusion, de tout ce qui précède nous expérimentons par la danse l'union intime du corps et de l'âme. L'homme est en effet un individu qui a des aspirations matérielles et spirituelles que l'éducation doit prendre en compte. Cette éducation doit s'adresser aussi bien à leur raison qu'à leur affectivité, à leur imagination et à leur sensibilité. La dimension humaniste de la danse est en effet capitale.

Intégrer dans la vie scolaire et universitaire des disciplines artistiques en général et la danse en particulier est à soutenir et à promouvoir car la danse est échange, elle est communication, elle est socialisante, elle est formatrice. C'est notre patrimoine, c'est notre identité qui est enracinement et ouverture.

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