Cote d'Ivoire: Interview-Chaibou Moussa Saidou (Procureur de la République près le tribunal de Niamey) - " La moralisation de la société doit être une réalité dans notre pays "

interview

Procureur de la République près le tribunal de grande instance hors classe de Niamey, Chaibou Moussa Saidou fait le point des dossiers ouverts dans le cadre de la lutte contre la corruption dans son pays. Il rappelle qu'un ministre, des directeurs généraux d'établissements publics, de hauts fonctionnaires mais aussi de simples citoyens accusés de malversations font l'objet de poursuites. Selon lui, les instructions des dossiers sont presque terminées.

Le Patriote : Les procureurs sont effacés. Ils ne font des sorties médiatiques que sur certains sujets précis. Est-ce le cas ici au Niger ?

Chaibou Moussa Saidou : Il faut retenir qu'en règle général, la justice est couverte du secret de l'instruction. Nous gérons l'honneur, la dignité des personnes. Ce sont des questions assez délicates. La justice est faite au nom du peuple. Le peuple a le droit de savoir ce qui se passe. Il faut savoir naviguer entre les deux exigences. C'est la raison pour laquelle chaque fois que nous avons des dossiers que nous estimons sensibles, nous convoquons les journalistes de la presse publique comme privée. Nous leur donnons l'essentiel de ce qu'on doit savoir sans heurter le sacro-saint principe de la prévention de l'innocence. Dans nos sorties, nous devons éviter d'heurter l'honneur et la dignité des gens, en exposant de manière claire leur identité. Nous disons à la population l'essentiel et les actes de procédures que nous avons posés. Et nous nous engageons pour parvenir à la manifestation de la vérité. En démocratie, il faut expliquer au peuple ce qui se passe. Il faut que la justice soit accessible. La communication de la justice fait partie des piliers de l'accessibilité à la population.

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LP : Quels sont, selon vous, les éléments qui prouvent que votre justice est indépendante à la fois au niveau des textes et dans la pratique ?

CMS : Du point de vue technique, nous avons des textes de la magistrature qui garantissent de manière effective l'indépendance des magistrats. Au-delà des textes, la question d'indépendance est aussi une question personnelle. A mon avis, un juge lorsqu'il a un dossier, doit tenir compte du contenu du dossier, il doit apprécier en âme et conscience, selon son intime conviction, et prendre le terme de procédure pénale. Le climat global est tellement favorable à la manifestation de l'indépendance de la justice que des actes historiques ont été posés dans ce sens. Nous avons poursuivi de hautes personnalités en fonction. Cela prouve, à mon avis, à suffisance, que le climat est favorable. Les conditions dans lesquelles nous exerçons sont favorables. Je suis intimement convaincu que nous ne subissons aucune pression. Nous travaillons véritablement en âme et conscience pour que la justice joue veritablement son rôle dans l'élaboration de l'Etat de droit auquel nous nous attachons chaque jour.

LP : Les populations sont souvent impatientes devant certains dossiers. Que répondez-vous ?

CMS : Je comprends ce souci. Lorsque la population demande plus de justice, cela fait partie de la vitalité de notre démocratie. Je n'ai rien à leur reprocher. C'est tout à fait normal. Mais je souhaite aussi que cette population comprenne les conditions dans lesquelles nous travaillons sur la base des textes, sur des fiches qui sont complètes et avérées. Le plus important pour nous, c'est que nous évoluons dans un contexte qui est favorable à l'examen de tous les dossiers. Il n'y a pas de tabou. Lorsque les conditions sont réunies pour que le dossier soit mis sur la table des magistrats, nous n'hésitons pas à le faire. Cette année il y a des dossiers qui ont été introduits au niveau du pôle économique et financier. Ces dossiers sont en train d'être instruits. Nous ne subissons aucune pression. Je l'affirme, c'est la voix du serment que j'ai prêté que je ne subisse aucune pression.

LP : La sous-région fait face au terrorisme. Votre pays dispose-t-il d'un arsenal juridique pour lutter efficacement contre ce fléau ?

CMS : De manière globale, le monde entier faire face à ce fléau. Nous aussi, nous sommes fortement affectés. Heureusement nous disposons à la fois du cadre juridique et institutionnel qui permet de faire face de manière vigoureuse à ces difficultés. Nous avons des textes de lois qui permettent de prendre en charge la question de la criminalité transnationale de manière globale, et aussi le terrorisme. Nos textes en la matière sont bien ficelés. Ils permettent de faire face à ces phénomènes de terrorisme. Nous avons aussi, du point de vue institutionnel, un pôle spécialisé qui a été mis sur pied. Il est animé par des magistrats à la fois du ministère public et même de la cour d'appel. Nous avons un dispositif qui prend en charge la question du terrorisme. Je pense que nous sommes bien partis. Les cadres législatifs et institutionnels au Niger sont faits pour faire face au phénomène de façon assez pertinente.

LP: Il nous revient que de nombreux dossiers mettant en cause de hauts fonctionnaires ont été ouverts. Comment en êtes-vous arrivés là ?

CMS : Nous déclenchons les procédures sur la base des faits présumés. Nous nous conformons rigoureusement à la procédure qui sied en la matière. Nous l'avons fait en âme et conscience. Parce que nous estimons qu'il y a des indices graves et concordants pour lesquels les personnalités, dont un ministre, sont poursuivies. La procédure se déroule normalement. Pour nous il n'y a pas de particularité, quel que soit la position de la personne elle n'est pas au-dessus de la loi. Il n'y a pas de particularité dans les dossiers, malgré le rang ou les fonctions qu'il a occupées. Ce sont des choses auxquelles nous sommes habitués. Il faut bien que l'Etat de droit avance. La moralisation de la société doit être une réalité dans notre pays.

Nous instruisons actuellement, un dossier appelé communément dossier du trésor public. Dans ce dossier, nous nous intéressons à des sorties frauduleuses de sommes importantes. L'instruction est quasiment terminée. Le dossier a même été communiqué en règlement définitif au cabinet du procureur. S'agissant du premier dossier dans lequel est impliquée la haute personnalité, un ministre, l'instruction est en cours. Nous suivons de très près l'évolution de l'instruction qui est ouvert à son encontre au niveau d'un cabinet d'instruction du pôle économique et financier. Les axes d'instructions ont commencé à être posés et nous suivons régulièrement. Nous faisons en sorte que le dossier avance. Il n'est pas question de trainer avec les dossiers. Il faut faire les choses de manière correcte. Lorsqu'on engage une procédure, il faut poser les actes et traiter le dossier dans le délai raisonnable. S'il y a des charges, on tire les conséquences. On fait ce que la loi prévoit. C'est ça la dynamique dans laquelle nous nous sommes inscrits.

LP : C'est bien d'ouvrir ces dossiers, mais comment faites-vous pour que cela ne paraisse pas comme un acharnement politique contre des adversaires politiques ? Peut-on dire que ces derniers ont la garantie de bénéficier d'une justice équitable ?

CMS : Au Niger, même les personnes de nationalité étrangère qui doivent faire face à la justice, sont traitées de manière équitable. Les textes nous obligent à agir ainsi. Il n'y a aucun doute. Il y a des avocats qui suivent les dossiers régulièrement. Nous veillerons à ce

que les choses se passent de manière très juste.

LP : Ces dernières années, quelles ont été les réformes majeures pour renforcer l'arsenal juridique afin de garantir une justice équitable à tous les justiciables ?

CMS : Régulièrement il y a des réformes. Actuellement nous avons un grand chantier de réforme globale du code de procédure pénale et du code pénal. C'est un chantier emblématique qui va permettre d'améliorer de manière significative l'œuvre de distribution de la justice au profit de la population. Il y a beaucoup de réformes qui sont en cours.

LP : Quelle est la perception qu'ont les Nigériens sur leur justice ?

CMS: Il m'est difficile de dire ce que les gens pensent. Mais, je confirme que nous sommes ouverts tout le temps. Il n'y a pas de protocole ni de rendez-vous. Nous recevons tout le monde. Parce que nous sommes convaincus que c'est ensemble et en nous ouvrant aux gens que nous pourrons mieux répondre à leurs préoccupations, à une meilleure distribution de la justice. Pour nous, la justice est essentielle dans une République. Lorsque nous avons pris fonction, les orientations ont été claires : faire en sorte que la justice soit accessible pour tout le monde, humaniser les conditions de détention dans tous les centres de détention, faire en sorte que les dossiers ne trainent pas. Il ne faut pas donner l'impression de la théâtralisation. Si un dossier tient, il faut crée les conditions pour qu'il soit traité dans des délais raisonnables. Si les charges sont identifiées, il faut faire en sorte que le jugement se fasse de manière équitable et dans des délais raisonnables.

LP: Pour une justice plus proche de la population, comment faites-vous pour relever le défi dans un pays de 1.000.267 km2 ?

CMS : Nous sommes un pays assez immense avec une superficie de 1.000.267 km2 avec une population aussi qui augmente. Nous dépassons les 22 millions d'habitants actuellement. Nous tenons compte de toutes ces réalités. Nous essayons de faire en sorte que la justice couvre tout le territoire national. Nous avons régulièrement créé des juridictions dans presque tous les départements. Au niveau de Niamey, nous avons créé cinq arrondissements communaux. Chaque arrondissement communal est doté d'un procureur, d'un juge d'instruction, d'un président de tribunal.

LP : Quelle place occupe la lutte contre la corruption dans votre pays?

CMS : Je suis également procureur au sein du pôle économique et financier. La corruption, la dilapidation des fonds publics, des biens publics font partie des priorités du parquet du pôle économique et financier. Nous sommes dans cette dynamique de faire en sorte que le caractère sacré des biens publics soit une réalité. La moralisation du fonctionnement de la République et de l'administration de manière globale est une réalité au Niger. Nous serons intransigeants sur ces questions. Nous serons toujours fermes pour faire face à ce phénomène. Pour nous, il faut aucune tolérance. Si nous avons des indices graves et concordants, nous ne lésinerons pas sur les moyens juridiques qui existent dans notre pays pour faire en sorte que les personnes en cause soient devant les juridictions compétentes.

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