Congo-Brazzaville: Evocation - Le revenant de Ngatali (17)

La nouvelle de la mort du pasteur Djoungou s'infiltra avec la violence d'une bourrasque dans les trois quartiers de Ngatali. A Bwanga, Ickinga et Okondo, la stupéfaction emprisonna les visages crispés, dépassés par l'émotion. Puis, rapidement, un sentiment de culpabilité collective prit le dessus à la lecture du communiqué de condoléances adressé aux fidèles par le ministère de la Foi, l'église pentecôtiste du défunt pasteur. On y lisait que " le pasteur Iloyi Djoungou est mort, martyr de la foi, alors qu'il luttait les mains nues contre les revenants qui hantent le village Ngatali... . ".

Les habitants de ce village se reprochaient à présent la mort de l'exorciste. Il avait été sacrifié sur l'autel de leurs querelles incessantes sur la question des revenants. Ils en avaient honte. Si certains d'entre eux continuaient de croire dur comme fer aux morts qui revenaient hanter les vivants, ils s'apercevaient avec le décès inopiné dans leur village d'un exorciste qu'ils étaient désormais sommés de se justifier à la face du monde sur les revenants censés hanter leur cité. Qu'en était-il exactement ?

En dépit d'un désaccord de principe sur les fins de la mission du pasteur Djoungou, les Gwabira n'avaient pas pavoisé à la suite de sa brutale disparition. Ils crurent non sans raison que cette disparition sera l'occasion d'autres accusations fantaisistes que leurs ennemis ne manqueraient pas de leur lancer. Ils apprirent, à cet effet, la rumeur selon laquelle " le pasteur Djoungou avait été victime d'une compression pulmonaire provoquée par une violente étreinte exercée par le revenant Nathanaël Gwabira avec lequel il luttait à mains nues ! ".

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Craignant des représailles, ils s'apprêtaient à monter la garde devant la tombe du défunt patriarche pour dissuader d'éventuels vandales lorsque le chef du village et son collaborateur se présentèrent à eux. Naguère partisan de l'exorcisme de tous les cimetières de Ngatali, le chef du village venait à posteriori exempter la tombe de Nathanaël Gwabira de tout service d'un exorciste. Devant l'adjudant Gwabira, son oncle et autres parents surpris par son arrivée, le chef du village asséna. Le fantôme de Nathanaël Gwabira n'a rien à voir avec la mort du pasteur Djoungou.

Sans attendre la réaction de ses interlocuteurs, il ajouta :

Nathanaël est en paix dans sa tombe. Son fantôme n'a jamais hanté Ngatali... C'est fou, ces sornettes sur les revenants, il faut qu'on en finisse ! Les Gwabira le regardaient, interloqués. A Ngatali, le chef du village Bambi avait la réputation d'un caméléon : il épousait systématiquement le point de vue des puissants du jour et le diffusait comme sa propre opinion. Aussi Dany Gwabira voulut-il se rassurer sur le sens de ce qu'il venait d'entendre de la bouche de Bambi en ironisant :

N'est-ce pas aussi l'avis du père Justin sur cette question ? Il faut qu'on en finisse avec ces fantômes fabriqués à la carte ?

Bambi faillit s'emporter : la question de l'adjudant Gwabira dénonçait finement son hypocrisie et son affichage avec le puissant chef de clan des Elongo. Versatile et rusé, le chef du village avait une suite claire de l'idée qu'il poursuivait :

Justin ! Justin Elongo ! Je me fiche de ce que pense Justin Elongo. Sachez que monsieur le sous-préfet est d'avis que la mort du pasteur Djoungou n'a rien à voir avec le fantôme de votre défunt père. Le rapport des gendarmes est explicite à ce sujet : le nom d'aucun fantôme n'y est mentionné ! Monsieur le sous-préfet indique que les fantômes, les revenants ne sont pas des inventions venues de l'au-delà, mais des idées agitées par des pervers qui sèment le doute dans les esprits des gens fragiles...

Les Gwabira se regardèrent à la fois perplexes et intéressés. Il y avait, dans le discours qu'ils venaient d'entendre, un changement de ton et d'attitude dans le propos du chef Bambi qui tranchait avec les tensions des jours passés. (A suivre)

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