Afrique de l'Ouest: Mohamed Bazoum (Président du Niger) - "Le G5 Sahel n'a pas tout à fait réussi sa mission de coordination des investissements économiques"

interview

Ancien ministre de l'Intérieur du Niger, Mohamed Bazoum a défendu les couleurs du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-TARAYYA) à l'élection présidentielle de 2020.

Avec plus de 55 % des voix au second tour, il est élu à la tête de son pays. Depuis lors, il déroule son programme dénommé Renaissance III pour le bonheur de ses compatriotes. A l'occasion du premier anniversaire de son accession au pouvoir, le chef d'Etat nigérien s'est ouvert à la presse sous-régionale le mardi 7 juin dernier. Depuis le palais de la présidence à Niamey, Mohamed Bazoum a échangé sans faux fuyant avec les journalistes.

Au cours de l'entretien, il a évoqué la question de la sécurité, notamment la lutte contre le terrorisme, et s'est exprimé sur les sujets tels que la diplomatie, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et la scolarisation de la jeune fille dans son pays. Entretien !

Monsieur le président, un an après votre élection à la tête du Niger, comment va votre pays ? Mais avant, dans quel état d'esprit vous trouvez-vous ?

Je suis engagé dans une mission très difficile parce qu'il s'agit de diriger un Etat. Même dans des circonstances normales, c'est une mission difficile. Au Niger, malheureusement en 2022, notre réalité est faite de ce contexte très marqué par l'insécurité qui a affecté notre sous-région, qui a eu raison des Etats tel le Mali.

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Malheureusement, cela a eu des conséquences au Burkina Faso par la suite. C'est un grand défi que de lutter contre le terrorisme. Le Niger est au centre du sahel, voisin de la Libye où tout le long de la frontière de ce pays vous n'avez aucune forme de présence de force militaire d'une quelconque autorité. Nous faisons aussi face à l'insécurité dans le bassin du lac Tchad. Ne serait-ce que sous cet angle-là nous avons une tâche particulière et délicate mais nous sommes déterminés à vaincre le terrorisme, à conforter les institutions de la République et à donner à notre pays des chances de prospérité et de bonheur pour notre peuple par conséquent.

Mali, sous la direction du Colonel Assimi Goita, a choisi la Russie comme partenaire dans la lutte contre le terrorisme. Résultat : Barkhane et Takuba sont " chassés " du territoire national et l'armée malienne est montée en puissance selon beaucoup d'observateurs. M. le président, seriez-vous tenté par cette expérience malienne en matière de lutte contre le terrorisme ?

Je ne pense pas que la question de la lutte contre le terrorisme soit une question technique et qu'il suffit d'avoir le bon partenaire pour que ça se règle. Si c'était le cas, nous aurions tous ensemble décelé les critères à partir desquels on définit le bon partenaire et on va tous ensemble avec lui. Si cette question est d'ordre logique et théorique, cela ne poserait de problème à personne.

Nous aurions convergé parce que nous sommes tous animés de la même volonté de vaincre le terrorisme. La question est plus compliquée que cela. Nous nous n'avons pas une ambassade de Russie ici. Nous n'avons pas un contact avec la Russie et il nous a été permis de comprendre qu'il y avait des avantages à envisager d'aller avec des pays. Donc pour nous, la question ne se pose pas. Ce n'est pas de façon totalement abrupte pour qu'un matin nous réveillerions et que c'est la solution.

C'est une forme de coopération avec la Russie. Nous achetons nos hélicoptères à la Russie et ça c'est notre ministère de la défense qui a des canaux par lesquels il passe pour procéder à des opérations d'achat de matériel militaire russe mais nous n'envisagerons jamais de louer un service d'une société privée russe ou relevant de notre pays pour faire la guerre à la place de notre armée parce que nous n'avons pas ces ressources-là.

Nous avons des ressources très limitées. Par ailleurs notre armée n'acceptera jamais tout simplement parce que ce sera de prendre dans ce que nous donnons à l'armée pour le mettre à la disposition du personnel de ce genre de société. Donc cette question ne se pose pas vraiment pour nous,.

Avec Votre permission est ce qu'on peut évqouer la des Russes Au Mali. Pour certains, il s'agit d'instructeurs, d'autres pesronnes parlent de mercenaires. Quel qualificatif donnez à cette force présente sur le sol du Mali ?

Je parlerai que des choses que je maîtrise. Je n'ai pas de possibilité de juger ce qui se passe au Mali. Je n'ai pas à faire des évaluations. Parce que je n'en ai pas les outils honnêtement.

Venons-en à la méthode de lutte contre le terrorisme au Niger. D'abord la politique de " déradicalisation " et aussi le retour des personnes déplacées de leurs zones d'habitation. Dans la région de Makolondi et Torondi en avril dernier, vous avez dit ceci : "Vous allez retourner chez vous et nous allons mettre en œuvre ce dispositif de sécurisation de votre retour mais surtout nous allons sécuriser votre vie de façon définitive... ". Monsieur le président, est-ce une promesse forte ou ambitieuse ?

Nous avons commis une erreur en 2015 quand Boko Haram avait exercé une telle violence sur les populations dans les villages. Nous avons eu plus de 150 mille déplacés interne, plus de 180 mille réfugiés venus du Nigeria et pendant des années nous nous sommes accommodés de cette situation. Elle a été très préjudiciable pour l'économie de la région, pour les conditions de ces populations elles-mêmes.

Depuis l'année passée, nous avons changé de paradigme. Nous avons décidé de ne plus laisser les populations se déplacer et vivre dans des camps dans des conditions très difficiles. Je suis allé à Diffa où j'ai discuté avec les populations. Nous avons décidé de les ramener dans leur village et d'assurer leur sécurité parce que nous leur donnons une chance de promotion économique et des chances de vivre une vie différente de celle caractérisée par l'assistance humanitaire à laquelle elles ont plus ou moins droit quand elles sont des personnes déplacées. Nous avons ramené une partie de la population de Diffa.

Cette année, nous nous préparons à ramener l'autre partie. C'est notre doctrine désormais : ne laisser personne dans les camps. Nous l'avons expérimenté l'an passé dans la région nord de Tillabéry. Depuis quelques mois, toutes les populations des villages qui se sont déplacées le long de la frontière avec le Mali sont en train de rentrer chez elles. Une bonne partie est déjà retournée. Ces populations, à Makolondi et Torodi non loin de la frontière du Burkina, ont été déplacées il y a à peu près trois semaines.

Nous avons été très réactifs car je me suis aussitôt adressé à elles, et nous avons décidé de les ramener et de les sécuriser. C'est notre doctrine désormais. Les frères du Burkina ont aujourd'hui affaire à un million et demi à peu près de personnes déplacées. Ce sont des populations qui vivent dans une situation de très grande détresse. Ensuite il y a toute l'économie qui est perturbée du fait de cette situation. Il vaut mieux consentir ponctuellement beaucoup d'efforts pour ramener les populations et assurer la sécurité là-bas. Ça facilite un peu le combat contre le terrorisme.

Quant est-il de la " déradicalisation "?

En vérité, nous avons aussi commis quelques erreurs. Quand j'étais ministre de l'Intérieur, nous avons créé un grand camp à Goudoumaria dans la région de Diffa. Nous pensions y conduire tous les terroristes qui se rendent. Nous avons mis un dispositif de rééducation " déradicalisation " comme on dit mais nous sommes rendu compte que ces personnes n'étaient pas du tout radicalisées.

La vérité, c'est que les motifs qui les ont poussés au terrorisme sont de type alimentaire. Nous avons donc changé de réponses à Diffa. Maintenant c'est une autre politique que nous sommes en train de promouvoir. Ne croyez pas que tous les jeunes qui sont dans ce mouvement terroriste sont des jeunes radicalisés. Il y a un travail d'éducation à faire sur eux pour qu'ils changent. Nous avons tiré les leçons de notre expérience pour changer totalement de perspectives.

M. le président, bien de gens proposent aujourd'hui le dialogue ou la négociation avec les groupes terroristes. Parallèlement vous l'avez dit, le Niger s'équipe pour faire face aux terroristes. Vous avez acquis récemment des drones turcs. Pour le philosophe que vous êtes également, que dites-vous de cette dialectique ?

Les jeunes qui sont engagés dans ces organisations n'y vont pas par conviction idéologique ou par conviction religieuse. Nombre d'entre eux y vont de façon accidentelle parce qu'un certain contexte y est favorable : ils peuvent disposer d'une arme, avoir une moto. Ce sont des choses dont ils rêvent et voilà qu'ils ont l'occasion de pouvoir jouir de tout le prestige qui peut alléger la situation.

Ils sont en rupture avec leurs familles pour lesquelles cette décision n'est pas aisée. Nous avons discuté avec les parents. Nous avons senti que bien de parents sont contre ce que font leurs enfants. Nous avons promis un certain dialogue avec les chefs de tribus, avec les responsables dans les régions affectées par ce phénomène et nous avons mis en place des dispositifs qui consistent à demander à ce qu'ils soient démobilisés et qu'ils reviennent.

Nous avons fait cette offre et utilisé tous les moyens nécessaires à cet effet pour obtenir quelques résultats. Les résultats ne sont pas spectaculaires mais tout ce qu'on peut récupérer comme objet est une bonne chose. C'est ce que nous sommes en train de faire. Ces organisations terroristes ont à leur tête des gens qui ne relèvent pas parfois de nos pays et qui n'ont pas beaucoup de soucis quant à la stabilité et même au bien-être des populations. Elles ont un peu d'égard pour ces populations et leurs souffrances éventuelles.

Plusieurs pistes sont explorées aussi bien de façon collégiale que nationale. La mise en place du G5 Sahel par exemple, mais il se trouve que le Mali s'est tourné vers la Russie et le Niger, il y a quelques jours lors du passage du chancelier allemand, a demandé de l'appui technique. Ce qui veut dire que d'une certaine façon, vous optez pour une lutte collégiale mais chacun de son côté essaye aussi de voir d'autres partenaires pour l'appui technique ou économique. Est est-ce qu'aujourd'hui le G5 Sahel est en difficulté pour mettre en place un mécanisme réel commun de lutte contre le terrorisme ?

Le G5 Sahel, à l'origine en 2015, était conçu comme une organisation de solidarité et de type économique entre les pays affectés par la violence terroriste à l'époque sur le territoire malien mais qui a des répercussions sur tous les autres pays. Il y avait en effet des annonces de nombreuses initiatives en 2013 et 2014, qui étaient des initiatives économiques. Il y avait des initiatives du Sahel, de l'Union européenne, des USA, du PNUD, etc.

Et les chefs d'État de ces 5 pays ont estimé qu'il était bon de créer une coordination pour toute l'initiative et faire en sorte que les Etats du Sahel bénéficient de tous les investissements qui sont annoncés pour promouvoir un certain nombre de domaine économique à savoir les télécommunications, les infrastructures, les routes, le chemin de fer et éventuellement promouvoir l'agriculture, l'irrigation, le pastoralisme, le système d'éducation dans chacun de nos pays. A l'origine, c'était une organisation à vocation d'intégration économique, de mobilisation de fonds et de coordination. C'était l'idée, le concept, à Nouakchott lorsque nous avons eu le premier sommet. Mais par la suite, les questions sécuritaires ont pris le dessus.

Comme les questions sécuritaires sont vite médiatisées, il y a eu plutôt une inflation à partir du sommet de Ndjamena de 2016. Si mes souvenirs sont bons, tous nos partenaires se sont plutôt intéressés à l'aspect coordination militaire et progressivement on s'était éloigné du premier objectif pour ne donner de l'importance qu'à cet objectif second. Et on a essayé de mettre en place un dispositif de coordination militaire en définissant les fuseaux : le fuseau Est qui concerne la frontière entre le Niger et le Tchad ; le fuseau Ouest qui concerne la frontière entre le Mali et la Mauritanie et le fuseau Centre qui concerne les trois pays désormais impactés véritablement par le terrorisme.

C'était une organisation qui était en train de balbutier. Son identité n'était pas totalement acquise. Les missions et mentalités de la prise en charge n'étaient pas encore nettement définies. Nous avons mis en place le secrétariat qui a fait le travail qu'il a pu faire mais nous n'avons pas réussi une véritable coordination opérationnelle dans nos actions militaires.

Dans la vérité, l'enjeu c'était les trois pays du centre, le Mali étant absent de sa partie septentrionale, nous n'avons jamais mené des opérations conjointes par exemple avec le Niger. Nous n'avons jamais su nous coordonner tout à fait avec le Burkina. Nous avons eu des opérations coordonnées, pas forcément dans le cadre du G5 Sahel, mais qui existaient pourtant et qui avaient quelques forces. Elles lui étaient dédiées. Quand nous le pouvions, on les utilisait. Mais pas dans des missions typiquement G5 Sahel avec des instructions qui viennent du dispositif de commandement du G5 Sahel.

Quand est intervenu le coup d'Etat du Mali, nous avons accumulé des difficultés dans ses relations avec certains de ses partenaires et avec les autres pays voisins. Cela fait qu'aujourd'hui, on considère que le G5 Sahel n'a pas tout à fait réussi sa mission de coordination des investissements économiques qui était l'objet de sa mission à la base. Il n'a pas davantage, de façon efficiente, réussi à l'objectif de la coordination opérationnelle des actions militaires. Dans la mesure où on était 5 et qu'on ne l'est plus.

Peut-on affirmer qu'avec le retrait du Mali, le G5 Sahel est mort ou, comme certains l'affirment, il était déjà mort-né à cause du manque de financement ?

Oui dans la mesure où son objet était de lutter contre le terrorisme dans les trois pays du centre. Pour n'avoir pu faire en sorte qu'il y ait une coordination opérationnelle des armées dans le cadre de son commandement, il n'avait pas tout à fait accompli sa mission. Je pense que compte tenu de la capacité de nos armées et des possibilités que nous avons de financer des opérations coordonnées de ce genre-là, il n'était pas possible que le G5 Sahel donne satisfaction et atteigne son objectif. Donc vous avez raison, c'est une organisation qui avait eu beaucoup de difficultés. Ces difficultés se sont exacerbées par la suite.

Le Niger fait frontière avec 7 pays. C'est une sorte de ceinture de feu. Mais quand on regarde le Niger dans sa dynamique de réinstallation des déplacés ou de " déradicalisation ", on se demande quelle est sa recette pour que ça marche...

Ce qui fait que ça marche mieux ici qu'ailleurs, c'est le fait que nous nous avons eu à faire, dans les années 90 puis dans les années 2000, à un combat contre des velléités de certains jeunes des communautés relevant du Niger qui avaient créé des mouvements. Vous vous souvenez des mouvements touaregs des années 1990 qui ont repris au cours de l'année 2016.

Des mouvements tougous aussi qui ont pu exister dans le Nord et l'Est du Niger. Notre armée a eu à gérer ces mouvements, à faire le combat contre ces mouvements. Je pense qu'elle a acquis certaines expériences qui a été fort utiles par la suite quand nous avons affaire à cette forme de violence portée par les organisations terroristes se réclamant de l'islam depuis les années 2013 à partir du Mali.

Je pense que c'est une de nos recettes armées qui a fait un sujet qu'elle a déjà eu à traiter. Ensuite évidemment nous avons des institutions solides déjà depuis 2007. La réponse des autorités du Niger -nous étions dans l'opposition - était différente de la réponse des autorités maliennes face au même problème. Nous avons assumé cet héritage du président Tandja Issifou et continué dans le même sens.

Nous avons eu une gouvernance qui a mis fin aux revendications de type irrigatrice, une politique d'intégration de toutes nos communautés et une base très solide. Aujourd'hui personne ne prête attention à ce que font les terroristes si non que de se soucier des effets de leurs agissements. Ils n'attirent personne, ces mouvements sont décriés. Nous avons une très bonne cohésion nationale dans notre façon de gérer le terrorisme aujourd'hui.

Nous avons stabilisé nos institutions. Ce qui est très important. La pire des choses qui puisse arriver à un Etat et qui sera avéré pour nos voisins, c'est que nos institutions soient perturbées et qu'elles ne puissent plus être un Etat. Et si ce socle-là est remis en cause évidemment qu'on assiste à des unités qui sont très préjudiciables dans le contexte de combat que nos pays sont en train de mener contre le terrorisme.

Parallèlement, la coopération militaire avec la France fait débat. Pour certains la France est utile voire incontournable pour d'autres, ceux qui font cette option sont plus des obligés de la France. Que répondez-vous ?

Nous avons bénéficié du concours de la France dans le cadre de l'objectif " Barkhane " pour lutter contre le terrorisme au Mali. Il y a une base aérienne de la France ici. Niamey est plus proche de Gao et de Menaka que Bamako. Si Bamako est plus proche de la base aérienne française, cela aurait été à Bamako. C'est pour des raisons purement pratiques qu'il y a eu ce dispositif de la France ici qui n'avait pas vocation à intervenir dans le combat que nous menons contre le terrorisme.

Mais ce sont des partenaires avec lesquels nous menons de façon circonstancielle des opérations ponctuelles sur tous les fronts, que ce soit le front avec le Mali ou avec notre frontière burkinabè. Il arrive que notre armée mène des opérations avec " Barkhane ". Alors certains partenaires sont disponibles. C'est à notre appel, nous Africains, que la France avait répondu en 2013 favorablement pour mener l'opération " Serval " qui avait contenu l'équipe terroriste qui avait débouché au centre du Mali en direction de Bamako.

Monsieur le président, comment assurez-vous la continuité de l'œuvre de votre illustre prédécesseur, le président Issifou, en termes de moralisation de la vie publique, de lutte contre la corruption, etc. ?

Notre volonté de moraliser la vie publique a été toujours affirmée et assumée. Mais sur le parcours, nous pouvons tirer des leçons. Donc c'est ça l'avantage du changement. Le Président Issifou et moi, c'est le même parti politique, c'est la même éthique, c'est le même engagement. Mais la vertu du changement a produit un effet qui est que moi.

Avec le recul qui était le mien dans ma position, j'ai pensé qu'il faut mettre l'accent sur certaines questions bien plus que ne l'avait fait le Président Issifou qui avait eu le mérite de faire en sorte qu'à travers cette affaire du ministère de la Défense nationale nous récupérions 12 milliards sur les opérateurs économiques. Donc, c'est ça l'avantage de l'alternance c'est-à-dire que dans la même dynamique on peut corriger les erreurs parce que les acteurs ont changé mais le Président Issifou et moi, nous sommes de la même famille politique. Nous sommes des camarades. C'est parce que le Président Issifou sait que je ferai ce travail-là pour continuer son œuvre qu'il a cautionné ma candidature avec notre parti politique. Ne croyez pas que je suis en train de faire des choses avec lesquels il pourrait ne pas être d'accord.

Je suis en train de faire des choses dans la droite ligne de ce que nous avons voulu ensemble, parce que nous ne sommes pas dans une entreprise où ce sont des individus qui décident. Mais nous avons un appareil d'un parti politique solide qui décide des autres orientations parce qu'il est animé d'une éthique qui lui est constante quels que soient ceux qui peuvent assumer la responsabilité à tel ou tel niveau.

C'est cela l'avantage justement d'avoir des partis politiques forts mais des vrais partis pas des partis qui tiennent à des individus, qui peuvent empêcher de faire ce qu'ils veulent. Le Président Issifou n'a pas dit qu'il est un homme exceptionnel, irremplaçable, parce que ce serait nous faire insulte. Nous avons eu des succès à toutes les élections que nous avons eu à affronter pendant le temps où il était président de parti. C'est donc lui que nous devons choisir.

C'est ça la crédibilité de nos institutions. C'est cela qui a conforté notre situation aujourd'hui et qui explique que nous n'avons pas été divisé. Nous avons un parti fort avec une vision et avec une vraie éthique. Nous pouvons continuer ce travail et le mener jusqu'à faire en sorte que nous donnions la prospérité à laquelle aspirent nos citoyens.

Sur la question de la réduction de la dépense de l'Etat qu'est-ce qui est fait concrètement ?

Nous avons un grand engagement qui consiste à rationaliser les dépenses de l'État et éviter les dépenses superflus ou inutiles. C'est un travail de tous les jours que nous devons mener. C'est le travail le plus difficile : améliorer les recettes. C'est important pour que l'État dispose des ressources dont il a besoin pour assumer son rôle régalien mais aussi économiser les dépenses et ne les orienter que dans ce en quoi elles pourraient être. Cela participe de l'éthique du combat que nous sommes en train de mener.

Monsieur le président, l'un de vos ministres fait partie de ces hauts cadres qui sont en prison. C'est un acte fort que vous avez posé mais le peuple a toujours besoin d'exemple. Est-ce que le président de la République s'est soumis à une telle déclaration de patrimoine ?

Chez nous, ça existe depuis toujours, donc ce n'est pas le problème. Les membres du gouvernement et le président de la République sont soumis à une déclaration sur laquelle la Cour des comptes est très exigeante. Il faut être encore plus exigeant afin que personne n'occulte dans ses déclarations des biens, des choses qui ont vocation à être dites. Il n'y a personne qui peut penser qu'il est protégé mais malgré ça je dis à notre société civile que le combat contre la corruption est très dur parce que dans l'homme, il y a une autre dimension qui n'est pas qu'humaine.

Dans votre programme, vous avez à faire face à la scolarisation de la jeune fille et la question d'une démographique galopante. Comment faites-vous pour y apporter des réponses à ces deux préoccupation ?

J'ai fait une conférence à l'adresse des femmes à l'occasion de la journée mondiale des femmes le 14 mai dernier et je donnais des statistiques. En 1960 à l'indépendance, nous avions la même population que le Sénégal. Nous avions presque la même population que le Bénin. Nous nous tenions à trois millions. Aujourd'hui nous sommes à peu près 25 millions. En tout cas en 2020, on était à 24 millions mais le Sénégal en 2020 était à peu près à 14 millions. Le Bénin aujourd'hui est à 11 millions.

J'ai expliqué aux Nigériens que pour une même richesse, pour un même PIB, nous avons un revenu national d'habitants équivalent à celui du Bénin et du Sénégal à l'époque. Mais aujourd'hui puisque nous avons doublé la population du Bénin, pour un même produit intérieur brut, nous avons un revenu par tête d'habitant de moitié inférieur à celui des pays développés et de 0,7 % inférieur à celui du Sénégal. Vous voyez les efforts que nous pourrions faire dans le domaine de l'éducation, de la délivrance des services de base. L'accroissement de notre population fait en sorte que si le niveau de population baisse, le nombre de pauvres, lui, s'accroît du fait du succès démographique. Nous devons par conséquent nous soucier de cette question-là parce qu'elle a un impact sur les services sociaux notamment celui de l'éducation.

Donc il est difficile de soutenir les efforts dans cette croissance époustouflante de la population, de construire des écoles chaque année. J'ai rencontré un consul du Niger au Danemark qui m'a dit qu'en 1973, le Danemark avait 5 millions d'habitants. Aujourd'hui le Niger compte 25 millions d'habitants. Le Danemark a 6 millions d'habitants, le Niger en a 4 fois de plus. Vous voyez les efforts que nous pouvons faire dans les services de base avec le Danemark qui sont multipliés par 4 pour un pays qui est loin d'avoir les ressources de Danemark.

Et la cause de cette situation, c'est la déficience dans notre système éducatif qu'il nous faut réparer. C'est pourquoi je mets l'accent sur le système éducatif pour permettre aux citoyens d'avoir l'instruction, même leur procurer les moyens dont ils ont besoin pour faire face aux exigences de la vie. L'éducation nationale est nécessaire.

Quand vous êtes totalement ignorants et non instruits, vous êtes totalement désarmés face à la vie d'aujourd'hui. Mais si vous avez la connaissance, vous avez les acquis qu'il faut pour faire face. Vous créez les richesses, les valeurs... face aux exigences de la vie pour créer les emplois et pour éviter justement cette croissance démographique pour que notre école soit efficiente. J'ai émis cette idée que je suis en train de mettre en œuvre d'assurer la scolarité pour tous les jeunes ruraux en particulier pour les jeunes filles.

Nous allons commencer par les filles. Un enfant d'un paysan aujourd'hui n'a pas beaucoup de chance d'aller à l'école. Il faut inverser la tendance en donnant la chance aux enfants du monde rural aussi d'aller à l'école. En fait faisons en sorte que l'Etat s'engage plus en leur faveur à travers des internats des collèges ruraux. Un enfant qui quitte son village pour aller dans le village où il y a le collège, il lui manque justement un minimum de locomotion pour poursuivre l'école surtout une fille.

L'expérience que nous vivons tous les jours c'est que quand une fille est au collège du village à côté, les parents ne consentent pas à la laisser aller parce qu'elle sera dans la rue. Ils raccrochent l'éducation de sa fille et la donnent en mariage et elle commence à se reproduire à l'âge de 15 ans. Les statistiques montrent que 52 % des filles de moins de 15 ans dans la région de Zinder ont un enfant. Ces statistiques sont effrayantes et la réponse que j'ai trouvée c'est précisément des collèges pour leur assurer une scolarité longue qui les mette à l'abri des mariages.

Justement, au-delà, la polygamie est également mise en cause. Quand on l'aborde, elle est accompagnée des discours du genre " vous faites trop d'enfants ". Comment arrivez-vous à faire face à des résistances qu'on imagine au sein de la société ?

Je ne parle pas de limitation des naissances parce qu'à cette question on peut avoir une dimension éthique sur laquelle on peut être à des prescriptions de la religion. Je suis en train d'insister sur la nécessité d'être plus responsable dans la façon d'épouser les femmes. Une polygamie irresponsable, non. Au Niger, malheureusement vous avez souvent des personnes qui sont sans emplois, revenus mais qui marient plusieurs femmes et qui font beaucoup d'enfants dont ils n'ont pas la capacité à assurer l'éducation et qui les laisse dans la rue.

Ce sont des délinquants qui deviennent des problèmes pour la société. Et quand vous dites ça à des personnes, elles ne sont pas forcément insensibles aux situations qui se créent. Par conséquent nous allons mettre en place ce que nous avons appelé l'Office national de la population. Il aura vocation à faire le travail de sensibilisation qui doit être en adéquation avec la mentalité de nos citoyens. Nous pouvons atteindre des résultats semblables à la situation de nos Etats, mais le grand résultat nous l'aurons à travers la promotion de l'éducation. Le jour où notre système éducatif sera en mesure de maintenir pendant longtemps les enfants à l'école, il sera en capacité de leur donner de la connaissance qui va justement en faire des citoyens qui peuvent faire face aux difficultés de la vie.

Monsieur le président vous n'êtes pas contre la polygamie mais contre la polygamie irresponsable. Est-ce que vous voulez des ministres polygames par exemple ? Certainement à ce que vous avez voulu peut-être sensibiliser par l'humour mais certains Nigériens diront que c'est d'ordre intime, d'autres diront peut-être que à cette allure le président va choisir la qualité du riz que mangeront les Nigériens...

Non ! Nous Nigériens, nous devons lutter contre la polygamie irresponsable. Nous interpellons nos concitoyens pour qu'ils sachent de quoi il est question surtout ces gens-là qui se comportent comme ça ils ont une mentalité très traditionnelle, des siècles où on n'avait pas les vaccins qui sauvent les enfants, où il n'y a pas une humanité qui met des femmes très facilement à la disposition des hommes. Mais maintenant avec le programme de vaccination, on a sauvé les enfants de la mort. Quand vous voyez les statistiques, leur amélioration, c'est tout à fait stable et donc nous avons une population qui croit dans un contexte de mentalité qui est restée la même. Il faut agir sur cette mentalité. C'est pourquoi je dis aux ministres que pour que nous donnions un bon exemple et que nous favorisons un des vaccins, nous décidons qu'aucun d'entre nous ne prennent une femme supplémentaire s'il y en a qui sont déjà polygames.

Nous avons rencontré le maire de la capitale qui a fait cas des écoles sous paillotes. Aujourd'hui on parle de récurrence des incendies dans ces écoles-là, quelle est votre réponse ?

Nous sommes en train de discuter avec nos partenaires pour que les trente-six mille écoles paillottes soient des écoles en définitive. Le ministre du Plan était récemment à une conférence en Egypte où il a eu l'occasion de rencontrer beaucoup de nos partenaires dans ce domaine. Il était auparavant aux Assemblées générales de la Banque mondiale et la Banque mondiale était un partenaire important avec qui certainement nous pouvons mettre en œuvre ce programme qui consiste à mettre fin aux classes paillottes.

Quelle part du budget vous accordez à l'éducation ? Est-ce que votre ambition est mise en œuvre en l'exprimant à partir du budget national ?

Le jour où nous construirons en trois années 36 mille classes, c'est clair que ce sera plus de 22% de notre budget qui sera investi dans l'école. C'est mon ambition. Aujourd'hui nous sommes à peu près à 19%.

Des ressortissants de votre pays vivant à Dakar ont été rapatriés récemment. Ces personnes se seraient retrouvées à Dakar par le fait d'individus mal intentionnés. On évoque un gang de trafiquants d'émigrants. Qu'en est-il exactement ?

Oui il s'agit d'un gang de trafiquants. Ce sont des réseaux de trafic de migrants qui utilisent la mendicité comme une source d'enrichissements bien paradoxale. Mais ce sont les difficultés de nos enfants de ces réseaux surtout qui opèrent surtout chaque semaine sur l'Algérie. L'État algérien ramène des centaines d'enfants et de femmes à partir de son territoire. Le réseau a tendance à s'étendre sur d'autre pays notamment de l'Afrique de l'ouest et du centre. Ce sont des réseaux criminels. Nous sommes en train de lutter contre eux de façon efficace à partir de Dakar. Nous avons arrêté tous ceux qui sont sur la chaîne. Il s'agit d'un réseau criminel de trafic de personnes.

Abordons le sujet de la diplomatie. Aujourd'hui, au regard de ce qui se passe au Mali, quel est l'état des relations entre le Niger et le Mali ? Y a-t-il un téléphone rouge ?

Quand en 2012 il y a eu le coup d'Etat du capitaine Sanogo, nous l'avons dénoncé avec beaucoup d'engagement. Et personne ne nous avait pas fait de procès. Quand en 2020, il y a eu coup d'Etat au Mali, nous l'avons dénoncé et dans les deux cas il y a eu des arrangements avec la CEDEAO. En 2021, il y a eu un deuxième coup d'Etat que nous avons à nouveau dénoncé. Les gens nous font un faux procès sur la question. En 2011 - 2012 il y a eu les Maliens qui ont fait sécession, nous étions le pays le plus engagé pour les combattre. Ils sont pourtant nos voisins. Ces gens du nord du Mali nous les connaissons. Mais nous, Etat du Niger, à travers la position du président Issifou et de ma personne comme ministre des Affaires étrangères à l'époque, les avons combattus. L'Etat du Mali a chancelé, s'est presque effondré et nous avons été témoins de comportements d'autres personnes.

Nous avons été conséquents et avons défendu le Mali quand nous nous sommes retrouvés à Alger pour discuter de l'accord de paix. J'étais ministre des Affaires étrangères, j'étais le seul à avoir dit que l'article 6 de l'accord n'est pas acceptable. J'avais même exigé de suspendre les discussions, de donner la possibilité à la délégation malienne d'appeler ses autorités si elles ont pris la mesure des implications des dispositions de l'article 6 qui dit que les conseils régionaux sont élus aux suffrages directs, que le président du conseil régional est élu au suffrage universel direct. Que le président du conseil régional est élu au suffrage universel. Il est le chef de l'exécutif et de l'administration régionale.

J'avais dit que c'est du fédéralisme et que les Maliens ne doivent pas accepter cela. Ils ont suspendu pour 15 minutes. Ils sont revenus, ils ont dit non, ils savent ce que ça veut dire mais ils sont d'accord avec les dispositions. Je leur ai dit ça sera difficile d'application, qu'elle va subvertir vraiment l'organisation administrative du Mali et qu'à ce titre, elle n'est pas acceptable. Donc j'ai combattu pour l'unité du Mali. Nous avons combattu pour l'unité du Mali en refusant la scission. Nous avons combattu à côté du Mali. Si nous sommes contre le Mali comme certaines propagandes le font croire, on nous aurait pris depuis déjà très longtemps. Nous sommes les seuls qui ont été particulièrement virulents contre le projet de cession.

Notre position est de jeter les bases d'une institution démocratique à même de stabiliser le Mali et d'en faire un grand partenaire dans notre combat commun contre le terrorisme.

Monsieur le Président, vous vous définissez comme un militant de la démocratie. Vous avez parlé durement du Mali mais concernant le Tchad où il y a eu un coup d'État, vous semblez caresser dans le sens des poils ?

Non ! La décision de la communauté internationale d'accompagner le Tchad procède de l'émotion qui avait été ressentie au lendemain de la mort du Maréchal Idriss Deby Itno et un réel risque d'implosion du Tchad. Comparaison n'est pas raison. Les contextes sont totalement différents. Au Tchad, les forces rebelles ont été à quelques kilomètres de Ndjamena. Les Tchadiens et toute la communauté internationale ont considéré qu'il vaut mieux avoir un Etat plus proche de l'armée pour faire face à cette situation plutôt que l'implosion parce que si les rebelles venaient, ce serait une guerre civile. C'était cela le contexte.

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