Congo-Kinshasa: Maniema - " Si tu cries, je te tue ", quand les femmes payent le lourd tribut des conflits armés à Salamabila

communiqué de presse

L'activisme des groupes armés pour le contrôle des zones minières entraîne une situation sécuritaire volatile à Salamabila, dans la province du Maniema, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les violences sexuelles sont l'une des nombreuses conséquences qui découlent de cette situation. Au-delà des souffrances physiques, la majorité des victimes deviennent, de surcroît, sujettes à la stigmatisation au sein de leurs communautés et ont du mal à se reconstruire.

" J'étais aux champs. Vers neuf heures, j'ai vu un homme armé venir vers moi. Il a braqué son arme sur moi en disant : 'si tu cries, je te tue'. Je me suis mise à trembler de peur quand il m'a ordonné de me coucher sur le sol. Il s'est ensuite couché sur moi. Il m'a fait tellement mal ", raconte Tania*, mère de deux enfants. Agée de 27 ans, elle habite à Wamaza, un village proche de Salamabila, dans le territoire de Kabambare et ressasse sans arrêt le jour où elle a été violée en septembre 2021.

À Salamabila, les mésententes entre les communautés et certaines entreprises minières accusées de ne rien faire en faveur des populations habitant les zones d'exploitation a entraîné, en 2015, la naissance de plusieurs groupes armés " d'auto-défense ". Au fil des ans, l'objectif de ces bandes armées, de protéger les intérêts de leur communauté, s'est effrité en laissant la place à l'exploitation minière, à des combats pour le contrôle de ces ressources naturelles et à la tracasserie via l'instauration de taxes illégales ainsi qu'à la violence contre les populations civiles.

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Comme Tania, Asante*(prénom d'emprunt) a subi les mêmes atrocités par un membre d'un autre groupe armé en février 2022.

" Il était 16h lorsque je suis allée puiser de l'eau à la source. J'ai vu deux hommes armés débarquer. L'un d'entre eux m'a appelée et m'a demandé de me déshabiller. J'ai refusé et quand je me suis mise à crier, il a remis son arme à son compagnon et s'est jeté sur moi, m'a étranglée et m'a obligée à me coucher ", raconte-t-elle, tête baissée.

" Ce soir-là, je suis rentrée à la maison avec des douleurs au ventre et les jambes qui tremblaient "

L'Organisation Non-Gouvernementale de Droits de l'Homme AHUPADE affirme avoir répertorié 1 624 cas de violences sexuelles, dont 711 femmes adultes et 913 filles mineures, de janvier à début juin 2022, dans le territoire de Kabambare dans le Maniema.

" La grande majorité des victimes sont des femmes. Et nous les orientons vers des structures de santé pour une prise en charge appropriée ", note pour sa part Kaozi Sango Marcelin, président de la société civile / forces vives du Maniema.

Ces 72h qui sauvent ...

Les victimes de viols et de violences sexuelles font face à plusieurs types de souffrance tant physiques que psychologiques. Certaines se retrouvent avec des lésions graves, des infections sexuellement transmissibles, des fistules compliquées ou encore des grossesses non désirées.

Après une agression sexuelle, les professionnels de santé recommandent aux victimes de se rendre immédiatement dans une structure médicale pour une prise en charge d'urgence. Une prise en charge qui, si faite dans les 72 heures suivant l'agression, peut permettre l'administration à la victime des traitements préventifs contre les infections sexuellement transmissibles (prophylaxie post-exposition) telles que le VIH, la syphilis et la gonorrhée. Dans certains cas et si disponible, la vaccination contre l'hépatite B et le tétanos est fournie. La prise en charge comprend également la contraception d'urgence, qui permet d'éviter les grossesses non désirées chez la victime.

Le viol, un secret de famille qui tue à petit feu

Être violé(e) est perçu dans plusieurs communautés de l'Est du Congo et de Salamabila en particulier, comme une malédiction. La victime devient alors un sujet de moquerie et de rejet.

Pour éviter cette stigmatisation et ses conséquences lourdes tant au niveau social qu'économique, les femmes qui ont été victimes préfèrent ne pas en parler et par conséquent, ne recherchent que très rarement une assistance médicale ou psychologique, pourtant nécessaire.

" Physiquement, l'acte est passé et je n'ai plus de douleurs. Ce qui est le plus difficile aujourd'hui, c'est le rejet ", regrette, d'une voix pleine de tristesse, Asante. " Je souhaite changer de milieu. J'envisage d'aller vivre chez mes parents, à Punia, à 500 km de Salamabila. Je sais que les gens vont me demander pourquoi je suis revenue. S'ils me posent trop de questions, je serai obligée de me trouver un autre endroit où me cacher ", note-t-elle.

Face à cette tragédie, des organisations internationales et des acteurs sociaux locaux se mobilisent pour dire non aux violences sexuelles en sensibilisant toutes les catégories d'auteurs de ces agressions mais également les familles et les communautés contre la stigmatisation des victimes.

L'action du CICR

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), présent, depuis plus de 4 ans dans le Maniema, en particulier à Salamabila, est l'une de ces organisations humanitaires qui cherche à s'assurer que les victimes aient accès à tous les services nécessaires, et que les communautés et les personnes renforcent leur résilience.

" Le CICR a une approche intégrée dans sa réponse à la problématique des violences sexuelles, principalement du viol. Nous travaillons avec des Maisons d'écoute et également des structures sanitaires, qui s'occupent de la prise en charge psychologique et psychosociale des victimes de violences armées, dont celles de violences sexuelles ; ainsi que d'un volet de prévention et de sensibilisation des communautés sur l'accès aux services (où, quand s'y rendre) et sur les risques (médicaux et sociaux, rejet, stigmatisation, etc.) ", explique Isaac Sadiki, agent de terrain CICR chargé de la lutte contre les violences sexuelles. " Nous soutenons aussi les formations sanitaires dans la gestion clinique de ces cas, en veillant à l'accès et à la disponibilité des kits post-viols pour les victimes ".

Le CICR soutient par ailleurs la réinsertion socio-économique des survivant(e)s à travers un appui financier pour des besoins immédiats ou pour le lancement, à long terme, des activités génératrices de revenus. Et dans le cadre de ses activités de prévention, le CICR s'est également investi dans la sensibilisation des porteurs d'armes au respect du Droit international humanitaire, rappelant systématiquement la gravité de crimes tels que le viol.

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